Intervention de Jérôme Fournel

Réunion du jeudi 13 avril 2023 à 9h00
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Jérôme Fournel, directeur général des finances publiques :

Je suis accompagné de Mme Carole Maudet, sous-directrice du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal au sein de la Direction générale des finances publiques (DGFiP).

Par essence, la DGFiP a pour rôle d'élaborer la loi fiscale à travers la Direction de la législation fiscale (DLF), puis d'asseoir l'impôt, de le recouvrer et de le contrôler. Dans le cadre de sa mission de contrôle, la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales constituent des enjeux majeurs de souveraineté et de redressement des comptes publics. Il s'agit de priorités assumées par la DGFiP, y compris à l'égard des nouvelles activités économiques. En pratique, près de dix mille agents se chargent du contrôle fiscal. Un nombre plus important d'agents contribue naturellement à différentes étapes du contrôle. Le chiffre de dix mille agents vous apporte néanmoins un ordre de grandeur de notre mobilisation en tant que garant du civisme fiscal et de l'égalité devant l'impôt.

Avant d'entamer les échanges, je souhaite mettre en exergue plusieurs aspects. Premièrement, dans le cadre de l'internationalisation et la dématérialisation de l'économie, les sujets liés aux plateformes et à l'économie numérique restent majeurs. Nous avons connu des évolutions textuelles en la matière au cours des dernières années, dont certaines concernent directement Uber et d'autres sociétés de ce type. En effet, celles-ci ont désormais l'obligation de nous déclarer chaque année les revenus perçus par leurs chauffeurs. Nous disposons également d'outils de « listes noires » pour les sociétés les plus récalcitrantes. En tout état de cause, les plateformes sont concernées par des dispositions particulières dès l'étape déclarative.

Deuxièmement, le sujet des contrôles des acteurs numériques se joue à plusieurs niveaux, à savoir les contrôles exercés sous la conduite exclusive de la DGFiP et les contrôles multilatéraux menés par les administrations de différents pays. En effet, pour l'attribution du lieu de taxation de l'activité, c'est-à-dire la France ou l'étranger, il s'agit généralement d'un jeu à somme nulle. Nous devons donc trouver un accord avec nos partenaires. Cet impératif s'applique aussi bien aux contrôles multilatéraux des profits qu'aux accords préalables sur les prix de transfert, ces accords étant couramment demandés par les entreprises du secteur numérique afin de se sécuriser.

S'agissant de la TVA, je répondrai ultérieurement à vos questions concernant les règles particulières qui s'appliquent. Je dois néanmoins effectuer une mise en garde temporaire : certains éléments sont couverts par le secret fiscal. Je ne peux les apporter dans le cadre de la présente commission d'enquête ouverte à la presse mais les tiens à la disposition du président et de madame la rapporteure.

Précisément, dans le cas d'Uber, une double activité est en jeu, à savoir une activité d'intermédiation, d'une part, et une activité de prestation de service exercée par les chauffeurs, d'autre part. Ces deux activités sont assujetties à la TVA. Cependant, celle des chauffeurs est appréhendée de manière classique, tandis que l'autre dépend d'un régime particulier mis en place par l'Union européenne et fixé par la « directive TVA ». Ainsi, dans le cadre du régime d'autoliquidation de la TVA, le « bout de la chaîne » supporte le paiement de la TVA pour le compte de l'acteur intermédiaire chargé de la mise en relation.

Dans cette logique d'autoliquidation de la TVA, la prestation d'intermédiation revêt une valeur, donne lieu à une facturation et demeure elle-même soumise à la TVA. Toutefois, dans ce cas de figure, nous simplifions la logique de collecte de la TVA en recherchant la prestation d'intermédiation directement chez son bénéficiaire et non pas chez l'auteur de la prestation.

Nous sommes confrontés aux « carrousels de TVA » depuis de nombreuses années. Lorsque des prestations franchissent les frontières de l'Union européenne, nous éprouvons une certaine difficulté à appréhender ces dispositifs, notamment lorsque les acteurs intermédiaires sont nombreux. Dans le cadre d'un carrousel de TVA, le prestataire basé dans un certain pays réalise des ventes dans un autre pays, par exemple. La marchandise ou le service franchit alors la frontière à plusieurs reprises, donnant lieu à l'enregistrement de débits et de crédits de TVA à chaque occurrence. Les acteurs intermédiaires étant fréquemment des entreprises éphémères, les pays européens sont conduits à rembourser la TVA sans pouvoir en collecter la partie correspondante.

L'une des manières de lutter contre ces fraudes aux carrousels de TVA consiste à développer des logiques d'autoliquidation. En pratique, il est plus difficile de collecter la TVA auprès d'une société sise aux Pays-Bas qui effectue une prestation d'intermédiation. En revanche, le sujet est plus simple à appréhender au moment de la prestation finale, lorsque l'activité est directement localisée sur le territoire français.

De ce point de vue, la logique d'autoliquidation est protectrice des finances publiques. Selon le schéma habituel de la TVA, il s'agit de capter la valeur ajoutée de chaque prestation de la chaîne et d'établir la balance des débits et crédits des opérations de TVA. Dans le cadre de l'autoliquidation, l'enjeu est de se protéger des difficultés de recouvrement de la TVA induites par la localisation du prestataire à l'étranger ou par l'existence de chaînes d'intermédiation et la vitesse des opérations. Cette logique d'autoliquidation ne modifie rien sur le plan économique. La prestation d'intermédiation réalisée par la société Uber est effectivement taxée, bien que cette taxation s'effectue auprès du chauffeur, en tant qu'acteur redevable de la TVA.

Par ailleurs, la différence de traitement entre l'aspect fiscal et l'aspect social est loin d'être totale et ne s'applique pas uniquement au cas de la société Uber. Lorsque la question de la subordination constitue un point important de l'appréhension et l'appréciation de la relation économique, les décisions de justice relatives à Uber ont toutes porté sur des cas et des contrats particuliers. Les jurisprudences consécutives n'ont pas conduit au besoin de modifier la législation fiscale. Ces cas particuliers n'ont pas débouché sur une jurisprudence fiscale, dans la mesure où les jurisprudences ont émané, par exemple, de la chambre sociale de la Cour de cassation.

Dans le cas de la plateforme LeCab, la requalification en contrats de travail des contrats de service et des contrats commerciaux n'a pas été retenue et ce, après un examen très précis des faits et des obligations qui pèsent sur le chauffeur et qui sont imposées par la plateforme. Cet aspect évolue d'ailleurs dans la durée. Ainsi, la société Uber a modifié certaines conditions de ses contrats.

Parallèlement, la loi d'orientation des mobilités est venue fixer un certain nombre d'obligations. À l'examen des faits survenus entre 2013 et 2015, nous pourrions noter des différences de traitement des aspects sociaux et fiscaux. En réalité, sur le plan fiscal, il n'est pas nécessaire de modifier l'appréhension de la qualification ni, en conséquence, la perception de la TVA au titre de l'activité de chauffeur. À cet égard, l'Urssaf a adopté la même position, puisqu'elle n'a pas engagé de mouvement de cotisation. Il aurait d'ailleurs été étrange que la position fiscale évolue avant la modification du traitement des sujets sociaux.

En outre, de nombreux chauffeurs souhaitent rester des artisans autonomes et indépendants et refusent de basculer vers le statut du salariat. Quoi qu'il en soit, les contentieux engagés par des chauffeurs revendiquant un statut d'indépendants restent extrêmement rares. J'ajoute que les différences de situation ne sont pas propres à la plateforme Uber. Par exemple, les traducteurs-interprètes du ministère de la Justice sont des collaborateurs occasionnels du service public. Du point de vue social, un lien de subordination est reconnu pour ce qui les concerne. Pour autant, ces collaborateurs sont considérés comme relevant de la catégorie des bénéfices non commerciaux selon l'approche fiscale. Ils sont donc assujettis à la TVA.

Dans la durée, il existe donc une séparation entre la reconnaissance d'un lien de subordination sur le plan du droit du travail et ce qui est reconnu sur le plan fiscal en matière d'assujettissement à la TVA.

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