Intervention de Jean-Maurice Ripert

Réunion du jeudi 30 mars 2023 à 15h30
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Jean-Maurice Ripert :

La réponse à votre première question est que ce n'est pas à moi de me prononcer. J'ai cité le Front national en réponse à une question du président qui m'a demandé de qui je parlais. Comme j'ai juré de dire la vérité, j'ai donné un nom, mais je ne l'ai pas dit spontanément, sinon je n'aurais pas parlé à LCI comme je l'ai fait.

Y a-t-il eu ou non une forme d'ingérence ? C'est au juge de trancher. Chacun a son avis sur la question mais je n'en ai pas, ou plus exactement je ne sais pas. J'ai vécu vingt-deux ans à l'étranger, dont quinze ans d'affilée et je n'habite à nouveau en France que depuis trois ans, où j'ai eu des activités autres, mis à part la déclaration qui me vaut d'être ici aujourd'hui.

Est-ce que le fait d'être reçu par un président conduit à l'alignement ? J'incline à penser que c'est peut-être plutôt parce qu'il y a alignement des positions que les gens se rencontrent, mais je n'en sais rien. Si le président Poutine a reçu Mme Le Pen, c'est peut-être parce qu'ils pensaient la même chose mais, contrairement à M. Eltchaninoff, je ne peux me mettre Dans la tête de Vladimir Poutine, ni dans celle de Marine Le Pen. En tant que citoyen, je n'ai pas d'idée sur la question ; j'ai simplement constaté que, y compris après la guerre d'agression déclenchée en 2009, pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois, des représentants de l'extrême droite de l'échiquier politique – ce n'est pas un jugement, c'est le classement des partis –, de la droite et de l'extrême gauche ont continué à défendre les thèses traditionnelles sur le fait que la Crimée était russe et que Poutine n'avait pas de torts. Par la suite, certains ont dit qu'il avait des torts mais que nous en avions aussi – je n'ai toujours pas compris lesquels, mais enfin… Cela signifie-t-il que ces gens étaient sous influence ? Non : on peut leur faire crédit de penser qu'ils pensent ce qu'ils disent.

Vos dernières questions portent sur un sujet qui embarrasse beaucoup les ambassadeurs. J'ai le souvenir d'une délégation menée par un président de région, venue après l'adoption des sanctions. Sa journée de travail se termine par une réception à l'ambassade de France à Moscou ; il prononce alors un discours dans lequel il critique le gouvernement français, devant des Français et devant des Russes, à l'ambassade. Ça, c'est gênant. Quand on est un élu, critiquer la politique du Gouvernement dans une ambassade de France, dans n'importe quel pays, c'est mettre en difficulté l'ambassadeur qui, par exigence déontologique, n'est pas censé avoir de position, en tout cas publiquement ; c'est aussi transmettre l'idée qu'il y a plusieurs positions françaises, ce qui affaiblit la politique officielle de la France, quel que soit le gouvernement.

Parlons maintenant d'une visite qui n'est pas prévue. Un député français va soutenir un dictateur qui, avec l'appui de l'aviation russe, lâche des bombes chimiques sur son propre peuple, comme cela a été documenté pour le président Assad, et alors que la France avait rompu ses liens diplomatiques avec ledit régime. C'est un cas unique : la France a rompu avec le régime de Bachar El-Assad sous le président Hollande pour reconnaître la coalition nationale syrienne comme seul représentant du peuple syrien, faisant exception au principe de non-reconnaissance. Cette visite est gênante pour la position française. Elle ne l'est pas en Syrie parce que le président Bachar El-Assad sait très bien que ce n'est pas parce qu'un député vient déjeuner chez lui que cela modifiera la position du Gouvernement français, mais l'image est désastreuse.

Cela renvoie à la question précédente : le fait qu'un leader politique reçoive un chef politique d'opposition crée-t-il un problème ? Dans une démocratie, non, parce que nous pensons précisément que les gens doivent être libres. On peut trouver cela désagréable, on peut critiquer, mais on reconnaît au président Poutine le droit de recevoir qui il veut, puisque nous voulons que notre président ait le droit de recevoir qui il veut. C'est plutôt dans les dictatures que cela gêne : « Comment, vous avez reçu le chef de l'opposition ? Comment, vous avez reçu le Dalaï-Lama ? » Le régime chinois fait pression sur pression, disant ce matin encore aux Américains : « Vous allez recevoir la présidente taïwanaise et elle va faire escale à New-York, ce n'est pas acceptable. » Ce sont les dictatures qui refusent cela. Est-ce que cela nous fait du tort à Moscou ou en France ? Je n'en sais rien, mais en tout cas pas à la démocratie, du moins je ne le pense pas.

Quand nous ne sommes pas prévenus nous ne savons rien de ces visites, mais il nous arrive de les découvrir lors d'un entretien ultérieur avec les autorités locales : « Ah bon, vous me dites cela, mais j'ai reçu la semaine dernière M. Untel qui m'a dit le contraire ! » Ce n'est pas agréable, mais un ambassadeur ne doit pas avoir d'ego ; le service public avant tout.

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