Vous avez bien compris, monsieur le président, et j'espère qu'il sera clairement retranscrit que lorsque je dis : « Je prends mes responsabilités », je veux dire « en tant que citoyen ». Je précise lors de toutes mes interviews – que j'ai d'ailleurs cessé de faire – que je suis à la retraite, que je n'engage nul autre que moi-même, que je ne suis pas un chercheur mais que je parle de ce que j'ai vu. En gros, je dis tout haut ce que d'autres pensent et ne veulent pas dire.
D'où venaient mes impressions, que « personne n'ignorait », une formulation un peu exagérée, je le reconnais ? Pour dire les choses clairement, la communauté diplomatique et un certain nombre de journalistes accrédités localement avaient des doutes sérieux. J'ai cité le directeur des services de renseignement allemand, le président de la République ou le témoignage de M. Schaffhauser, membre du Front national, pour indiquer que leurs propos corroboraient l'impression que j'avais à l'époque, si bien qu'il ne me paraît pas avoir dit des choses particulièrement originales.
J'aurais évidemment dû préciser d'où venaient mes impressions, et pas seulement du fait qu'il y avait beaucoup de voyages à Moscou de représentants du Front national qui ne venaient pas me voir. Mais je parlais avec de nombreux Russes : M. Sergueï Narychkine, ancien KGBiste, à l'époque président de la Douma, francophone, président de l'association de la Légion d'honneur, aujourd'hui patron des services de renseignement extérieur russes, qui s'est fait tancer publiquement à la télévision par le président Poutine pour son échec en termes de renseignement en Ukraine. Je parlais à M. Léonid Sloutski, à M. Alexeï Pouchkov, actuel président de la commission des affaires étrangères de la Douma. Je faisais mon métier de diplomate et je vous assure qu'ils ne mâchaient pas leurs mots sur le soutien qu'ils avaient apporté à un certain nombre de gens. Ce n'est pas moi qui ai invité Marine Le Pen au Kremlin ; ce n'est pas moi qui ai diffusé cette image. Et quand j'ai appris le versement du prêt, j'ai fait le rapprochement, peut-être à tort, mais il se trouve qu'entre-temps les révélations d'un organe de presse ont montré que je ne m'étais pas trompé.
Je n'ai de querelle contre personne. J'ai simplement fait état d'une impression liée à mon travail de diplomate. J'ai exercé ce métier pendant quarante ans ; je pense savoir un peu lire les comportements et décrypter les mots, et je vous assure que le tiercé institutionnel francophone russe que j'ai cité ne cachait pas sa sympathie pour ce parti politique ; le président Poutine ne la cachait pas non plus quand il recevait certains interlocuteurs étrangers. Je le savais : j'étais ambassadeur, je parlais à mes collègues, ils me parlaient, nous nous écoutions. Ce n'est un secret pour personne que la France et l'Allemagne sont extrêmement proches ; d'ailleurs, la chancelière Merkel et le président Hollande ont élaboré ensemble le compromis de Minsk. Donc, nous parlions beaucoup de ce qui se passait, avec l'ambassadeur de Belgique et les autres ambassadeurs de pays de l'Union européenne, nous nous racontions ce que nous pouvions sans compromettre les intérêts de nos pays respectifs. La coopération européenne a un sens : nous sommes unis depuis le traité de Lisbonne de 2009 au sein d'une communauté d'intérêts et de valeurs, donc nous nous parlons.
C'est ainsi que j'ai forgé cette impression. Si les mots que j'ai prononcés devant les médias étaient impropres, soyons clairs, c'était une impression. Il se trouve qu'elle n'a pas été démentie entre le moment où j'ai eu ce sentiment et le moment où j'ai fait cette déclaration. Je répète que lorsque j'ai dit « je prends mes responsabilités », c'est en tant que citoyen, en tant qu'homme.