Intervention de Lora Verheecke

Réunion du jeudi 13 avril 2023 à 14h00
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Lora Verheecke, chercheuse à l'Observatoire des multinationales et porte-parole de l'Observatoire du lobbying au niveau européen :

Le registre français fait figure d'exemple au niveau européen. Ainsi, un rapporteur du Parlement européen s'est inspiré des recommandations de la HATVP pour demander une amélioration du registre. De plus, le cadre juridique prévoit des sanctions à l'encontre des entités qui inscriraient de fausses informations sur ce registre. Ce n'est pas le cas au niveau européen, où une fausse mention sur le registre n'entraîne pas de sanction. Même s'il est possible d'intervenir auprès de la médiatrice européenne, celle-ci n'est pas dotée d'un pouvoir de sanction. Son seul moyen de pression consiste à prendre l'opinion publique à témoin. Les raisons sont plus légales que politiques, en raison de l'absence d'un droit pénal ou administratif européen.

Les États-Unis constituent également un modèle en matière de registre, puisque celui-ci y est obligatoire et que son respect est sanctionnable. En outre, il va encore plus loin au sujet des gouvernements étrangers. Ceci n'est pas anodin, compte tenu du scandale du Qatargate qui a récemment secoué le Parlement européen. Aux États-Unis, lorsqu'un gouvernement étranger embauche une agence de lobbying, une agence de relations publiques ou un cabinet d'avocats, celles-ci doivent publier leur contrat.

Par exemple, imaginons que le gouvernement des îles Caïman est client d'un cabinet comme Hill And Knowlton. À Washington, je serais en mesure de voir les services que rend ce cabinet au ministre des finances des îles Caïman car je pourrais voir ce contrat. À Bruxelles, je ne pourrais pas. Par conséquent, à la suite du scandale du Qatargate, il serait particulièrement pertinent d'introduire plus de transparence vis-à-vis des gouvernements étrangers, et pas uniquement les entreprises, au sein des institutions européennes. Il en est de même en France.

En effet, la France a encore beaucoup de progrès à accomplir en matière d'accès aux documents officiels, à la fois dans le cadre national avec la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), mais aussi au niveau européen, auprès de la représentation permanente. Comme je vous l'ai dit, la France a fait preuve de transparence durant sa présidence du Conseil de l'Union mais elle a arrêté de le faire par la suite.

Je souhaiterais également rendre le Conseil encore plus transparent. Je conçois que les négociations en son sein sont menées par des diplomates, qui ont besoin de parvenir à des compromis. Néanmoins, comme je vous l'ai déjà indiqué, les députés allemands ont accès à ces informations confidentielles. De même, le Parlement néerlandais demande régulièrement d'avoir accès aux discussions du Conseil, afin de connaître la position de son gouvernement et d'exercer un contrôle sur ses activités. Ce que vous effectuez au niveau national, il faudrait pouvoir l'accomplir au niveau européen.

Enfin, si je connais moins bien la réglementation en France, je suis convaincue qu'il faudrait renforcer la vigilance au niveau européen vis-à-vis du « phénomène des portes tournantes », c'est à dire des allers-retours entre les secteurs publics et privés. Le rôle de Neelie Kroes révélé par les Uber files est particulièrement instructif à cet égard. Elle n'est certes pas la seule : des anciens commissaires partent travailler à la fin de leur mandat pour des entreprises. Cependant, Neelie Kroes parlait déjà avec Uber via l'agence Fipra avant même la fin de son mandat. Afin, d'éviter les conflits d'intérêts potentiels, il me semblerait pertinent d'instaurer une période de six mois ou d'un an durant lesquels un ancien fonctionnaire ne pourrait pas rejoindre un lobby traitant des dossiers sur lequel il avait travaillé.

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