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Intervention de Sébastien Lecornu

Réunion du mercredi 26 avril 2023 à 17h10
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Sébastien Lecornu, ministre :

C'est bien pour des dépenses nouvelles que nous demanderons 1,5 milliard d'euros. Cela n'a rien à voir avec les marches. Les analyses de nos armées font apparaître que, sur certains sujets, nous ne pouvons pas attendre la loi de programmation 2024-2030 pour agir. Le meilleur des exemples, c'est celui de la lutte antidrones : les Jeux olympiques et paralympiques arrivent très vite, et il est nécessaire de passer des commandes. Cela nous permettra aussi, bien sûr, de ne pas retrouver ces dépenses dans la programmation qui vient. Il y a un tuilage entre les deux programmations.

S'agissant des Opex, je souligne qu'on retrouve certaines missions intérieures, comme Sentinelle, sur la même ligne budgétaire. La diminution importante est due à la fin de l'opération Barkhane. La provision demeure plus importante qu'elle ne l'était avant 2017. En 2024, nous prévoyons une provision supplémentaire pour les missions intérieures, en raison des Jeux olympiques et paralympiques. Cette provision ne doit pas contraindre l'activité de nos forces : le Parlement rouvrira ensuite des crédits s'il le faut.

Madame Louwagie, les marches d'une loi de programmation militaire doivent en effet être soutenables : dès lors que nous prévoyons une exécution à l'euro près, nous devons être sérieux. Je pourrai y revenir par écrit, si cela paraît nécessaire.

Si les dépenses augmentent après 2027, c'est parce que certains besoins physiques apparaîtront à ce moment-là – ce n'est pas à cause de l'élection présidentielle ! Je pense à la modernisation de la dissuasion, à la conduite du programme relatif aux porte-avions : nous aurons besoin que « ça crache » en crédits de paiement, si vous me permettez l'expression ! Mais nous aurons déjà fait deux tiers du chemin.

Oui, il y a une élection présidentielle en 2027 : il nous reviendra, aux uns et aux autres, de nous montrer responsables et de choisir des candidats qui s'engageront à soutenir nos forces armées. Cela n'a pas toujours été le cas ! Je ne suis pas sûr qu'à chaque élection, notamment législative, on parle aux électeurs de l'appartenance à l'Otan, de la dissuasion nucléaire, de l'exportation de nos armes… Pourtant, une nouvelle législature, un nouveau Président de la République pourraient remettre en cause, ou accélérer, ce que nous décidons. D'ailleurs, une loi de programmation n'est pas contraignante : si vous décidez de faire, en loi de finances annuelle, le contraire de ce qu'elle prévoit, vous le pouvez. Je le redis souvent aux forces armées !

Aujourd'hui, les marches inscrites dans le projet de LPM sont compatibles avec la trajectoire que MM. Le Maire et Attal vous ont présentée. Le contraire serait insincère. Ces montants reflètent des choix politiques de la Nation : au vu du contexte sécuritaire mondial, j'espère que la nécessité de nous réarmer apparaît clairement, pas seulement pour faire des stocks d'armement mais aussi pour investir des domaines nouveaux, comme celui du cyber.

Monsieur de Courson, nous avons aujourd'hui quatre SNLE, et pour la troisième génération de la nouvelle classe, notre cible est toujours de quatre. Nous assurons en effet une permanence à la mer, et un autre bâtiment est toujours en « arrêt technique majeur » – une maintenance renforcée. Pour le reste, cette audition étant publique, je ne rentre pas dans les détails, vous le comprendrez. Je suis évidemment à la disposition des parlementaires qui peuvent en connaître. Il en va de même pour les sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) : la cible des Barracuda reste à six. Vous savez que nous avons inauguré le premier de cette série, le Suffren. Notre souveraineté en matière de propulsion nucléaire est ainsi garantie.

Certaines menaces sont propres à nos territoires d'outre-mer, que l'on ne peut pas détacher de leur environnement régional : dans le cas de Mayotte, il y a la crise migratoire, mais aussi l'enjeu de la lutte antiterroriste dans le golfe du Mozambique. Il faut aussi évoquer l'intégrité de nos zones économiques exclusives (ZEE), donc leur protection contre la pêche illégale. Nos infrastructures ultramarines sont également vulnérables aux menaces cyber. Je pense encore à des intérêts souverains très spécifiques, comme le Centre spatial guyanais.

Nous prévoyons donc un renforcement majeur des forces prépositionnées outre-mer. Pour les Fazsoi, c'est-à-dire à La Réunion et à Mayotte, des moyens de patrouille supplémentaires, notamment d'aviation, sont prévus. Il y a un enjeu technologique, notamment en matière de drones. Alors que nos territoires d'outre-mer ont souvent été les derniers à bénéficier des nouvelles technologies, je souhaite au contraire, en raison de la tyrannie des distances, qu'ils soient désormais les premiers. La Polynésie est grande comme l'Europe, la Guyane comme le Portugal, la Nouvelle-Calédonie comme l'Autriche : sur le spatial ou sur les drones, c'est évidemment là qu'il faut mettre le paquet. Cela aidera aussi les forces de sécurité intérieure à lutter contre l'immigration illégale. Ce sera vrai aussi en matière d'aviation de transport : aujourd'hui, les moyens sont dans l'Hexagone et nous les projetons vers les outre-mers ; nous devons installer davantage de moyens à demeure à La Réunion comme à Mayotte, afin de déployer des forces plus rapidement de La Réunion vers Mayotte, notamment. J'aurai prochainement un échange avec Mme Youssouffa sur ces questions.

Vous m'interrogez sur les niveaux de nos stocks de munitions. C'est une question très importante pour la bonne gestion de nos finances publiques. Il faut que nos stocks soient suffisants pour que nos armées puissent réagir vite, puis soutenir leur effort dans la durée ; mais notre modèle repose aussi sur une réactivité de nos industriels, qui doivent être capables de basculer en économie de guerre si la mission doit se poursuivre. C'est le modèle gaullien : si on s'en dit l'héritier, il faut le célébrer et le défendre. Pour imaginer le projet de LPM, nous avons fait des choix opérationnels : nous voulons pouvoir déployer par exemple deux brigades, une division de 12 000 hommes, ce qui n'a rien d'anecdotique, à horizon 2027 et non 2030. Cela implique de se demander en combien de temps nous voulons pouvoir réagir, et combien de temps nous voulons pouvoir tenir – du service de santé des armées aux capacités de transport, en passant par les stocks de munitions. Cela implique aussi de se demander ce que nous devons pouvoir faire seuls, et ce que nous pouvons faire à plusieurs. La France a des alliés : qu'attendons-nous d'eux ? Cette question permet de faire le départ entre ce qui relève directement de notre souveraineté, c'est-à-dire ce que nous voulons à tout prix faire seuls, et ce qu'il est moins grave de faire à plusieurs. Là aussi, c'est le modèle gaullien : nous sommes membres de l'Otan, même si nous conservons une liberté particulière. Nous avons plutôt vocation à emmener les autres : sur notre groupe aéronaval, avec le Charles de Gaulle, on branche la marine de guerre grecque, la marine de guerre italienne…

Nous devons donc disposer d'assez de munitions pour tenir un certain nombre de semaines ou de mois – la durée exacte est classifiée, vous le comprenez –, mais aussi pouvoir déclencher d'un coup de sifflet une économie de guerre qui produit de nouvelles munitions. L'argent du contribuable ne doit pas servir à thésauriser des années de munitions : nous avons connu des stocks critiques trop bas, mais il ne faut pas tomber dans l'excès inverse.

Nombre d'entre vous sont revenus sur la question des 13,3 milliards d'euros. Je veux vous rassurer. Au sein de cette somme, il faut d'abord compter 7,1 milliards de vraies recettes. L'histoire du ministère des armées nous permet de disposer de recettes affectées : il n'y a pas d'affectation budgétaire, c'est un principe, sauf au ministère des armées, puisque les parlementaires ont décidé par exemple qu'en cas de vente d'un terrain militaire, l'argent est affecté au ministère des armées. Aujourd'hui, c'est anecdotique : on ne vend plus grand-chose. Nous avons aussi d'autres revenus : la direction générale de l'armement (DGA) facture parfois des essais à des industriels ; les consultations du service de santé des armées sont remboursées par l'assurance maladie. Ce sont des recettes qui existent, qui sont documentées. C'est du vrai argent !

Une partie de ces 7,1 milliards d'euros est destinée à l'aide à l'Ukraine, que j'ai évoquée tout à l'heure. Elle a des effets sur le format des armées dans la mesure où nous remplaçons le matériel donné. Par ailleurs, il me semble important, pour des raisons de transparence démocratique, que la ligne apparaisse clairement : si elle avait été noyée dans les 400 milliards, vous auriez protesté, et à juste titre.

Le reste des 13,3 milliards, c'est-à-dire 6,2 milliards, viennent de ce que nous savons de la vie budgétaire des armées : des marges frictionnelles et du report de charges. Dans toutes les LPM précédentes, certaines dépenses ont bougé. En toute sincérité, nous avons inscrit dans la programmation la réalité de ce que nous constatons ; M. Moscovici, président du HCFP, a montré que cette transparence était nouvelle. Il a pointé du doigt les marges frictionnelles ; je les documenterai précisément.

Monsieur Jolivet, l'histoire des reports de charges, c'est celle de la cigale et de la fourmi ! C'est un outil de gestion de l'inflation : lorsque les critères d'inflation étaient très favorables, Florence Parly a eu raison de réduire les reports de charges ; l'inflation est mauvaise aujourd'hui, nous utilisons donc cet outil pour amortir le choc. J'en appelle à la cohérence de tous : l'inflation s'impose à nous. Soit j'utilise les outils dont le Parlement a doté le ministère des armées, soit nous subissons le choc d'inflation d'un seul coup ! Il faut trancher, et je vous demande de bien vouloir accepter ce report de charges, pour amortir le choc. Là encore, nous pourrons détailler nos explications.

Merci d'être revenu sur Cegelog : ce contrat, signé il y a un peu plus d'un an, dit aussi quelque chose de la manière dont on envisage désormais les logements de nos soldats. Il court sur trente-cinq ans. Pour ce projet de LPM, les budgets sont là. Il faut maintenant conduire les opérations et construire ces logements.

Vous avez raison, il y a un enjeu industriel dual : les dépenses militaires inscrites dans ce projet de LPM serviront de locomotive pour des applications civiles. Je pense par exemple aux drones. Il y a aussi un enjeu majeur de souveraineté, donc de relocalisation de certaines fonctions. Nous avons ainsi, au fil du temps, laissé la production de poudre partir loin à l'étranger, hors de l'Union européenne ; la coupure des routes d'approvisionnement au moment de la crise du covid nous a réveillés en nous montrant que nous étions dépendants de pays d'Asie du Sud-Est. C'est pourquoi j'ai annoncé la relocalisation à Bergerac de la production de poudre pour les obus de 155 millimètres ; huit projets sont en cours. C'est une question de souveraineté, mais aussi de modèle de défense : nous devons pouvoir exporter.

Monsieur Brun, les recyclages de crédits sont peu élevés : nous ne mettons fin prématurément à aucun programme de l'actuelle LPM. Si nous augmentons les crédits, c'est principalement pour des programmes nouveaux. Il n'y a donc pas vraiment de crédits à récupérer… Il y a plutôt une belle continuité des deux programmations : c'est le cas pour le programme Barracuda, par exemple.

Je l'ai dit, nous disposons de nombreux instruments pour que nos crédits ne soient pas rognés par l'inflation. Si elle devait être durablement sévère, il est évident que je reviendrais vers vous, soit pour vous demander des crédits nouveaux, soit pour constater qu'il faut renoncer à certains programmes. Mais nous ne sommes jamais à l'abri d'une bonne nouvelle, et pour le moment, l'inflation est régulée, et aucun programme militaire n'est annulé ou décalé en raison de l'inflation, grâce aux reports de charges et aux crédits supplémentaires votés en collectif budgétaire en 2022.

Quoi qu'il en soit, cette programmation devra être remise à jour, soit pour des raisons militaires et géostratégiques, soit pour des raisons macroéconomiques. L'ajustement annuel de la programmation militaire (A2PM), c'est-à-dire la mise à jour de la LPM au sein du ministère des armées, doit se faire davantage en lien avec le Parlement, en amont de la discussion du projet de loi de finances.

Vous parlez de modèle d'armée complet miniature. C'est un vieux débat, mais intéressant ! Le projet de LPM est construit en fonction de la réalité des missions que nous pouvons confier à l'armée française dans les cinq à dix ans qui viennent. Je reviens à ce que je disais des comparaisons stupides avec l'Ukraine : on voudrait nous préparer à des menaces qui ne sont pas d'actualité ou qui ne peuvent pas exister. Sur certaines capacités, nous serons toujours échantillonnaires : certaines missions seront toujours expéditionnaires, et nous n'avons pas vocation à les mener seuls. Inversement, sur d'autres segments, nous devons nous renforcer, parce que nous pouvons être amenés à être les premiers à marcher, seuls peut-être. C'est le cas dans nos outre-mers : ce serait une terrible humiliation de devoir demander à un pays riverain d'un de nos territoires ultramarins de nous aider à faire face à une crise majeure. La crédibilité du projet de LPM est un facteur clé : cela nous évite le fantasme de certaines missions imaginaires, mais cela nous évite aussi de passer à côté de certains risques bien réels.

Monsieur Laqhila, le MGCS est le char du futur, qui viendra après le char Leclerc – pour lequel une rénovation à mi-vie est prévue dans le projet de LPM. Je rencontre mon homologue allemand à Madrid ce vendredi, en marge d'une réunion consacrée au système de combat aérien du futur (Scaf). Nous devons affiner les besoins de nos deux armées de terre. L'Allemagne est chef de file pour le MGCS, comme la France l'est pour le Scaf. Nos lignes rouges n'ont pas bougé : nous voulons pouvoir exporter sans dépendre de décisions allemandes, car notre stratégie d'exportation doit rester souveraine ; nous devons aussi fixer certaines compétences, qui doivent être bien délimitées, comme c'est le cas pour toutes les coopérations.

En Afrique, il y a une réduction d'empreinte, mais il n'y a pas de fermetures. Nous allons demander à nos forces prépositionnées sur ce continent et qui dispensent des formations d'élargir le périmètre de celles-ci. Nous aurons moins de forces à demeure, et plus de forces tournantes venues de l'Hexagone. Il faut aussi dissocier les bases militaires où il y a de l'appui au combat – Abidjan, nos bases au Tchad ou au Niger – de celles qui ne font que de la formation – au Sénégal ou au Gabon. Du point de vue budgétaire, ces évolutions ne créent ni économie, ni dépense nouvelle : nous allons faire autant, mais différemment.

Monsieur Hetzel, vous savoir déçu m'attriste. Certains des chiffres que vous avez donnés ne sont pas exacts : vingt-huit livraisons de Rafale sont prévues pour la période allant de 2019 de 2025, contre quarante-six nouvelles livraisons entre 2024 et 2030, soit une augmentation de 65 %. Concernant les drones, il y a une coquille dans le tableau : la cible ne change pas.

Mais peu importe. Sur le fond, c'est un choix politique qui attend les parlementaires : quel équilibre voulons-nous entre la cohérence et la masse ? Quand on voit les crédits militaires augmenter et la fin de certains programmes, prévue pour 2030, être décalée à 2031 ou 2032, je comprends que l'on s'interroge. La réalité, c'est qu'on a longtemps privilégié la masse, et les chiffres en augmentation dans les tableaux, sans se préoccuper de la cohérence, c'est-à-dire de la formation, des pièces détachées, de l'entretien, des munitions… Je cite souvent l'exemple de nos hélicoptères : sur le papier, les cibles étaient plutôt satisfaisantes, mais la disponibilité des matériels était médiocre. Pendant longtemps, même quand les dépenses militaires diminuaient, on n'a pas voulu diminuer le nombre de matériels, et on a plutôt abîmé le maintien en condition opérationnelle (MCO), le soutien, les infrastructures.

Je prends souvent une image dont vous me pardonnerez le côté un peu décalé : préférez-vous 400 cafetières Nespresso sans capsules, sans eau, sans électricité et sans personne pour les entretenir, ou 200 de ces mêmes cafetières avec de l'eau, de l'électricité, des capsules et des gens pour les faire fonctionner ?

S'agissant des Griffon, par exemple, il n'y a pas d'annulation ; simplement, la fin du programme est décalée vers la prochaine programmation, parce que nous avons choisi une cible un peu inférieure dans la période qui s'ouvre, mais avec les infrastructures d'accueil – par rapport aux matériels précédents, on change d'échelle, donc il faut des parkings, des hangars… Nous voulons aussi arrêter ce qui s'est fait pendant des années : remettre les équipements à plus tard. Ainsi, dans le cas des MRTT – avions multirôles de transport et de ravitaillement –, on fixait une cible de matériels en remettant à une prochaine LPM l'achat de brouilleurs. Je préfère acheter dès maintenant les composantes de brouillage, quitte à commander moins d'avions… C'est aussi le cas pour la formation, la disponibilité, l'entretien ; c'est de ce fait bon pour nos industriels, puisqu'ils facturent le MCO au ministère. Bref, les cibles ne sont pas réduites, elles sont étalées, et l'argent n'est pas économisé mais utilisé pour renforcer la cohérence.

Je reviens à ce que je disais tout à l'heure du déploiement d'une division et de deux brigades en 2027, et je vous renvoie aussi à ce qui s'est passé ce week-end au Soudan : ce n'est pas le tableau des cibles qui fait l'efficacité militaire ; c'est la disponibilité de nos Griffon, mais aussi de personnels bien formés et de munitions. J'ai tenté de l'expliquer au président Marleix lorsque je l'ai reçu pendant une heure et demie il y a trois semaines ; je vois que les mêmes arguments reviennent, c'est donc que je n'ai pas été clair.

Ce que je vais dire sera sans doute mal interprété, mais tant pis : il est clair que les industriels préfèrent, eux, la masse. Ma responsabilité est de vous présenter une copie, préparée par nos états-majors, qui privilégie la cohérence.

Avec une programmation de 413 milliards d'euros, la visibilité s'améliore pour nos industriels. La LPM qui s'achève et celle qui commence donnent quasiment douze ans de prévisibilité. Tous les segments ne se valent pas : certaines technologies sont en fin de vie, d'autres doivent au contraire être protégées, comme la propulsion nucléaire. Pour d'autres encore, nous attendons des industriels qu'ils financent des recherches et qu'ils innovent : c'est le cas des drones, à propos desquels les choses avancent bien.

Nous en revenons au modèle gaullien, qui repose sur une prise de risque à l'exportation. Il faut l'assumer. Le modèle des Rafale fonctionne, mais il a fallu de la ténacité. Le président Sarkozy avait du mal à en vendre, vous vous en souvenez ; mais la persévérance a payé, car c'est aujourd'hui un succès à l'export. Je mets sur les industriels une pression saine et bienveillante : nous ne pouvons pas ne pas exporter, surtout au moment où de nombreux pays, notamment dans la zone Indo-Pacifique, ne veulent acheter ni à Moscou, ni à Pékin, ni à Washington et trouvent à Paris un non-alignement gaullien qui les intéresse. C'est ce qui fait le succès du Rafale en Indonésie, aux Émirats arabes unis, en Inde. Nous, responsables politiques, devons trouver un équilibre : nous devons dégager des financements suffisants pour protéger nos technologies, tout en laissant une tension suffisante pour inciter les industriels à se montrer agiles et musclés à l'exportation. C'est aussi ce qui fera la puissance française.

Monsieur Salmon, vous avez parlé d'insincérité ; vous êtes dur ! Je crois vous avoir répondu. Je pourrais reprendre cette démonstration par écrit. L'argent est là ; les marges frictionnelles comme les reports de charges ont toujours existé. Les recettes extrabudgétaires existent elles aussi bel et bien.

S'agissant de l'inflation, je préfère les euros courants. Ce sont des euros budgétaires, ils sont lisibles et votés par le Parlement. Les armées ont été jadis trompées par les euros constants, comme si l'inflation n'existait pas : en réalité, les moyens diminuaient. Nous disposons, je l'ai dit, de différents mécanismes pour gérer l'inflation. Je pourrai y revenir lors d'autres débats.

Monsieur Lacresse, il y a un changement de dimension, mais, je le redis, dans la cohérence. Vous avez pu constater, dans les visites de régiments que nous avons faites ensemble, que nos militaires préfèrent cela – ils ont aussi été déçus par les promesses de masse faites dans le passé. Nous continuons aussi nos efforts de réparation, qui pèsent lourd dans la maquette globale.

La coopération franco-allemande fonctionne bien, comme d'ailleurs l'escadron franco-allemand de transport tactique C-130J basé à Évreux. Les Allemands en sont aussi satisfaits.

Vous m'interrogez sur l'impact industriel. Je n'ai pas assez parlé d'économie de guerre, mais c'est une des grandes leçons de la guerre en Ukraine : quand la Pologne préfère acheter en Corée du Sud plutôt qu'aux États-Unis parce qu'elle trouve que les Américains ne produisent pas assez vite, c'est une sérieuse alerte pour notre industrie de défense française. Nous avons la technologie et la compétence ; sur les prix et les délais, il faut continuer de progresser.

Sur le pacte de stabilité, je me ferai peut-être gronder par mes collègues de Bercy, mais vous avez raison : on ne peut pas ne pas voir que, depuis le Brexit, il y a une seule grande puissance qui dispose d'une armée d'emploi, dotée de l'arme nucléaire, et qui est la première à marcher pour mettre à l'abri nos ressortissants mais aussi ceux de nombreux autres pays européens, comme on l'a vu au Soudan. Dans les réflexions sur la coordination des politiques publiques au sein de l'Union européenne et de l'Otan, au delà des 2 % de PIB, il faut prendre en considération le fait que beaucoup de pays européens profitent de notre puissance militaire. Il me paraît sain de poser la question.

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