Trois remarques au terme de cette semaine de débats. Le travail en commission avait, en réalité, démarré bien avant, avec les nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé. Les travaux menés en commission à propos des crédits pour 2023 avaient également commencé à aiguiller la réflexion sur différents sujets, et l'ensemble des contributions parlementaires ont été utiles dans la préparation du texte initial.
Le texte ne sort cependant pas de commission comme il y est entré. Des précisions très utiles ont été apportées, tantôt techniques, tantôt budgétaires, tantôt militaires ou industrielles, et parfois aussi politiques. Toutefois, un important travail d'écriture reste à faire.
Je suis très heureux de faire ce travail avec vous, car ce n'est pas par hasard que l'on est membre de la commission de la défense ou ministre des armées : il y faut un goût, une appétence, et nous avons tous envie de bien faire.
J'ai toutefois une petite appréhension quant à la qualité des débats que nous aurons dans l'hémicycle, où je redoute une volonté de récupérer le texte à des fins plus politiques, au détriment peut-être d'une approche de fond. Je serai bien sûr à la disposition du Parlement et je ferai avec, mais je suis obligé de constater qu'entre les échanges menés en conférence des présidents ou en amont de l'étude d'impact et la qualité des débats que nous avons eus cette semaine, il y a deux ambiances radicalement différentes, qu'on ne peut ignorer. Que ce soit en matière de défense nationale ou de finances publiques, il est évidemment bien plus facile de travailler avec des personnes qui connaissent le dossier et qui ont vraiment envie d'avancer. J'espère donc que nous pourrons conserver cet état d'esprit, car nos armées ne méritent pas une surpolitisation déconnectée des questions de fond.
En deuxième lieu, il est très étonnant de constater que nos échanges ont porté sur des points certes pas mineurs, mais qui restent des modules accessoires de l'ensemble du texte, alors qu'il existe entre nous des divisions et des désaccords certes sains en démocratie, mais beaucoup plus clivants, brutaux et profonds qu'on ne le croit. Je ne peux pas ne pas voir que les échanges de cette semaine, par ailleurs intéressants et de bonne qualité, actent des divergences profondes quant aux relations extérieures, aux coopérations multilatérales et bilatérales ou aux organisations politiques et militaires dont la France est membre. Cela ne date pas d'hier, mais il faut l'assumer jusqu'au bout, et nos concitoyens doivent être éclairés à ce propos.
Comme je l'ai dit à de nombreuses reprises, nous ne pouvons pas déconnecter le format des armées françaises de nos alliances et des missions que nous voulons leur confier. Quelque intérêt que l'on ait pour les courbes, les marges frictionnelles et les recettes extrabudgétaires, ce qui fait, au bout du compte, le format de l'armée, c'est ce que le pouvoir politique en attend. Cette question n'a pas été traitée jusqu'au bout en commission, mais elle a été entendue et elle mériterait d'être approfondie. De fait, nous n'aurons pas la même armée selon que la France appartiendra ou non à l'Alliance atlantique, qu'elle possèdera ou non la dissuasion nucléaire ou qu'elle agira seule par principe ou acceptera de le faire avec d'autres. Bref je suis frappé de constater combien nous pouvons gratter sur certains détails tout en perdant de vue l'essentiel.
M. Bayou a rappelé plusieurs points sur lesquels nous ne convergerons pas. Au moins, comme je l'ai dit plus tôt à M. Roussel, vous n'avancez pas masqués. Sur les questions européennes et d'autres, je vous souhaite de bonnes conversations au sein de la NUPES. Je le dis sans malice. C'est le fruit d'un héritage politique : ainsi, chez les communistes, on est cohérent depuis 1960 ; dans le nom Europe Écologie-Les Verts, il y a « Europe ». On voit bien que les débats cachent des divergences beaucoup plus profondes. Néanmoins, en tant que citoyen et élu de l'Eure, je suis triste que nos concitoyens, en votant aux élections législatives, n'aient pas vu que les positions étaient aussi peu claires et aussi divergentes sur ces sujets de fond.
En troisième lieu, le travail doit continuer. J'ai pris de nombreux engagements ici, que je tiendrai bien évidemment. N'hésitez pas à nous relancer le cas échéant : si je n'avais pas voulu tenir ces engagements, je ne les aurais pas pris.
Il y a dans la rédaction du texte un enjeu de légistique : mieux la loi sera écrite en amont, moins nous risquons de décevoir en séance. En outre, plus ce travail sera mené autour du rapporteur, plus le texte pourra être affiné – ce qui ne limite évidemment pas la faculté des différents groupes de proposer leurs propres amendements, car il est très important pour la démocratie que chacun puisse marquer sa position. La rédaction finale doit être la plus propre possible, car nous ne reviendrons pas sur cette loi de programmation militaire d'ici longtemps – sauf à élaborer un texte dans la précipitation, ce qui n'est absolument pas le cas de celui-ci.
Je m'efforcerai pour ma part, dans un souci de clarté, de vous communiquer le plus vite possible les amendements du Gouvernement. Ils porteront notamment sur le service de santé des armées, les coopérations et le volet du rapport annexé plus spécifiquement consacré à l'aide à l'Ukraine. Je me suis engagé à avancer sur plusieurs sujets et ce sera, je l'espère, une base qui nous permettra de converger.
Merci en tout cas pour l'accueil que vous m'avez réservé cette semaine.