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Intervention de Lora Verheecke

Réunion du jeudi 13 avril 2023 à 14h00
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Lora Verheecke, chercheuse à l'Observatoire des multinationales et porte-parole de l'Observatoire du lobbying au niveau européen :

Je vous remercie pour votre invitation. J'habite à Bruxelles et j'observe depuis neuf ans le lobbying et la transparence au sein des institutions européennes.

Je travaille pour l'Observatoire du lobbying au niveau européen (CEO), qui m'a demandé de venir aujourd'hui pour porter sa parole, mais également à mi-temps pour l'Observatoire des multinationales, une petite ONG de deux à trois personnes qui effectue essentiellement des enquêtes. Pour l'Observatoire des multinationales, j'ai réalisé un travail qui s'apparente à celui d'une journaliste et j'ai observé la préparation de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (UE).

Mon travail consiste ainsi à mener des enquêtes. Je demande des documents officiels aux institutions et décrypte les activités de lobbying des entreprises concernées. En compagnie d'Olivier Petitjean, j'ai d'ailleurs rédigé un rapport sur la présidence française du Conseil de l'UE. À cette occasion, dans le cadre de la préparation de la directive sur l'amélioration des conditions de travail des travailleurs des plateformes, j'ai observé que la position de la France était assez proche de celle d'Uber et d'autres lobbys des plateformes. J'ai poursuivi ce travail de recherche en demandant de nouveaux documents, notamment à la Commission européenne. Nous avons ainsi rédigé un rapport conjoint entre l'Observatoire des multinationales et le CEO sur ce lobbying à Bruxelles.

En résumé, je connais bien ce qui se passe à Bruxelles mais également dans les autres pays européens. L'intérêt de l'Union européenne réside justement dans la diversité des pays qui la composent et la pluralité des pratiques, lesquelles peuvent constituer des sources d'inspiration.

En matière de transparence, le Parlement européen prévoit la publication en ligne des rendez-vous des députés européens quand ils sont rapporteur ou président de commission. Cela me semble particulièrement important. Au niveau de la Commission européenne, l'inscription au registre n'est obligatoire que pour les rencontres avec les commissaires ou les membres de leur cabinet. En revanche, cela n'est pas le cas pour les échelons inférieurs ou pour les autres institutions. Certains acteurs, et notamment un commissaire il y a une dizaine d'années, souhaitent néanmoins rendre cette inscription obligatoire. Cela n'a rien de radical : c'est ainsi que les Américains agissent à Washington.

Ensuite, certaines pratiques au sein des institutions européennes sont plus transparentes qu'en France. Je pense notamment à l'accès aux documents officiels de la Commission. Dans le cadre de mon rapport, j'ai ainsi pu demander à la Commission la liste des représentants des lobbys des plateformes qui étaient venus à sa rencontre pendant la période étudiée, mais également les enjeux de ces rencontres et leurs comptes rendus. Bien souvent, j'ai pu obtenir ces documents, sous quinze jours. Cela m'a permis de réaliser un véritable travail d'enquête à partir de faits réels, mais aussi de me forger un avis plus nuancé, en évitant un certain nombre d'idées reçues au sujet du pouvoir des lobbys à Bruxelles.

Ces documents peuvent être obtenus légalement auprès de la Commission, au titre de la directive sur la transparence. J'effectue parfois également les mêmes demandes auprès du Conseil et j'y ai de plus en plus accès. Je pense donc que cette faculté serait aussi utile pour les députés français. En effet, lorsque le Gouvernement français intervient à Bruxelles, vous n'avez pas toujours la possibilité de connaître les propos qui sont tenus ou les compromis qui sont réalisés.

À cet égard, je vous indique que l'Allemagne est le seul pays de l'Union européenne où les députés du Bundestag ont accès au résumé des réunions du Conseil. Cet accès s'effectue grâce à une base de données confidentielle. Par conséquent, un député allemand peut connaître la position de son gouvernement lors des négociations au Conseil.

Je comprends que certaines informations puissent être confidentielles et que les citoyens n'y aient pas forcément accès. En revanche, j'estime que les parlements nationaux devraient pouvoir obtenir ces informations afin que leurs gouvernements puissent rendre des comptes lorsqu'ils s'expriment au nom de leur pays.

Une autre bonne pratique concerne les représentations permanentes. Pendant la présidence française, nous pouvions connaître les rendez-vous de l'ambassadeur de France auprès de l'UE. Ce n'est malheureusement plus le cas aujourd'hui, ce qui est regrettable. La transparence de la France n'a duré que le temps de sa présidence.

Actuellement, le Conseil de l'Union est présidé par la Suède, qui publie et répond aux demandes concernant ses rendez-vous avec les lobbys. Par exemple, une directive sur les poursuites-bâillon est en cours d'élaboration en ce moment. J'ai demandé à la représentation permanente de la Suède les rendez-vous qui avaient été conduits à propos de cette directive et j'ai obtenu le jour même la liste de ces rendez-vous, avec leur compte rendu. J'ai appelé la représentation permanente pour la remercier et lui indiquer qu'une telle diligence était une première pour moi. Certes, le gouvernement de droite et d'extrême-droite actuellement au pouvoir met un accent particulier sur la transparence, mais les Suédois m'ont indiqué que cette transparence permet de rendre l'UE plus acceptable, d'éviter les idées fausses, voire les théories du complot.

De fait, il me semble nécessaire de savoir ce qui se passe à Bruxelles car bien souvent, les dirigeants politiques nationaux se cachent derrière les institutions européennes pour masquer leurs propres défaillances. Nous devons être capables de savoir ce que nos gouvernements négocient au niveau européen, pour rendre l'Europe plus démocratique, arrêter de discréditer l'Union européenne ou lui prêter des intentions qu'elle n'a pas.

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