Vous avez raison sur un point, Monsieur Lachaud : la cible mériterait une présentation plus aboutie. Ainsi, nous aurions pu présenter la réserve par arme – avec le service de santé des armées (SSA), la direction générale de l'armement (DGA)… – ou par grade – une armée de sous-officiers, ce n'est pas la même chose qu'une armée d'hommes du rang.
En ce qui concerne la réserve, mon premier combat est culturel : pardon de cette mauvaise formule, mais les réservistes sont-ils des supplétifs ou bien font-ils partie du modèle d'armée complet ? Nous avons regardé ailleurs. Certaines armées considèrent les réserves comme un apport parmi d'autres ; dans d'autres, la présence de réservistes est obligatoire dans toute opération extérieure (Opex). Nous préférons un modèle très intégré.
Cela veut dire que nous devons nous fixer l'objectif de ne pas avoir d'unité sans réserviste.
Nous devons aussi territorialiser nos objectifs, car il y a une dimension de ressources humaines très importante : on ne parle pas seulement de budget, il s'agit surtout de notre capacité à aller vers, à bien recruter, à fidéliser aussi, car parfois, on n'arrive pas à retenir les réservistes parce qu'on ne les a pas suffisamment employés. Recruter pour fabriquer des déçus, ça ne va pas. Nous ne sommes donc pas arc-boutés sur le rythme auquel nous progressons : ce qui compte, c'est que ça fonctionne.
J'ai aussi demandé à chaque chef d'état-major ou à leurs majors généraux de m'indiquer les particularités de leurs services, certains de ceux-ci étant prioritaires. On ne peut pas traiter tous les sujets que nous avons commencé à évoquer – le cyber, les sauts technologiques – sans changer notre rapport avec la réserve de la DGA. J'ai demandé à Emmanuel Chiva, délégué général pour l'armement, d'élaborer un plan de réserve. Aujourd'hui, pour être réserviste à la DGA, il faut un diplôme d'ingénieur. Or, dans le domaine du cyber par exemple, il y a des gens qui n'ont pas ce diplôme mais qui pourraient être très utiles à nos équipes. Aujourd'hui, à la DGA, il n'y a pas de sous-officiers : tout le monde est ingénieur, il faut donc être officier. Je ne suis pas convaincu que nous n'ayons pas besoin de sous-officiers pour occuper des fonctions particulières. Il y a enfin un problème de pyramide des âges : faut-il expliquer à un génie de 25 ans qu'il va rester sous-lieutenant très longtemps parce que, pour obtenir ses cinq galons panachés ou quatre galons, il faut attendre d'être plus vieux ?
Tout cela ne relève pas vraiment de la LPM, c'est plutôt la politique du Gouvernement, de l'état-major, du commandement. Mais je suis disponible pour débattre en profondeur de ce sujet avec la commission.
Les missions de la réserve sont très diverses. Certaines unités spécialisées font face à des enjeux particuliers. C'est du bon sens : partir sur un bateau pendant quatre-vingts jours, ce n'est pas complètement la même chose qu'être réserviste dans les forces spéciales. Il existe aussi une réserve à la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), dont on parle peu. Il existe aussi des réserves plus larges, plus classiques, qui typiquement permettent d'encadrer la Journée défense et citoyenneté.
J'ai la certitude qu'il faut aller vers une réserve de masse. Évidemment, on ne peut pas parler d'engagement majeur sans une vaste réserve. Mais rétablir un service militaire n'aurait pas de sens : on ne peut pas nier la professionnalisation de nos armées, la nécessité d'une formation spécifique. Être médecin des forces, par exemple, c'est une médecine particulière. Par ailleurs, si l'on veut disposer de capacités expéditionnaires importantes, il faut aussi pouvoir continuer à faire tourner le reste des unités.
Il y a aussi des savoir-faire dont nous n'avons pas besoin en permanence. Les réserves servent logiquement à cela : nous devrons donc continuer à densifier la réserve des experts.
Enfin, on ne peut pas, comme nous le faisions tout à l'heure, parler d'envoyer des unités dans le Pacifique pour donner un coup de main en sécurité civile dans les pays alentour sans parler de réserve. Ceux qui ont lutté contre les feux de forêt l'an dernier étaient pour partie des réservistes. Ces événements vont se faire plus fréquents, il est donc nécessaire de monter en puissance.
Croyez-moi, ce ratio de deux pour un n'a pas été choisi au hasard. Il ne faut pas non plus s'y attacher de façon fétichiste ; ce qui comptera, c'est évidemment le détail de la politique menée. Il faut bien écrire quelque chose, néanmoins, et j'ai préféré un ratio à un nombre : il me semble qu'un réserviste pour deux actifs, cela dit quelque chose du modèle d'armée que nous voulons. Mon rêve, c'est qu'on dise un jour : l'armée française, c'est 300 000 militaires, dont 200 000 d'active et 100 000 réservistes.