Dans le cadre de son ordre du jour réservé, le groupe GDR-NUPES a fait le choix de reprendre une proposition de loi transpartisane que Philippe Brun avait défendue à l'occasion de la niche du groupe Socialistes et apparentés, qui avait fait l'objet d'un large consensus en première lecture, à l'image de celui qu'avaient su construire nos prédécesseurs à la Libération, quand ils avaient considéré l'énergie comme un bien commun qu'il convenait de préserver, et qu'ils avaient conçu EDF, fleuron national chargé de concrétiser cette intention, comme un outil public.
Marcel Paul disait, en 1945 : « L'électricité, c'est l'armée de la reprise économique. […] Il ne s'agit pas seulement, d'ailleurs, d'un problème économique, pourtant combien crucial, mais au fond […] de l'indépendance de la France. » Il ajoutait qu'il fallait gagner la bataille de l'électricité parce qu'elle était essentielle, parce que l'électricité n'est pas un bien comme les autres, mais un bien commun, une exception.
La crise énergétique a démontré combien, en la matière, les lois successives avaient abîmé la maîtrise publique, la capacité de l'État stratège à incarner une politique énergétique au service de nos concitoyens. L'explosion des prix en est une illustration. Le risque d'un renoncement à la souveraineté en est une autre : cet hiver, nous étions quasiment en rupture d'approvisionnement.
La commission d'enquête présidée par Raphaël Schellenberger a permis de pointer, de manière précise et consensuelle, les responsabilités politiques qui sont à l'origine de cette situation et de mesurer à quel point l'effacement de l'État dans la conduite des politiques énergétiques avait affaibli notre souveraineté énergétique et industrielle. À ces années d'errements stratégiques au sommet de l'État s'est ajoutée une politique européenne allant dans le même sens : les quatre paquets législatifs européens transposés en France ont constitué autant de lois qui ont fait mal à EDF.
La loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (Nome), pour ne citer que celle-ci, a consacré l'organisation du marché, avec l'introduction du mécanisme de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), dispositif technocratique s'il en est, dont tout le monde reconnaît qu'il a contribué à « siphonner » financièrement EDF. Ce mécanisme s'est révélé incapable de préserver notre économie et la compétitivité de nos industries, comme en témoigne le nombre très important d'entreprises mises à mal par l'explosion des coûts de l'énergie. L'Arenh a contribué à dégrader la qualité de la fourniture d'électricité, la sécurité d'approvisionnement, les prix, la continuité du service et a participé à la massification de mauvaises pratiques comme le démarchage commercial agressif de la part de fournisseurs alternatifs.
La proposition de loi n'a pas pour ambition de résoudre tous les problèmes. Elle est raisonnable et pragmatique. Elle vise à répondre à l'urgence. La question des tarifs, notamment, y est abordée de manière mesurée et prudente. Ce texte n'en est pas moins nécessaire pour plusieurs raisons.
D'abord, le contexte géopolitique rappelle que la capacité d'un État à sécuriser son approvisionnement est un élément stratégique et un facteur de souveraineté.
Ensuite, la situation financière d'EDF est très difficile et justifie l'intervention de l'État au secours de son énergéticien national.
Enfin, le rôle du Parlement dans la définition de la politique publique énergétique doit être réaffirmé, afin de corriger les erreurs du passé.
La proposition de loi ne traite pas du statut de l'entreprise, même si, pour le groupe GDR-NUPES, le choix qui a été fait de transformer l'établissement public industriel et commercial (EPIC) en société anonyme mérite d'être interrogé.
Tout le monde s'en souvient, nous avons mené une bataille transpartisane, d'Olivier Marleix à Sébastien Jumel, en passant par les insoumis, les socialistes et les écologistes, contre le projet Hercule, qui visait à saucissonner le groupe EDF et à permettre la vente à l'encan de certaines de ses composantes. La proposition de loi vise, d'une certaine manière, à nous prémunir contre tout nouveau projet Hercule 2.0 ou autre. Je le dis d'autant plus facilement que le nouveau président-directeur général d'EDF et le ministre de l'économie eux-mêmes considèrent que, pour se doter d'un mix énergétique équilibré et intelligent, il faut une entreprise intégrée et que le projet Hercule est donc malvenu et inopérant – bref, caduc. Nous proposons d'inscrire ce constat dans la loi en rendant impossible de céder tout ou partie des missions accomplies par EDF sans l'accord du Parlement.
L'incessibilité des actions est un autre élément majeur du texte. L'État a pris la décision de récupérer 100 % du capital d'EDF – le processus est en cours d'achèvement. Pourquoi, dès lors, voulons-nous l'inscrire dans la loi ? Pour que toute décision tendant à modifier cet état de fait nécessite une approbation du Parlement. Nous entendons graver dans la loi une disposition qui nous semble aller dans le bon sens, à savoir la reprise en main par la puissance publique du capital de cette entreprise stratégique fournissant ce bien commun que représente l'énergie.
Nous aurons l'occasion de débattre de l'endroit où il convient de placer le curseur en ce qui concerne l'accès aux tarifs réglementés de vente. Nous souhaitons l'élargir aux plus fragilisés : les artisans, les PME et les collectivités locales – la taille des collectivités n'a pas encore été arrêtée ; des amendements viseront à affiner le dispositif. Il faut amortir l'onde de choc que constitue l'augmentation du prix de l'énergie pour ces acteurs de l'économie réelle.
Avec Philippe Brun, nous nous sommes fixé comme objectif de parvenir à un consensus, pour faire en sorte que le texte trouve une traduction dans les faits. Cela suppose aussi de trouver un accord avec le Sénat, qui devra examiner à son tour le texte en deuxième lecture.