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Intervention de Agnès Firmin Le Bodo

Réunion du mercredi 5 avril 2023 à 16h35
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé :

Mesdames les députées, puisque je ne vois aucun homme parmi vous – c'est une façon assez sympathique de concevoir la parité ! –, je vous remercie de me recevoir pour échanger sur les enjeux liés à la santé de la femme.

Le sujet qui nous réunit requiert la mobilisation de chacun : les parlementaires – je serai attentive aux travaux de la mission d'information sur la santé mentale des femmes –, les ministères, le monde associatif et académique, les collectivités locales et le monde de l'innovation. Loin d'être des sujets uniquement sanitaires, la santé des femmes et la lutte contre les violences faites aux femmes appellent des réponses collectives qui dépassent les clivages politiques.

J'aborderai la prise en charge des femmes victimes de violences et la santé de nos professionnelles de santé avant de détailler les différentes mesures liées au suivi de la loi de bioéthique.

L'égalité entre les femmes et les hommes est à nouveau grande cause nationale en ce deuxième quinquennat. La lutte contre les violences faites aux femmes, qui sont la première manifestation de la rupture d'égalité entre les sexes, constitue une priorité pour notre gouvernement. Avec le Grenelle des violences conjugales, en 2019, de nombreuses actions ont été entreprises pour que la parole se libère et que chaque victime puisse être prise en charge. La déclinaison adaptée et réactive des plans de lutte contre les violences faites aux femmes et, plus globalement, la prise en charge des violences intrafamiliales sont inscrites sur la feuille de route de mon ministère.

En 2021, on dénombrait 208 000 victimes de violences commises par leur partenaire ou ex-partenaire et 143 homicides conjugaux, contre 125 en 2020, concernant à 85 % des femmes. Les viols et tentatives de viol ont crû de 31 %, contre une hausse de 27 % en 2020. La part des victimes étrangères, de 15 %, est deux fois plus élevée que la proportion d'étrangers vivant en France. La Guyane, la Seine-Saint-Denis, le Nord, La Réunion, le Pas-de-Calais et le Lot-et-Garonne sont les départements dans lesquels le nombre de victimes conjugales enregistré est le plus élevé. Nul ne peut rester indifférent face à ces chiffres.

Le 25 novembre, j'ai installé au ministère de la santé et de la prévention le comité de suivi des mesures du Grenelle des violences conjugales, afin de réunir tous les acteurs concernés – administrations, mécènes et associations. Cette installation a été précédée d'une représentation de la pièce de théâtre Je me porte bien ! de Sonia Aya, femme policière et auteure ; c'est un outil pédagogique de formation et de prévention.

Mon ministère est notamment chargé du développement des structures dédiées à la prise en charge sanitaire, psychologique et sociale des femmes victimes de violences, suivant le modèle de la Maison des femmes, fondée à Saint-Denis par le docteur Ghada Hatem, au travail de laquelle je rends hommage. Un cahier des charges national du dispositif a été établi, en lien avec un groupe d'experts issus du comité de suivi du Grenelle des violences conjugales. Une instruction nationale destinée aux agences régionales de santé (ARS) a permis de diffuser ce cahier des charges. Un soutien financier national dans le cadre d'une mission d'intérêt général (MIG) de trois ans, de 2020 à 2022, d'un total de 5,1 millions d'euros, complété, le cas échéant, de financements ARS du Fonds d'intervention régional (FIR), et de financements autres venant de collectivités locales, de mécènes et du privé, a permis le soutien de 56 structures avec une moyenne de 3,5 dispositifs soutenus par région.

Alors que les maisons des femmes sont dédiées aux femmes victimes de violences, les centres de santé sexuelle s'adressent à un public plus large. Anciennement centres de planification et d'éducation familiale, ils sont financés par les conseils départementaux. Il s'agit de lieux ouverts à tous pour favoriser l'écoute et la prévention en matière de sexualité : contraception, IST – infections sexuellement transmissibles –, IVG – interruption volontaire de grossesse – et tout ce qui touche à la vie affective et relationnelle. L'on peut y bénéficier d'une consultation médicale par des sages-femmes ou des médecins. Certains centres pratiquent des IVG.

Les maisons des femmes sont situées dans des hôpitaux assurant au moins une activité d'urgence de gynécologie-obstétrique. Elles pratiquent des activités spécialisées comme l'IVG, la chirurgie générale et spécialisée, la psychiatrie et les permanences d'accès aux soins de santé. L'objet de ce dispositif dédié est d'assurer un panel de prestations garantissant la complétude et la qualité des parcours des femmes victimes. Il n'est pas toutefois nécessaire de proposer in situ la totalité des prises en charge visées. Le cas échéant, celles-ci sont organisées par voie de convention avec d'autres établissements de santé ou partenaires de ville, notamment avec les centres de santé sexuelle. À l'occasion du comité interministériel à l'égalité entre les femmes et les hommes, le 8 mars, la Première ministre a annoncé le doublement du nombre de maisons des femmes afin qu'il y en ait une par département à l'horizon 2025.

En 2021, moins d'une victime de violences conjugales sur quatre a porté plainte. Pour faciliter le dépôt de plainte des femmes victimes de violences et encourager le recueil des preuves sans plainte, mon ministère, en lien avec ceux de l'intérieur et de la justice, veille à accélérer la signature de conventions santé-sécurité-justice – 269 avaient été signées fin 2022 et 54 étaient en cours de signature. Il s'agit de permettre le dépôt de plainte à l'hôpital. Un travail conjoint des trois ministères sera engagé pour identifier les freins au développement, favoriser la signature de ces conventions et adapter les modalités de dépôt de plainte pour faciliter l'« aller vers » les victimes.

Le recueil de preuves sans plainte, qui permet aux femmes de prendre le temps de la réflexion et de porter plainte quand elles s'y sentent prêtes, est également une priorité. Entre le 1er janvier et le 30 septembre 2022, 5 367 examens ont été effectués dans ce cadre au sein des unités médico-judiciaires hospitalières. Cela représente une augmentation de 44 % par rapport à 2021.

Les violences conjugales sont à l'origine de nombreux traumatismes psychologiques pour les femmes. Nous devons donc proposer aux victimes une prise en charge adaptée. Le développement des centres régionaux du psychotraumatisme, les CRP, découle des mesures prises dans le cadre des plans de lutte contre les violences faites aux femmes. Certains CRP étaient historiquement spécialisés dans la lutte contre les violences faites aux femmes. En 2021, les données d'activité font état d'une file active composée à 72 % de femmes. Ces centres ont évolué vers d'autres dispositifs concernant toutes les formes de psychotraumatisme : violences faites aux enfants, violences intrafamiliales, actes terroristes, traite des êtres humains. De nouveaux moyens ont été déployés pour la création, en 2020, de cinq nouveaux dispositifs de prise en charge du psychotraumatisme, portant leur nombre à quinze et permettant la couverture de l'Ouest du territoire national. L'ensemble des régions est ainsi couvert, à l'exception de la Corse, de la Guadeloupe, de la Guyane et de Mayotte.

Ces structures doivent assurer deux missions principales : d'une part, prendre en charge tout type de victimes et de violences ; d'autre part, proposer des ressources, des formations et leur expertise concernant le psychotraumatisme, pour favoriser la prise en charge dans les territoires. Les dispositifs retenus constituent des points d'animation et de contact, des pilotes régionaux qui ont vocation à impulser et à soutenir une dynamique de prise en charge. Il est essentiel que tous les acteurs du soin et, plus largement, de la santé travaillent de manière coordonnée pour proposer à chaque personne ayant besoin du système de santé une offre diversifiée et de qualité permettant de l'accompagner dans son parcours vers la résilience.

Pour former les professionnels de santé, un outil d'évaluation de la gravité et de la dangerosité des situations de violence conjugale a été élaboré, en lien avec la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof). Il a été validé par les ordres en novembre 2022. Il comporte un logigramme, un tableau de caractères, une fiche de signalement, un guide pour la remplir, un rappel des recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de santé (HAS) ainsi que des ressources utiles pour aller plus loin.

Le 25 novembre, la HAS a largement diffusé un outil et des vidéos consacrés au dépistage systématique pour encourager les médecins généralistes à questionner systématiquement leurs patientes sur l'existence de violences conjugales actuelles ou passées.

Nous menons également des actions de formation des professionnels en addictologie. La littérature montre que la consommation de substances psychoactives, en premier lieu l'alcool, est constatée dans 40 % des cas de violences conjugales. Aussi avons-nous lancé une campagne de formation ciblée pour les référents chargés des violences faites aux femmes dans les centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie, les Csapa, et dans les centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues, les Caarud. Tous les référents ont été formés.

Mieux connaître pour mieux agir : toujours selon cette logique, je souhaite documenter davantage le sujet des violences sexistes et sexuelles en milieu étudiant. Une étude de large envergure sera lancée avec la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildec) afin de mesurer la prévalence des violences envers les femmes étudiantes et d'identifier les moyens de prévention les plus efficaces.

La santé des professionnels de santé me tient particulièrement à cœur, comme à chacun de nous. Nos professionnels de santé sont précieux ; prendre soin de ceux qui nous soignent est un devoir. Ce sujet n'est pas nouveau, mais il a été mis en exergue par la crise sanitaire. Les problèmes demeurent aigus et vont le rester : bien que nous soyons à l'œuvre pour apporter des réponses rapides, il faudra du temps pour que les résultats se fassent sentir concrètement. J'ai donc souhaité, en prenant appui sur les travaux menés depuis 2017, donner une nouvelle impulsion à ce chantier.

La grande majorité des Français mesure combien l'engagement de ces professionnels qui épousent leur métier par vocation est précieux. C'est une richesse qu'il nous appartient de préserver, ensemble, dans un esprit de solidarité. Or le surmenage auquel ces professionnels sont très souvent confrontés induit des conséquences au plan individuel et collectif et fait peser un risque sur l'ensemble du système de santé.

Si tous les professionnels et toutes les générations sont concernés, deux populations s'avèrent plus à risque : les professionnelles de santé et les étudiants se préparant aux métiers de la santé. La charge de travail et le déséquilibre entre la vie professionnelle et la vie privée affectent leur santé psychique. L'organisation et les conditions de travail ont des incidences sur leur santé physique ; un quart des professionnels de santé a le sentiment d'être en mauvaise santé. En outre, les professionnelles de santé semblent spécifiquement exposées à certains risques sanitaires, dont certains types de cancers. Cette conjugaison de facteurs nuit à l'attractivité des métiers de la santé, lesquels comptaient pourtant encore récemment parmi les orientations professionnelles très valorisées.

En tant que ministre chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé, cette situation m'oblige à rechercher avec vous des réponses structurelles et des solutions durables.

En tant que pharmacienne, en relation avec de nombreux collègues médicaux et paramédicaux, je mesure la force du déni et la détresse qui s'empare des soignants lorsqu'ils perdent pied. J'ai donc engagé un chantier visant à coconstruire avec les professionnels concernés les mesures pragmatiques qui apporteront des réponses concrètes à leurs besoins de santé. J'ai demandé à trois personnes qualifiées – Philippe Denormandie, Marine Crest-Guilluy et Alexis Bataille-Hembert – d'en assurer le pilotage, en lien avec mon ministère. La première de nos priorités est d'arriver à préciser finement les problèmes de santé auxquels sont exposés les soignants.

Le 7 novembre, nous avons lancé avec la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) et la fondation mutuelle nationale des hospitaliers (MNH) un appel à manifestation d'intérêt relatif à la recherche sur la santé des professionnels de santé. Quatre projets ont été retenus le 30 mars, consacrés aux thématiques suivantes : grossesse et maternité chez les professionnelles de santé ; exposome et pénibilité professionnelle dans le secteur de la santé ; santé mentale et addictions, impact du parcours professionnel ; dépistage, incidence et mortalité des cancers chez les personnels du secteur de la santé.

Nous avons lancé, le même jour, une enquête coconstruite avec les différentes fédérations – FHF (Fédération hospitalière de France), FHP (Fédération de l'hospitalisation privée), FEHAP (Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs), Unicancer (Fédération des centres de lutte contre le cancer) –, le groupe SOS, la Croix-Rouge et les organisations représentatives des professionnels de santé – l'UNPS (Union nationale des professionnels de santé), les représentants des libéraux et l'Association française des directeurs de soins (AFDS). Nous souhaitons que cette liste d'une quarantaine de questions soit accessible à tous les soignants. Il s'agit de les solliciter directement et de leur montrer que nous souhaitons apporter des réponses à chacun et chacune d'entre eux.

J'ai également noué un partenariat avec l'association Solidarité avec les soignants, fondée par Anne Roumanoff durant la crise sanitaire pour accompagner leur action et améliorer leur bien-être.

L'application de la loi de bioéthique, enfin, a ouvert aux femmes des droits inédits et attendus de longue date en matière d'AMP (assistance médicale à la procréation). C'est une avancée collective, conforme à l'engagement pris par le Président de la République en 2017. Nous nous réjouissons que les femmes se saisissent de ce nouveau droit : en 2022, 15 100 demandes de première consultation ont été enregistrées en vue d'une AMP avec don de spermatozoïdes au bénéfice de couples de femmes ou de femmes non mariées, contre 6 800 en 2021. Au 31 décembre 2022, l'on recensait 444 grossesses évolutives, correspondant à plus de douze semaines d'aménorrhée, et 21 accouchements issus de ces tentatives depuis août 2021.

Malgré les moyens déployés pour permettre au système d'assumer l'afflux de nouvelles demandes, le délai moyen de prise en charge pour une AMP avec don de spermatozoïdes, de la prise de rendez-vous à la première tentative, est estimé à 14,4 mois, contre 12 avant la loi. Ce délai reste trop important et nous travaillons activement à le réduire. Le ministère a décidé de réunir les centres publics et privés au sein d'un groupe de travail pour poser les bases d'une meilleure coopération entre les acteurs, notamment pour gérer les files d'attente et harmoniser les parcours. Nous sommes convaincus qu'il est possible de réduire le délai moyen en généralisant les bonnes pratiques de prise en charge au cours de l'année 2023. Cela passe, par exemple, par le fait de fournir aux patientes, préalablement au premier rendez-vous, une liste des pièces nécessaires, à la manière de ce qui se pratique en mairie lors des demandes de titres d'identité, ou encore par une meilleure coordination de la prise de rendez-vous avec les différents professionnels durant le parcours, pour éviter que les délais d'attente ne s'additionnent.

En amont de l'AMP se pose la question de la santé reproductive des femmes et de ce qu'elle implique pour les femmes concernées et pour notre société. L'infertilité s'explique par des facteurs environnementaux – des perturbateurs endocriniens –, d'origine médicale – une endométriose, le syndrome des ovaires polykystiques – ou par des comportements sociétaux. Ces derniers ont sur la fertilité des conséquences soit directes – dans le cas de la consommation de tabac ou de cannabis, de l'obésité, des troubles de l'alimentation – soit indirectes, lorsqu'ils entraînent un recul de l'âge de la maternité, sachant que le déclin naturel de la fertilité avec l'âge est le premier facteur d'infertilité.

Dans le cadre de mon action en matière de santé environnementale, je souhaite avancer pour une prise en compte globale de la santé reproductive lors des travaux du quatrième plan national santé environnement, le PNSE4, qui comprend un volet dédié au caractère reprotoxique des produits ménagers, et dans le cadre de la deuxième stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, la SNPE2.

En lien avec votre délégation, je suis pleinement engagée concernant l'ensemble de ces sujets. Je forme le vœu que nous avancions ensemble. Je sais que vous partagez cet état d'esprit.

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