À mes yeux, ce décret a été très utilement renforcé en s'étendant à d'autres secteurs, notamment les biotechnologies et la robotique. Reste que le sujet n'est pas tant la rédaction du décret que l'absence d'usage qui en est faite. Plutôt que de se focaliser sur son contenu, je préférerais qu'on l'applique régulièrement – sans forcément le crier sur tous les toits, d'ailleurs. J'ai déploré qu'on l'ait utilisé pour défendre Carrefour, qui n'était nullement menacé par le distributeur québécois Couche-Tard – les Québécois, qui voulaient entrer au capital, ne risquaient pas de partir avec les supermarchés Carrefour sous le bras ! Je ne pense pas, d'ailleurs, que le Canada ait une vision impérialiste, contrairement aux États-Unis ou à la Chine ; son comportement de nation humble le rapproche culturellement, je crois, de notre pays.
S'agissant du décret, un nombre important de petites entreprises passent sous le radar alors qu'elles sont d'une importance critique. Si nous laissons d'autres les racheter, ce qu'elles produisent viendra abonder la liste ITAR.
Je prendrai l'exemple de l'entreprise Segault. J'ai noué, à titre personnel, une alliance entrepreneuriale avec le fonds Otium Capital pour racheter cette entreprise qui fabrique des robinets pour nos sous-marins nucléaires ainsi que nos centrales nucléaires civiles et militaires. Ces pièces sont très importantes car elles concernent l'intérieur des réacteurs. Nous avons fait une offre de rachat de cette entreprise car sa maison mère canadienne, Velan, fait l'objet d'une offre publique d'achat (OPA) de la part d'une entreprise américaine, Flowserve Corporation. J'ai rendu publique la lettre que j'ai adressée au ministre, Bruno Le Maire, l'invitant à prendre des décisions dans ce dossier. Il est impensable que cette entreprise tombe dans le champ du droit américain en raison du Patriot Act, qui permet à l'administration américaine de poser, sans aucun contrôle, sans aucune autorisation judiciaire, toutes sortes de questions à une entreprise assujettie au droit américain sur des sujets qui relèvent du secret de fabrication de nos bâtiments militaires. Le Gouvernement considère peut-être qu'il n'y a pas de risque ; moi je considère qu'il y en a un.
Par ailleurs nous ne pouvons pas laisser s'allonger la liste de l'« itarisation » de nos pièces critiques, notamment les robinets. La conséquence en serait très simple : le gouvernement américain pourra nous empêcher de vendre nos sous-marins. Nous ne sommes pas en situation de courtoisie avec nos amis américains : nous avons des intérêts nationaux à défendre. Nous ne demandons pas au ministère d'obliger Velan à vendre Segault, mais d'empêcher l'OPA de Flowserve Corporation. J'ai demandé à M. Le Maire de faire usage du décret du 14 mai 2014, d'autant qu'il est ministre de la souveraineté industrielle. C'est le moment de le montrer !