Nous vous remercions de nous donner l'occasion d'échanger avec vous au sujet de la convention de l'OCDE sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions internationales. Nous présenterons ce que le groupe de travail anticorruption de l'OCDE est susceptible de nous enseigner quant aux interactions de la France avec les autres pays parties à la convention, dans un contexte où la loi dite Sapin 2 a permis depuis 2016 à la France de se rapprocher des standards internationaux de l'OCDE en matière de lutte contre la corruption.
Nous présenterons pour commencer la convention anticorruption de l'OCDE, ses objectifs, son champ d'action, son impact et ses moyens. Le groupe de travail de l'OCDE est déployé en première ligne à l'international pour lutter contre un type de corruption bien précis défini la convention anticorruption : il s'agit de la corruption d'agents publics étrangers dans le cadre du commerce et des investissements internationaux. La lutte contre la corruption transnationale est une priorité et un objectif partagé par l'ensemble des quarante-quatre États parties à la convention anticorruption. L'engagement des parties se fonde sur le constat que la corruption fausse le fonctionnement des marchés et sape le développement économique. L'instrument vise donc d'abord l'établissement d'un champ d'action commune entre les différents acteurs économiques au niveau international.
La convention de lutte contre la corruption de l'OCDE est un traité international juridiquement contraignant en vigueur depuis le 15 février 1999. Les quarante-quatre pays parties à la convention comprennent, outre les trente-huit pays de l'OCDE, six pays non membres : l'Argentine, le Brésil, la Bulgarie, le Pérou, l'Afrique du Sud et la Russie.
Les parties à la convention acceptent de prendre les mesures nécessaires pour que la corruption d'un agent public étranger constitue une infraction pénale. Ils s'engagent également à détecter, enquêter, poursuivre et sanctionner cette infraction. La convention anticorruption de l'OCDE est le seul instrument international de lutte qui se concentre sur l'offre de corruption, c'est-à-dire la personne ou l'entité, souvent une entreprise, qui offrent, promettent ou octroient un pot-de-vin.
En quoi la convention est-elle un moyen efficace de lutte contre la corruption transnationale ? Selon les termes de la convention, le droit interne des pays parties doit établir la responsabilité des personnes physiques, mais aussi des personnes morales, à savoir principalement les entreprises, pour les actes de corruption transnationale dont elles sont les auteures. Le type de corruption couvert est la corruption dans le domaine des affaires. Le pot-de-vin doit être payé en vue d'obtenir ou de conserver un marché ou un autre avantage indu dans le commerce international. Il s'agit de l'article 1er de la convention. L'infraction de la corruption d'agent public étranger se distingue en cela d'autres infractions telles que le trafic d'influence, qui n'est pas couvert en tant que tel par la convention anticorruption de l'OCDE.
Les autres engagements pris par les parties à la convention sont l'indépendance des enquêtes et des poursuites, l'existence d'une compétence territoriale et extraterritoriale, l'octroi d'une entraide judiciaire rapide aux autres parties à la convention menant des enquêtes et des poursuites ayant trait à des affaires de corruption transnationale, l'imposition de sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives contre les actes de corruption transnationale. Un autre engagement notoire est le refus de la déductibilité fiscale des pots-de-vin. Jusqu'à une période récente, ils étaient fiscalement déductibles par les entreprises. La convention exige enfin des parties l'application de sanctions en cas de fraude comptable visant à dissimuler le paiement de pots-de-vin et fait du blanchiment des produits de la corruption une infraction pénale.
Au cours des vingt dernières années, le groupe de travail de l'OCDE sur la corruption a fait de la convention l'instrument international anticorruption le plus rigoureusement mis en œuvre. La convention ne peut être efficace que si toutes les parties la mettent pleinement en œuvre et en respectent les normes. La convention anticorruption est donc dotée d'un mécanisme de suivi systématique de son application par les pays signataires, figurant à son article 12. Ces derniers coopèrent dans le cadre du groupe de travail sur la corruption de l'OCDE afin de mettre en œuvre un programme de suivi destiné à surveiller et promouvoir la mise en œuvre, par chacun d'eux, de la convention ainsi que d'autres instruments connexes que sont les recommandations de l'OCDE visant à renforcer la lutte contre la corruption par certains mécanismes – les lanceurs d'alerte ou la résolution des affaires de corruption par des accords hors procès notamment.
Dans le cadre de ce mécanisme très rigoureux d'examen par les pairs, qui est la méthode de l'OCDE et que Transparency International a qualifié d'« étalon or », tous les pays sont évalués à tour de rôle par des experts de deux pays examinateurs, selon un principe de rotation. Chaque pays est réévalué régulièrement. Les évaluations les plus récentes, dites de phase 4, visent particulièrement la mise en œuvre concrète de la convention, y compris les efforts d'enquête, de poursuite et de sanction dans les affaires de corruption internationale, en prenant en compte des spécificités de chaque pays. Il s'agit d'une approche « sur mesure ».
En pratique, les évaluations comprennent une visite sur place lors de laquelle les deux pays examinateurs rencontrent l'ensemble des parties prenantes du pays visité, c'est-à-dire des procureurs, des magistrats, les services de police, les parlementaires, ainsi que des représentants de la société civile. Les examinateurs élaborent avec l'aide du secrétariat un rapport détaillé contenant des recommandations pour les autorités du pays évalué. Ce document est approuvé par consensus du groupe de travail, hormis le représentant du pays examiné. Le pays évalué ne peut exercer de droit de veto sur le rapport final et sur les recommandations qui lui sont adressées. Le rapport est ensuite publié intégralement sur le site internet de l'OCDE. Le fait qu'il soit public constitue un moyen de pression sur le pays évalué. Ce processus incite les pays à s'assurer du plus haut niveau de conformité avec la convention, ainsi qu'à engager des actions concrètes pour combattre la corruption transnationale.
Concrètement, le processus de suivi a donné lieu à la publication de 250 rapports en ligne et de plus de 3 000 recommandations adressées aux pays parties à la convention, avec une moyenne de 25 recommandations par pays. Dans le cadre du mécanisme de suivi des évaluations, les pays doivent adresser un rapport au groupe de travail sur les mesures prises pour mettre en œuvre les recommandations. En cas de progrès insuffisant, le groupe de travail peut adopter des mesures de suivi additionnelles, telles que des déclarations publiques, des missions techniques de haut niveau, une obligation de produire des rapports plus fréquents sur les progrès réalisés ou encore un appel à la vigilance des autres pays parties à la convention et des entreprises lorsque celles-ci interagissent avec les entreprises du pays concerné.
Quel est l'impact de la convention sur la lutte contre la corruption d'agent public étranger dans les pays adhérents ? Grâce à la convention, la corruption transnationale constitue désormais une infraction pénale les quarante-quatre pays parties à la convention sans exception. Les pays candidats à l'adhésion à la convention, aujourd'hui la Roumanie et la Croatie, ont également intégré cette infraction dans leur droit interne. Les quarante-quatre pays ont en outre adopté les dispositions législatives instaurant un régime de responsabilité des personnes morales ou ont renforcé les dispositions déjà en vigueur sur ce plan. Plus de la moitié des pays ont mis en place des mesures de protection des lanceurs d'alerte. Plus aucun des quarante-quatre pays n'autorise la déduction fiscale des pots-de-vin.
Néanmoins, du chemin reste à parcourir, puisque dix-neuf pays sur quarante-quatre doivent encore mettre en œuvre leur dispositif législatif, en particulier l'infraction de corruption d'agent public étranger. Le bilan de la mise en œuvre de cette infraction est souvent significatif : de l'entrée en vigueur de la convention le 15 février 1999 au 31 décembre 2021, vingt-cinq pays parties à la convention ont collectivement condamné ou sanctionné au moins 687 personnes physiques et 264 personnes morales pour corruption d'agent public étranger par voie de procédure pénale. Quelque 481 enquêtes dans des affaires de corruption d'agent public étranger étaient en cours dans trente-cinq pays parties à la convention.
Il existe trois principaux outils et mécanismes clés dans les interactions et la coopération entre les pays parties à la convention : la concertation, le règlement hors procès et la compétence extraterritoriale. Ces outils ont vocation à favoriser la coopération plutôt que la compétition ou la résolution isolée des affaires de corruption.
Tout d'abord, l'article 4.3 de la convention prévoit une concertation lorsque plusieurs parties ont compétence sur une affaire afin de déterminer laquelle est la mieux à même d'exercer les poursuites. La mise en œuvre de l'article suppose que plusieurs pays soient en mesure d'exercer des poursuites en pratique et au moins de diligenter une enquête dans l'affaire en question. Un pays qui n'aurait mis en œuvre la convention que de façon limitée ou aurait fait l'objet de critiques de la part du groupe de travail aurait sans doute des difficultés à démontrer qu'il est le mieux à même d'exercer ces poursuites.
Le deuxième outil est le règlement hors procès. Il s'agit d'un outil décisif dans le succès de la coopération transnationale. Offrant une bonne maîtrise du calendrier, il permet de résoudre les affaires de corruption de manière rapide et efficace, mais surtout coordonnée, concernant le montant des sanctions et sa répartition entre les pays. Les règlements hors procès permettent également une résolution concomitante d'affaires multi-juridictionnelles, c'est-à-dire une annonce simultanée dans les pays concernés. La France a introduit un mécanisme de résolution hors procès avec la convention judiciaire d'intérêt public.
Le troisième mécanisme est la compétence extraterritoriale. Plus ou moins étendue selon les pays, elle est néanmoins large et doit permettre aux pays de poursuivre également des non-nationaux. La France a utilisé cette compétence pour condamner en appel une société suisse dans une des affaires pétrole contre nourriture. La société en question a été condamnée définitivement en cassation en 2020. Depuis lors, la France a largement étendu le champ de sa compétence en matière de corruption d'agent public étranger avec la loi Sapin 2.
En favorisant la coopération et la concertation, les trois mécanismes visent une fin diamétralement opposée à d'éventuelles velléités d'ingérence et de concurrence, qui, si elles étaient avérées, constitueraient un dévoiement des objectifs poursuivis par la convention. C'est pourquoi la mise en œuvre des mécanismes de coopération est examinée de près dans le cadre du processus de suivi par les pairs. À ce jour, le suivi effectué n'a pas permis de mettre en évidence une instrumentalisation des mécanismes de coopération ou de résolution des affaires de corruption d'agent public étranger à des fins d'ingérence.
Les pots-de-vin payés à une entreprise publique peuvent-ils influer sur les affaires de pays dans lesquels ils sont payés ? Tel est malheureusement le cas dans les affaires de financement de partis politiques. Parmi les affaires connues du groupe de travail à ce jour, les entreprises qui ont payé ces pots-de-vin l'ont fait avant tout pour obtenir un marché plutôt qu'afin de favoriser un parti politique. L'infraction de corruption d'agent public étranger implique en effet que le pot-de-vin soit payé pour obtenir ou conserver un marché ou un autre avantage induit dans le commerce international. Un poste de travail payé pour exercer une influence sur les affaires d'un pays relèverait plutôt de l'infraction de trafic d'influence. Celle-ci n'est pas couverte par la convention anti-corruption de l'OCDE et demeure donc un phénomène largement méconnu du groupe de travail. Dans le cas de la France, le mécanisme qui a retenu l'attention du groupe de travail est la loi de blocage.