Ce week-end encore une embarcation a fait naufrage au large de l'île de Lampedusa faisant au moins deux morts et une vingtaine de disparus. Depuis des années, il ne se passe plus un mois, voire même une semaine, sans qu'un naufrage similaire ait lieu, cette situation n'est pas tolérable. Elle appelle à une réaction forte de l'Union européenne, c'est le sens de la proposition de résolution européenne déposée par le groupe Les Républicains que je vous présente aujourd'hui.
En effet, depuis le pic de la crise migratoire de 2015, la Méditerranée n'a pas cessé de constituer la principale route migratoire vers l'Europe. En 2022, ce sont 180 000 personnes qui ont transité irrégulièrement par cette route pour rejoindre le sol européen alors même que le nombre total de franchissements irréguliers des frontières extérieures de l'Union s'élevait à 330 000, un chiffre jamais atteint depuis 2016. La Méditerranée centrale concentre tout particulièrement l'augmentation des flux migratoires. 90 000 personnes sont arrivées irrégulièrement en Europe par cette route en 2022, tandis que les chiffres fournis par l'Agence Frontex lors des auditions menées dans le cadre de ce rapport, indiquaient une hausse des traversées de 158 % au mois de mars 2023 par rapport à mars 2022.
Derrière l'augmentation de ces traversées se cache le développement des réseaux de passeurs qui prospèrent sans scrupule en exploitant la misère humaine et la vulnérabilité des personnes qui souhaitent se rendre en Europe. En plaçant les migrants dans des embarcations de fortune, parfois femmes enceintes et enfants, souvent sans même gilets de sauvetage, les passeurs portent la responsabilité de la mort de milliers de personnes. La Méditerranée, aux portes de l'Europe, est la route migratoire la plus meurtrière au monde, au moins 26 000 personnes y ont perdu la vie depuis 2014 selon les chiffres de l'Organisation internationale des migrations.
Les réseaux de passeurs sont également un terreau fertile pour le développement de la criminalité organisée alimentant notamment la traite des êtres humains. En effet, la migration irrégulière constitue une source de profits potentiels pour les filières de trafiquants et expose de surcroît les migrants à diverses formes d'exploitation dans les pays de destination, mais aussi dans les points de transit et les camps de migrants.
Face à cette situation, nous devons collectivement faire preuve de responsabilité. La crise engendrée par l'accueil du bateau « Océan Viking » en novembre dernier est révélatrice du manque de coopération des États membres et de la manière dont chacun des acteurs refuse d'assumer ses responsabilités. Il faut rappeler que l'Océan Viking dispose d'un pavillon norvégien, tout en étant opéré par l'ONG française SOS Méditerranée et que les 234 migrants à son bord ont été secourus en Méditerranée centrale dans différentes zones de responsabilités des États libyens, maltais et italiens avant d'avoir finalement accosté en France après avoir sollicité les autorités italiennes sans succès.
Le droit international, et notamment le droit de la mer applicable aux opérations de sauvetage, ne permet pas aujourd'hui, ou que de manière imparfaite, de déterminer clairement les responsabilités de chacun dans cette situation. Le droit de la mer repose sur la Convention de Montego Bay ainsi que sur la Convention sur la recherche et le sauvetage maritime (SAR) et la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS).
Toutefois, ce cadre juridique n'a pas été conçu pour régir le contexte spécifique de prise en charge des migrants ainsi que d'encadrement de bateaux d'ONG se donnant exclusivement pour mission le sauvetage en mer.
Par conséquent, de nombreuses difficultés s'élèvent lorsqu'il faut faire application de ces dispositions. Ainsi, l'obligation de débarquement en lieu sûr mentionnée par le droit international fait l'objet d'interprétation divergentes.
D'une part, il n'existe pas de liste de ports considérés comme sûrs définis au niveau de l'Union européenne.
D'autre part, le droit international ne mentionne pas explicitement une obligation de débarquement vers le port sûr le plus proche. Les dispositions internationales prévoient seulement un débarquement vers un lieu sûr dans le « meilleur délai possible » et permettant au capitaine du navire de s'écarter « le moins possible de la route » du navire. Le choix du lieu de débarquement demeure dans ce cadre largement de l'appréciation du capitaine du navire.
Enfin, la délimitation des zones de responsabilités des États pour la recherche et le sauvetage en mer, dites zone SAR, est souvent conflictuelle tout particulièrement en Méditerranée centrale, entre l'État italien et maltais, libyens. Ces difficultés sont accentuées par le fonctionnement du régime européen d'asile commun. Celui-ci repose sur le système issu du règlement dit « Dublin III » lequel définit l'État membre de première entrée comme responsable du traitement des demandes d'asile et conduit mécaniquement à ce que les pays dans lequel les migrants sont débarqués se voient responsables de la prise en charge des demandeurs d'asile.
Ce s incertitudes du droit de la mer créent un vide de régulation que les ONG exploitent. Que cela soit clair, personne ne conteste la nécessité de sauver les bateaux en détresse. En revanche, il n'est pas normal de laisser cette mission à des entités privées qui poursuivent leur propre agenda plutôt que consacrer des moyens publics en luttant contre l'origine des naufrages en démantelant les réseaux de passeurs.
C'est pourquoi, la proposition de résolution européenne que je vous présente aujourd'hui appelle l'Union européenne et les États membres à reprendre la main sur la situation en mer Méditerranée, en faisant preuve d'une extrême fermeté envers les passeurs d'une part, et en instaurant un véritable encadrement des opérations de sauvetage en mer, d'autre part.
Les propositions présentées par la Commission européenne après la crise de l'Océan Viking vont dans le bon sens. La réactivation du groupe de contact entre États membres en matière de recherche et de sauvetage doit en particulier permettre de définir des lignes directrices communes entre États membres de l'Union pour établir une liste de ports sûrs et clarifier la désignation d'un port le plus proche. Les pays du sud de l'Europe appellent également à porter au niveau de l'Organisation maritime internationale des évolutions en matière des obligations qui incombent aux États du pavillon.
Je crois qu'il faut toutefois aller encore plus loin, en faisant évoluer le mandat de l'agence Frontex afin de lui confier une véritable mission de sauvetage en mer en plus de sa mission de contrôle des frontières extérieures. Le renforcement des missions de Frontex en Méditerranée constituerait un moyen adéquat de promouvoir une meilleure coopération entre États de l'Union européenne dans la région.
L'action contre les passeurs doit en second lieu être intensifiée. Les réseaux criminels opèrent souvent depuis des pays tiers à l'Union européenne, c'est pourquoi, il convient de renforcer les partenariats entre les agences spécialisées de l'Union, notamment Frontex et Europol, et ces pays tiers.
La répression juridique des actes des passeurs doit également être accrue. Le lien des activités des passeurs avec les réseaux de traite des êtres humains est incontestable. L'article 7 du Statut de Rome mentionne l'esclavage « y compris dans le cadre de la traite des êtres humains » comme un crime pouvant être constitutif d'un crime contre l'humanité. Les conditions dans lesquels sont traités les migrants par les réseaux de passeurs, notamment en Lybie, apparaissent largement qualifiables comme tels. Il est nécessaire que ces agissements soient poursuivis devant la Cour pénale internationale avec le soutien de l'Union européenne et des États membres.
Enfin, la coopération avec les pays de la rive sud de la Méditerranée doit être intensifiée en matière migratoire en mobilisant l'ensemble des moyens incitatifs dont dispose l'Union européenne y compris le conditionnement des financements de l'aide au développement.
Chers collègues, la mer Méditerranée constitue un espace stratégique pour l'Europe. La situation humanitaire et sécuritaire appelle des réponses urgentes et fortes de l'Union européenne. Il en va de ses valeurs et de sa souveraineté. Pour cela, je vous invite à voter en faveur de cette proposition de résolution.