Intervention de Antoine Bondaz

Réunion du mercredi 29 mars 2023 à 15h00
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique :

Benoît Quennedey a bénéficié d'un non-lieu. Je le connaissais car lorsque l'on travaille sur la Corée du Nord, on va à la délégation générale de la Corée du Nord en France où l'on participe à certains événements. Le cas de Benoît Quennedey était très spécifique car il était clairement identifié en tant que président de l'association d'amitié franco-coréenne – la seule Corée concernée par cette association étant celle du Nord. Il avait un profil idéal pour les Nord-Coréens à Paris, qui pouvaient difficilement espérer mieux qu'un administrateur du Sénat président de cette association – cela n'allait pas être le PDG de Veolia, le dirigeant d'un parti politique ou un journaliste très connu ! Ils se sont sûrement dit que ce profil les respectabiliserait et qu'il pourrait convaincre des Français de les rencontrer ; en revanche, Benoît Quennedey n'avait pas accès à des informations sensibles, car il n'était pas affecté à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mais chargé des jardins du Sénat. En 2016 et 2017, l'ONU a adopté un nouveau train de sanctions contre la Corée du Nord, si bien que des actions de coopération autorisées en 2016 sont devenues interdites : peut-être que les services ont pensé que Benoît Quennedey ne s'était pas adapté à ce nouveau cadre juridique. J'imagine qu'il était, de toute façon, suivi par les services en tant que président de l'association d'amitié franco-coréenne : si ce n'était pas le cas, ce serait une défaillance.

La Corée du Sud est une puissance culturelle de plus en plus importante : comme de nombreux pays, elle mène des actions d'influence à l'étranger. Cette puissance culturelle est instrumentalisée politiquement. Le gouvernement est en train de préparer la visite d'État aux États-Unis, mais la femme du président américain, Jill Biden, avait proposé que Lady Gaga donne un concert avec le groupe BTS pour le dîner d'État sans que l'information ne remonte au président Yoon Seok-youl, ce qui a causé un scandale : l'ambassadeur aux États-Unis a été nommé conseiller à la sécurité nationale en remplacement de Kim Sung-han. L'image de BTS est utilisée, mais cela fait partie du jeu. Comme pour la Turquie, la Corée du Sud n'était pas sur la carte mondiale de l'influence il y a vingt ans, puis elle y est apparue soudainement en mettant beaucoup de moyens. La Korea Foundation, qui soutient l'un de mes petits programmes de recherche comme elle le fait ailleurs en Europe ou aux États-Unis, finance les chaires d'études coréennes à l'étranger, des ouvrages, des expositions, les travaux de certains professeurs : elle est un levier d'influence très intéressant. Les Coréens ont beaucoup appris des Américains dans ce domaine.

En Corée du Sud, des acteurs privés mènent des actions d'influence au service de l'intérêt national. Si une entreprise souhaitait apporter une subvention, de manière publique et dans un cadre spécifique, je l'accepterais, même si c'est au secrétaire général de la Fondation d'en décider – théoriquement, c'est possible car elle est reconnue d'utilité publique. Il est regrettable que les entreprises françaises financent de nombreux think tanks aux États-Unis et en Europe, sans orienter la recherche de ceux-ci, mais ne le fassent pas en France. Elles financent des activités artistiques dans notre pays – je ne dis pas que ce n'est pas bien –, mais pas l'éducation : elles réuniront 100 millions d'euros pour acquérir un tableau, mais elles ne donneront pas 100 millions d'euros à un programme d'éducation. C'est bien qu'il y ait de l'argent pour financer des programmes consacrés au rôle des femmes dans la recherche, mais pourquoi n'y en a-t-il pas pour la connaissance des pays étrangers et des questions internationales ? L'un de mes financements à la fin de ma thèse provenait de la Fondation Pierre-Ledoux, sous l'égide de la Fondation de France. Pierre Ledoux était PDG de Paribas avant que cette banque ne soit rachetée par la BNP. N'ayant pas d'enfant, il a légué sa fortune à une fondation dont la mission est de favoriser les échanges internationaux ; dans ce cadre, elle finance des terrains de jeunes chercheurs à l'étranger, et j'avais reçu 1 000 ou 1 500 euros pour faire un terrain en Chine ou en Corée du Sud. Ce type d'initiative reste très rare, alors qu'il est extrêmement fréquent aux États-Unis. L'objectif n'est pas que les entreprises orientent la recherche des think tanks, mais qu'elles contribuent à construire la masse critique de connaissances nécessaire, que ce soit sur la Chine, l'Afrique, le Moyen-Orient ou les États-Unis.

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