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Intervention de Antoine Bondaz

Réunion du mercredi 29 mars 2023 à 15h00
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique :

Il faut tout d'abord déconstruire ces éléments de langage. Qui dans les médias et parmi les chercheurs fait ce travail ? Il ne s'agit pas de prendre position, mais d'expliquer le sens que les Chinois donnent à un terme ou à une expression et le contexte dans lequel ils l'utilisent.

Tous les députés savent que les parlementaires étrangers sont très bien reçus en Chine : les conditions de transport et d'hébergement sont excellentes. C'est le cas dans d'autres pays, à Taïwan ou aux États-Unis. Les conditions de réception sont grandioses : jeune chercheur de 26 ou 27 ans, j'ai été reçu au Palais du peuple en présence du vice-président de l'Assemblée nationale populaire, j'avais l'impression d'être important. Beaucoup de chercheurs et d'élus sont impressionnés, pas tant par l'argent que par les marques d'importance dont on vous gratifie. On sous-entend qu'ici, vous êtes écoutés, pas comme en France. Jouer sur l'ego marche toujours et souvent plus que l'argent.

L'ambassadeur nommé en Suède était un spécialiste de la Russie, ce qui n'était pas très intelligent de la part du gouvernement chinois. La situation s'est envenimée car il a déclaré dans un média que les Chinois accueillaient leurs amis avec un verre de vin et leurs ennemis avec un fusil à pompe. En outre, un Suédois d'origine chinoise, Gui Minhai, a été condamné en Chine à de la prison : cette affaire a entraîné une prise de conscience et les Suédois se sont dit qu'ils devaient mieux comprendre la Chine. En France, la prise de conscience est beaucoup plus poussée, mais on ne se donne pas les moyens de connaître la politique chinoise. Il n'y a pas de problème de manque de moyens, mais il faut orienter différemment les financements publics pour les rendre plus utiles.

Au sein de l'Union européenne, il y a de grands projets sur la Chine, ce qui ne me semble pas pertinent. Les programmes de recherche peuvent recevoir 3 millions d'euros par an, ce qui est énorme, mais il faut une coalition de plusieurs instituts européens, si bien que chacun d'entre eux ne recevra qu'une petite partie de la recherche et du financement. Avec cette méthode, on ne construit aucune expertise, on se contente de répartir de l'argent pour montrer que les Européens travaillent ensemble. Ce qu'il faut, c'est un projet, doté de 1 million d'euros par exemple, conduit par un groupe, qui ne travaillera peut-être qu'en France et en Allemagne, mais un autre sujet sera ensuite piloté par des groupes d'autres pays : là, on peut bâtir de l'expertise. Il faut une masse critique pour y parvenir, la dilution des moyens est néfaste. Cette masse critique manque en France où il y a pourtant d'excellents chercheurs, reconnus internationalement, sur la Chine – François Godement, mon directeur de thèse, Jean-Pierre Cabestan et, parmi les plus jeunes, Mathieu Duchâtel. Trois personnes excellentes dans trois think tanks différents feront à peu près la même chose, cela ne sert à rien, alors que trois personnes travaillant ensemble apporteront beaucoup plus de valeur ajoutée. C'est là que les Suédois et les Allemands ont été meilleurs que nous.

Beaucoup de personnalités politiques reprennent des éléments de langage chinois sans en avoir conscience. Certains le savent, mais de très nombreux responsables ne s'en rendent pas compte. Quand Manuel Bompard parle de plan de paix chinois pour la guerre en Ukraine, je lui dis qu'il ne s'agit pas d'un plan de paix ; il me répond en me transférant un article d'un journal de Strasbourg évoquant le plan de paix chinois. Beaucoup de médias ont en effet qualifié le document chinois de plan de paix, mais il n'en est pas un et j'ai expliqué pourquoi il ne l'était pas. Cette démarche d'échanges est fondamentale. La représentation nationale devrait organiser des échanges avec les chercheurs, comme cela est fait dans tous les pays du monde. Aux États-Unis, les parlementaires les rencontrent très souvent. Il faut faire attention et bien les sélectionner, mais il serait intéressant de recevoir quelqu'un qui vous brosserait un large panorama de la Chine pendant trois heures. Je suis d'ailleurs parfois invité par le département d'État américain à éclairer les futurs ambassadeurs – qui ne sont pas forcément nommés en France – sur la situation dans la zone indo-pacifique : que je sois français n'a aucune importance à leurs yeux, mais ils considèrent que je peux leur être utile sur ce sujet. J'ai ainsi rencontré la future ambassadrice en France. Ce n'est pas de l'influence américaine, puisque c'est moi qui suis censé les façonner. Il est totalement impensable, en France, qu'un chercheur étranger fasse un cours à un diplomate avant son départ dans un pays. Les responsables politiques suivent bien entendu des orientations politiques personnelles, mais ils reprennent parfois des éléments de langage sans en avoir conscience. Je suis tout à fait ouvert pour parler des sujets que je connais avec des députés de tous les partis, sans être conseiller politique : mon travail est d'aborder des questions techniques.

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