Il ne faut parler que de ce que l'on sait vraiment ; or tout n'est pas documenté. Tout ce que j'ai écrit dans mon livre, tout ce que j'ai dit devant vous repose sur des sources fiables qui soit n'ont fait l'objet d'aucune contestation, soit on fait l'objet de contestations qui ont été réfutées. Il faut toujours être très prudent et se garder de penser que l'on connaît l'entièreté d'une ingérence passée ou d'une situation présente. Il est manifeste qu'aux États-Unis, 2016 a constitué un pic et qu'en 2020, les mesures de contrôle de l'intégrité électorale ont été renforcées, si bien que ceux qui ont voulu faire croire à des ingérences chinoises dans l'élection de Joe Biden se sont cassé les dents. Toutefois, cela n'a pas empêché, au sein d'une frange très dure de l'électorat de Donald Trump, la naissance d'un mouvement de contestation des résultats, qu'on a appelé Stop the Steal, et qui s'est quand même traduit par l'assaut du Capitole, le 6 janvier.
L'élection de 2020 a donc été beaucoup moins exposée, mais c'est comme si l'on avait instillé un poison dans la confiance envers les institutions et que ce poison continuait à faire son chemin. Il faut en être conscients et ne pas nous endormir sur nos lauriers : ce n'est pas parce qu'on est plus vigilant, plus conscient des risques, qu'on a réglé le problème. Le poison du soupçon peut continuer à faire mal des années plus tard, quand il concerne les institutions et les médias et qu'on finit par ne plus croire à rien et à croire n'importe quoi en même temps.
S'agissant des ingérences dans la campagne de 2017, ce que disent les experts, c'est que les attaques étaient toutes dirigées contre un seul candidat, Emmanuel Macron, qu'elles sont passées par de très nombreux faux comptes sur Facebook, que la plateforme a identifiés et fermés. Les Macron Leaks, que j'ai évoqués, ont consisté, comme aux États-Unis, en un mélange de contenus exacts et de contenus inventés. Ils n'ont pas eu d'impact, du fait du réflexe démocratique que vous avez évoqué, monsieur le président, d'un certain nombre d'institutions et d'autorités indépendantes qui ont tout de suite compris qu'il s'agissait de porter atteinte à l'intégrité du processus électoral. Les médias professionnels ont aussi eu le réflexe de ne pas tomber dans le piège. C'est à la fois une satisfaction et une fragilité, puisque cela repose sur le comportement des hommes plus que sur la capacité du système à éviter ce type de manipulation.
En 2022, un peu comme en Allemagne, la manipulation passe moins par des sujets purement politiques que par l'amplification de sujets de société : la gestion de la crise du covid et la politique vaccinale ont été considérées comme de bons sujets, susceptibles de cliver et de porter atteinte à la confiance dans les institutions. On assiste, de nouveau, à une amplification de contenus sur les réseaux sociaux. Généralement, le contenu est national au départ, mais son amplification est encouragée par des acteurs extérieurs, à commencer par la Russie qui, depuis 2009, reste dans cette logique qui ne consiste plus à se promouvoir elle-même mais à discréditer les pays européens et les démocraties occidentales.
Pour illustrer cette volonté de clivage, je peux revenir à l'élection de 2017 : les experts qui ont étudié les mots employés par les trolls russes de la galaxie de Prigojine ont noté que ceux qui revenaient le plus souvent sont : noir, féminisme, gay, vert, arabe, islam, extrême droite, gauche, droite. Ce sont les contenus employant ces mots qui sont censés déclencher une réponse et monter en visibilité.