Intervention de Maxime Audinet

Réunion du jeudi 6 avril 2023 à 10h00
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Maxime Audinet, chercheur à l'IRSEM :

Avant la guerre en Géorgie, RT ne comptait que deux chaînes, la chaîne en anglais et la chaîne arabophone créée en 2007. Je n'ai pas connaissance de la politique de recrutement pratiquée chez RT avant 2008. Le principe était de recruter des figures étrangères afin que les journalistes pussent s'exprimer dans la langue locale. Lorsque les canaux européens de RT ont été mis en place, après 2014, dans le contexte de l'Euromaïdan et de la guerre dans le Donbass, les politiques de recrutement ont évolué. Chez RT France, on a recruté de très jeunes journalistes à peine diplômés en CDI dans des conditions financières exceptionnelles, c'est-à-dire entre 2 500 ou 3 000 euros par mois, alors que les médias français sont incapables de recruter de jeunes journalistes à ce niveau de salaire. Le second profil ciblé par la chaîne est celui des partisans de Poutine. Ces « alignés » sont notamment Peter Lavelle et Xavier Moreau. D'autres figures se rejoignaient sur l'agenda alternatif défendu par RT. L'objectif était d'attirer journalistes qui se reconnaissent dans la vision concurrentielle et contre-hégémonique défendue par RT. Il s'agit d'abord d'une posture communicationnelle. Enfin, la chaîne a recruté des personnes pour leur notoriété, comme Larry King ou Frédéric Taddei.

Les réactions à l'installation de RT ont été différentes, d'abord parce que le réseau s'est internationalisé de façon très progressive. Lorsque RT est lancée en 2010, la Russie est sous la présidence de Dmitri Medvedev. Un an plus tard, le « reset » des relations russo-américaines est annoncé sous Barack Obama. RT America a été une rédaction plus petite qu'en France, installée non loin de la Maison-Blanche. La question s'est posée à partir de 2014. S'agissant des chaînes européennes, les réactions de l'espace médiatique ont été beaucoup plus réservées. Les critiques ont été tempérées par le fait que ces médias ont cherché à donner des gages en demandant l'obtention des licences auprès des régulateurs, dont le CSA en France. Un comité d'éthique de RT France a même été mis en place.

Dans les démocraties libérales, les espaces médiatiques sont pluralistes et l'on doit supposer que le système politique est suffisamment puissant pour absorber ces acteurs, dont les audiences sont en réalité très faibles. La seule exception en France a concerné les Gilets jaunes, événement durant lequel les audiences ont triplé chez RT France, avec un pic à 12 millions de visites en novembre 2019. Les mesures restrictives de l'Union européenne ont entraîné une chute drastique des audiences. L'effort s'est alors porté sur d'autres espaces francophones, notamment en Afrique. La part de ces audiences augmente chaque mois. Avant l'invasion de l'Ukraine, 66 % à 80 % des audiences venaient de France. Ce taux est compris entre 30 ou 40 % aujourd'hui.

Ces médias, dont la diffusion a été suspendue, mettent en place des stratégies de contournement en incitant au téléchargement de VPN ou en créant des sites « miroirs » qui sont des répliques de sites originaux avec d'autres noms de domaine. Il est donc encore possible d'accéder à ces sites sans passer par un VPN. Par exemple, on peut se connecter à sputniknews.africa sans détenir un VPN. Le site anglophone compte aussi un site miroir. Cette stratégie se développe partout. À partir du moment où l'on crée un site miroir pour contourner la législation, on passe de l'influence à l'ingérence.

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