Merci monsieur le président. Je tiens tout d'abord à rappeler la divergence que j'ai eue avec mon co-rapporteur sur le périmètre de la mission. En effet, son champ est restreint aux dispositifs d'intéressement, de participation, d'épargne salariale et à la PPV, alors même que le premier instrument de partage de la valeur demeure l'augmentation des salaires. La prime dite « de partage de la valeur », elle, n'est qu'une prime de pouvoir d'achat habilement rebaptisée, qui ne permet pas d'améliorer durablement le partage de la valeur entre capital et travail.
L'un des constats de la mission est que ce partage est stable depuis 1990. Toutefois, d'une part il s'est stabilisé à un niveau inférieur de 6,8 points à la période 1970-1985, et de 3,4 points à la période 1949-1969 ; d'autre part ces chiffres sont faussés par l'optimisation fiscale croissante, qui déplace de la valeur ajoutée vers des pays à fiscalité plus favorable, notamment par le biais des prix de transfert, diminuant ainsi artificiellement la part du capital dans la valeur ajoutée. Les travaux du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii) ont ainsi mis en évidence que les profits non déclarés en France atteignaient 36 milliards d'euros en 2015, soit 1,6 % du produit intérieur brut (PIB). Ce montant a ainsi été multiplié par trois par rapport au début des années 2000.
Sur les dispositifs en eux-mêmes, les travaux de la mission d'information permettent de mettre en lumière la nécessité d'apporter certaines améliorations. D'abord, concernant la PPV, il convient de souligner son effet de substitution à l'augmentation des salaires, évalué à 30 % par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), cette estimation étant convergente avec les études antérieures portant sur la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat (Pepa).
C'est pourquoi il apparaît opportun, au minimum, de séparer les temps de négociations obligatoires dans l'entreprise, entre celles consacrées aux salaires, d'une part, et celles sur les dispositifs de partage de la valeur, d'autre part, afin de garantir, comme le rappelle l'ANI, le principe de non-substitution. Mais surtout, il apparaît essentiel, dans la période actuelle, de soutenir la dynamique salariale par l'augmentation du Smic et la conditionnalité des aides aux entreprises, plutôt que de la freiner, en soutenant des primes ponctuelles.
Il faut de plus noter que les autres dispositifs de partage de la valeur souffrent de la concurrence, voire de la cannibalisation de la PPV, très simple à mettre en œuvre, mais qui n'est pas un dispositif négocié permettant de partager des objectifs collectifs.
La participation, quant à elle, est minorée par la structuration juridique des groupes, concentrant les résultats dans les holdings au détriment des centres de coûts, et donc de leurs salariés, et plus encore quand les groupes mettent en œuvre des schémas d'optimisation fiscale, voire de fraude fiscale. Dans ce dernier cas, certains verrous juridiques empêchent les salariés de récupérer leur juste prime de participation, même quand la fraude fiscale est avérée.
Il convient donc d'abord de calculer la participation au niveau des groupes pour permettre aux salariés de bénéficier d'un partage équitable des résultats, et surtout d'abroger l'article L. 3326-1 du code du travail, pour permettre un recalcul de la participation en cas de redressement fiscal des entreprises.
Il paraît également pertinent de reprendre la formule de participation issue des débats du Conseil d'orientation de la participation, de l'intéressement, de l'épargne salariale et de l'actionnariat salarié (Copiesas), soit 10 % du résultat comptable, pour la rendre plus juste et plus lisible.
Les travaux de la mission ont par ailleurs mis en évidence que les dispositifs de partage de la valeur ont à ce jour un effet redistributif dans l'entreprise, mais anti-redistributif dans la société, car ils profitent plus aux salariés des grands groupes, qui sont déjà ceux qui sont les mieux rémunérés. Ainsi, à peine 3 % des entreprises de 10 à 49 salariés ont distribué des primes de participation en 2019, contre 51 % de celles ayant plus de 1 000 salariés. L'enjeu est donc bien l'accès des salariés des entreprises de moins de 50 salariés aux dispositifs d'intéressement et de participation.
L'ANI a souhaité répondre à ce besoin, en rendant obligatoire un dispositif de partage de la valeur dans les entreprises de 11 à 49 salariés si l'entreprise réalise un bénéfice supérieur ou égal à 1 % du chiffre d'affaires pendant trois années consécutives. Cependant, l'inclusion de la PPV dans les dispositifs à mettre en œuvre en limite singulièrement la portée, d'autant plus que celle-ci se substitue, en partie, à des augmentations des salaires. Il convient donc de privilégier les dispositifs de participation et d'intéressement à la PPV dans les entreprises de moins de 50 salariés. De plus, la mise en place de cette obligation sera tardive, n'engendrant pas de distribution effective avant 2025. Enfin, aucune obligation quantitative n'est imposée par cet article : si nous traduisions tel quel l'ANI, il pourrait se traduire par la distribution aux salariés des entreprises de 11 à 49 salariés d'une PPV d'un montant d'un euro en 2025.
L'ANI comprend également des dispositions en cas de résultats exceptionnels de l'entreprise. On notera néanmoins que la mise en œuvre de ces dispositions reste très incertaine, la définition des résultats exceptionnels étant renvoyée à l'appréciation de l'employeur. En l'état, la disposition pourrait de plus ne concerner que les salariés de certaines entités des grands groupes, négligeant les sous-traitants et l'ensemble de la chaîne de valeur et accentuant encore le phénomène d'un salariat à deux vitesses. Il y aura donc nécessité de définir plus précisément la notion de résultats exceptionnels et d'étendre la redistribution qui en découle à l'ensemble de la chaîne de valeur, via un fonds dédié à l'intéressement des TPE-PME ou une redistribution aux salariés des sous-traitants.
Enfin, il paraît utile de consolider la transparence de la gestion de l'épargne salariale et son utilisation en accord avec les limites environnementales. En ce sens, il conviendra de renforcer les incitations à l'investissement responsable, et d'améliorer l'information des épargnants.