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Intervention de Antoine Bondaz

Réunion du mercredi 29 mars 2023 à 15h00
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique :

Parmi les spécificités, il y a le niveau des ressources : les moyens déployés par les services de renseignement chinois sont considérables par rapport à ceux des autres pays, hors États-Unis. Les moyens humains du ministère de la sécurité de l'État sont environ vingt fois supérieurs à ceux de la DGSE.

Les Chinois ont développé une capacité de coordination extrêmement forte ; ils réussissent comme peu de pays à coordonner, au sein des ambassades, différents acteurs et à atteindre les étudiants et la diaspora chinois. D'autres pays tentent de le faire et essaient de contrôler leur diaspora, mais l'effort chinois est particulier dans ce domaine. Les Chinois disposent d'un outil dédié à cette tâche, le Front uni. Historiquement, cet organisme avait pour tâche de neutraliser toute opposition potentielle au parti, il œuvrait par cooptation et coercition contre de potentielles menaces ; actuellement, il agit beaucoup auprès des diasporas. Le principal journal chinois publié en France, Nouvelles d'Europe, est en chinois et édité par une entreprise proche du parti communiste : soit on l'interdit parce qu'il n'y a pas de réciprocité, soit les Français d'origine chinoise doivent avoir accès à d'autres sources d'information – peut-être que RFI en chinois devrait avoir davantage de moyens, par exemple.

L'objectif chinois n'est pas simplement de devenir la première puissance mondiale ; d'ailleurs, qui pourrait leur en vouloir de nourrir une telle aspiration ? Je serais un dirigeant chinois, je souhaiterais que mon pays soit le plus fort et le plus sûr du monde. Le problème arrive avec la notion de sécurité politique propre à certains régimes autoritaires. Les textes officiels affirment que la sécurité nationale repose sur quinze dimensions, dont la première est la sécurité politique. Je l'ai dit plusieurs fois publiquement, c'est là qu'il faut chercher le fondement du rapprochement sino-russe : il ne s'agit pas d'un rapprochement entre deux pays mais entre deux régimes politiques. On n'a pas compris cet aspect en France. Ce rapprochement n'est pas dans l'intérêt de la Russie, mais dans celui du régime russe. Le régime chinois est entré dans une véritable rivalité systémique, dont les Européens parlent depuis 2019, visant à discréditer les démocraties libérales. Certains disent avec raison que nous n'avons pas besoin d'eux pour que nos démocraties dysfonctionnent : nos problèmes ne sont pas dus aux autres. Toutes les démocraties du monde doivent mener un travail de résilience et d'amélioration des pratiques politiques. Quand les Chinois instrumentalisent les problèmes aux États-Unis, ils évoquent l'assaut sur le Capitole, les morts du fentanyl, les meurtres par arme à feu et la guerre en Irak : ces événements ne sont pas imputables à la Chine – même si l'on peut se poser quelques questions pour le fentanyl. Les Chinois exploitent toutes les vulnérabilités et les instabilités des démocraties.

La France est-elle dans la situation du Canada ou de l'Australie ? La réponse est non. Je n'ai pas d'éléments indiquant que l'ambassade chinoise aurait déjà interféré ouvertement dans un processus électoral en essayant de faciliter l'élection ou la réélection d'un candidat. Cela s'est produit en Australie et au Canada. Nous sommes protégés par le mode de financement de la vie politique en France. Il est incroyable qu'une entreprise étrangère puisse financer un candidat, comme cela se passe dans de nombreux pays. La Chine a des préférences, évidemment, mais elle ne s'est pas ingérée ouvertement dans certains quartiers de Paris ou dans certaines circonscriptions pour faire élire un candidat qui lui apparaîtrait comme un bon relais de ses intérêts – c'est la DGSI qui pourrait avoir connaissance de ce type de phénomène. En Australie et au Canada, la Chine a développé une vraie stratégie, prouvée et analysée par le service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), pour faire élire un parti, le parti libéral. Nous ne sommes pas dans cette situation extrême mais nous devons renforcer les outils qui permettent de s'en prémunir.

En revanche, une action d'ingérence et d'influence est menée pour façonner le débat public. Ma seule recommandation est de faire un travail d'explication de cette volonté chinoise ; sur Twitter, j'essaie de faire preuve de pédagogie, même si je fais parfois de la provocation pour amener certains sujets sur la table : cela fait partie du jeu et tous ceux qui sont sur ce réseau social le reconnaissent. Un débat public émerge dans d'autres pays européens sur la Chine, mais ce n'est pas encore le cas en France. Le meilleur moyen de s'opposer aux ingérences chinoises serait d'ouvrir un débat public argumenté, pas un échange d'invectives pour savoir si on est prochinois ou antichinois.

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