Merci monsieur le président. À l'issue de plusieurs mois de travaux, nous avons l'honneur de venir présenter devant les membres de cette commission les conclusions de la mission d'information sur l'évaluation des outils fiscaux de partage de la valeur dans l'entreprise.
Je tiens d'abord à remercier les administrateurs de la commission des finances pour le travail remarquable qu'ils ont accompli depuis le mois de décembre à nos côtés, ainsi que nos équipes. Je salue enfin Eva Sas pour la qualité du travail que nous avons mené ensemble.
Depuis janvier, nous avons auditionné une quarantaine d'acteurs, qui nous ont permis de nourrir nos travaux de leurs réflexions sur l'état du partage de la valeur en France, qui allaient au-delà des questions fiscales et sociales. Je pense ici aux organisations syndicales et patronales, économistes, universitaires, administrations publiques ainsi qu'aux associations et fédérations spécialisées sur ces sujets. Ces auditions se sont déroulées dans un climat d'écoute et les échanges furent respectueux et nourris.
Au cours des auditions, l'ensemble des organisations syndicales nous ont fait part de leurs revendications en termes de revalorisation des salaires. Les organisations patronales ont quant à elles attiré l'attention de la mission d'information sur la nécessité de préserver un climat normatif favorable aux entreprises et d'offrir une certaine souplesse.
Ces auditions nous ont permis d'établir divers constats. Tout d'abord, la France est le deuxième pays d'Europe en matière de déploiement des outils de partage de la valeur qui sont complémentaires à la rémunération, qu'il s'agisse des dispositifs d'intéressement, de participation, d'épargne salariale et de prime de partage de la valeur (PPV).
Ces outils constituent un complément important aux salaires et sont particulièrement utiles pendant la période d'inflation que nous connaissons. Même si notre pays se situe en bonne place dans le domaine du partage de la valeur, de fortes inégalités persistent entre les salariés des petites et moyennes entreprises (PME) et ceux des grandes entreprises.
En effet, la part des salariés couverts par au moins un dispositif n'est que 20 % dans les entreprises de 10 à 49 salariés, alors qu'elle est de 89 % pour les entreprises de plus de 1 000 salariés. Il nous est apparu nécessaire de corriger de cette situation ; c'est une question de justice sociale.
À ce titre, nous pouvons saluer collectivement l'accord national interprofessionnel (ANI) sur le partage de la valeur, qui a été conclu le 10 février 2023 par les partenaires sociaux. Je pèse mes mots : cet accord est historique et particulièrement utile dans un secteur où le dialogue social a connu quelques troubles. Réunissant la plupart des organisations syndicales ainsi que les organisations patronales, il constitue la preuve que le dialogue social existe et fonctionne en France et que consensus et ambition ne sont pas des notions contradictoires.
Cet accord permettra de réduire les inégalités entre les salariés des grandes entreprises et les salariés des PME, pour introduire plus de justice sociale. Alors que 53 % des salariés du secteur privé bénéficient actuellement d'au moins l'un des trois outils de partage de la valeur, grâce à l'ANI, jusqu'à 1,5 million de salariés supplémentaires pourront profiter d'un tel dispositif.
Les travaux de la mission d'information et la conclusion de cet accord sur le partage de la valeur permettront à la représentation nationale de s'emparer de ce sujet essentiel pour améliorer le pouvoir d'achat, première préoccupation des Français, pour instaurer une répartition plus équitable des bénéfices et pour introduire plus de justice entre les entreprises.
Dans les semaines à venir, l'accord du 10 février 2023 sera transcrit dans la loi et fournira l'occasion de réconcilier démocratie participative et démocratie parlementaire. Il était donc indispensable que nous rendions nos conclusions au préalable. La loi sur le partage de la valeur s'inscrira dans la continuité de ce que nous avons fait pendant six ans, c'est-à-dire agir pour améliorer le pouvoir d'achat. Il est de notre responsabilité collective que, demain, le travail paye mieux et que nous puissions transcrire cet accord. J'espère qu'il permettra de nourrir un débat constructif en commission et dans l'hémicycle, qui pourra aboutir à des mesures concrètes pour nos compatriotes.
La transcription de l'ANI dans la loi ouvrira de nouveaux droits pour les salariés. D'abord, les entreprises de 11 à 49 salariés auront désormais une obligation de mettre en place un dispositif de partage de la valeur lorsqu'elles réalisent un bénéfice supérieur ou égal à 1 % du chiffre d'affaires au cours des trois années précédentes. C'est historique et je salue l'effort des fédérations pour aboutir à cette solution.
D'un commun accord avec ma co-rapporteure, nous souhaitons que cette obligation prenne effet dès le 1er janvier 2024, alors que l'ANI prévoyait sur ce point une entrée en vigueur au 1er janvier 2025. De plus, nous souhaitons que les salariés du secteur de l'économie sociale et solidaire (ESS), qui ne génèrent pas de bénéfices par définition, puissent être plus largement bénéficiaires de ces dispositifs, en particulier sur l'intéressement. Nous voulons également qu'il en soit de même pour les fonctionnaires et les agents publics qui, s'ils peuvent bénéficier de ces dispositifs, notamment une prime de performance collective, sont assez peu touchés jusqu'à présent.
Par ailleurs, je suis personnellement favorable à ce que la PPV soit prolongée pour les entreprises de moins de 50 salariés et assouplie pour les entreprises de moins de 11 salariés, sans condition d'ancienneté et de temps de présence dans l'entreprise. La prime de partage sur la valeur est plébiscitée par les petites entreprises car elle est lisible et facile à mettre en place, bien qu'il existe des effets de substitution avec l'augmentation des salaires. Mais il faut rappeler que les très petites entreprises (TPE) et les PME ont moins de visibilité à moyen et long terme sur le résultat qu'elles vont réaliser.
Afin de soutenir davantage le pouvoir d'achat des classes populaires et des classes moyennes, je souhaite également que nous permettions le déblocage d'une épargne salariale dans un plafond de 1 000 euros par an pour les salariés dont le revenu fiscal est inférieur à trois fois le salaire minimum de croissance (Smic).
Nous sommes conscients que ces dispositifs ne résoudront sans doute pas la question des salaires, ni ne répondront à la question de la substitution à l'augmentation des salaires. Cependant, cet accord et les ajustements que nous proposons permettront demain l'accès à ces dispositifs pour des centaines de milliers de Français, voire des millions. Il faut s'en saisir, bien au-delà de nos rangs.
Chers collègues, nous devons collectivement répondre à cette ambition politique forte : instaurer un meilleur partage de la valeur et un meilleur partage des bénéfices en France. Ce sont des questions de justice et d'intérêt général. Je suis persuadé que malgré nos divergences, nous saurons nous montrer à la hauteur de cet enjeu majeur pour le pouvoir d'achat des Français, au-delà des clivages politiques et sur tous les bancs.