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Intervention de Antoine Bondaz

Réunion du mercredi 29 mars 2023 à 15h00
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique :

Dans le domaine de l'ingérence, il n'y a pas de spécificité purement nationale. Il s'agit d'une boîte à outils dans laquelle on puise au gré des circonstances et des intérêts, mais il n'y a pas d'outils propres à la Chine. Je déteste les approches culturelles : en général, tous les pays du monde font la même chose, plus ou moins bien.

Ce qui change, ce sont les moyens mis en œuvre et les objectifs. Influencer le débat public pour empêcher qu'un sujet n'émerge et que des décisions ne soient prises, ce n'est pas la même chose que de vouloir donner une bonne image de l'Allemagne ou du Brésil. La Chine se distingue par les moyens qu'elle déploie : seuls les Américains en font autant, puisqu'ils consacrent 60 milliards de dollars par an au renseignement, somme supérieure au budget militaire de la France ; tous les gens qui font du renseignement en France envient leurs homologues américains pour les moyens dont ils disposent – pas forcément pour certaines pratiques.

Ensuite, il y a la question des objectifs. Cherchent-ils à empêcher l'adoption de certaines résolutions au Conseil de sécurité des Nations unies ou l'émergence de certaines questions ? La meilleure réponse à opposer à la Chine est d'exposer tous les sujets. Il ne doit pas y avoir de sujet tabou. Le problème en France est que les gens ne maîtrisent pas les vrais déterminants de la relation avec la Chine. Combien d'emplois ont-ils été créés par les investissements chinois ? Ces cinq dernières années, 8 000. C'est très bien, mais les investissements belges ont également engendré 8 000 emplois durant la même période ; or tout le monde vous dira que la Chine investit beaucoup plus que la Belgique : en fait, non. Selon Business France, les investissements suisses ont créé plus d'emplois en France que les investissements chinois entre 2017 et 2021 ; les investissements allemands en ont créé trois fois plus, les américains quatre à cinq fois plus. Ces éléments n'apparaissent pas dans le débat public.

Une visite d'État est programmée en Chine : avez-vous lu un article dans la presse sur la réalité de la relation bilatérale ? Il n'y a quasiment rien. Le déficit commercial français par rapport à la Chine est de 50 milliards d'euros alors qu'il n'était que de 30 milliards il y a cinq ans. On parle beaucoup de la Chine, mais sans revenir aux fondamentaux. Le commerce bilatéral avec la Chine est plus faible qu'avec l'Allemagne. Cela ne signifie pas qu'il n'est pas important, mais il faut connaître le contexte et les ordres de grandeur de la relation économique ; or personne ne les a en France.

Il y a de très bons documentaires sur la Chine à la télévision mais ils portent soit sur Xi Jinping, soit sur Taïwan, soit sur les Ouïghours. Il faudrait des enquêtes sur la Chine actuelle et sur notre relation bilatérale. Il n'y a aucune publication académique ni aucune expertise sur ce sujet, qui ne suscite que peu d'intérêt dans notre pays. J'ai publié mes premiers papiers à l'étranger parce que les Allemands, notamment, étaient plus intéressés par les relations entre la France et la Chine que les Français. Il faut développer la culture de la relation bilatérale et mieux connaître la Chine. On ne peut pas se contenter de dire que le régime chinois est autoritaire. Il y a lieu de mieux comprendre les ambitions et la politique étrangère chinoises. Les gens découvrent que la Chine a joué un rôle de médiateur dans l'accord entre l'Iran et l'Arabie saoudite ; je n'ai pas cessé de rappeler que la Chine avait un envoyé spécial au Moyen-Orient depuis 2002. Elle a également effectué une médiation entre le Soudan et le Soudan du Sud en 2015, et accueilli à Pékin des pourparlers entre Israël et la Palestine en 2017. Il n'y a pas de tournant, simplement le fruit de tous les investissements consentis depuis vingt ans et auxquels personne ne s'intéressait. La superpuissance de la Chine ne vient pas de nulle part. Il faut resituer la relation bilatérale, et plus largement la Chine, dans le débat public : cette tâche revient aux chercheurs, aux journalistes et aux administrations, pas forcément aux parlementaires.

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