Je vous remercie de m'avoir convoqué. J'avais demandé à votre président que cette commission m'auditionne, surtout en ma qualité de président du Dialogue franco-russe, qui alimente un peu tous les fantasmes sur les relations que nous aurions ou les moyens dont nous disposerions.
Je répondrai évidemment à la totalité de vos questions, mais mon exposé liminaire se limitera au Dialogue franco-russe.
Je le dis avec un clin d'œil : je vous remercie de m'avoir convoqué le 28 mars, puisqu'il y a exactement trente ans – le 28 mars 1993 –, j'étais élu député.
Qu'est-ce que le Dialogue franco-russe ? Quand je lis certains spécialistes – j'ai d'ailleurs vu que vous alliez en auditionner un ou deux –, j'ai l'impression que la fiction dépasse de beaucoup la réalité.
Le Dialogue franco-russe a été créé en 2004 par Jacques Chirac et Vladimir Poutine pour favoriser les échanges économiques et politiques avec la Russie. J'y reviendrai probablement en répondant à vos questions, mais il a fonctionné à plein régime jusqu'en 2014. Il a connu un premier coup d'arrêt en 2014, lors de la première vague de sanctions, à la suite du rattachement de la Crimée à la Russie. À ce moment-là, les cotisations françaises se sont beaucoup raréfiées. En 2021, avec les événements qu'on connaît – la guerre entre l'Ukraine et la Russie –, nous avons eu un second coup d'arrêt. Désormais, l'activité de notre association se limite quasiment à des rencontres avec des spécialistes, qui sont retransmises sur notre chaîne YouTube.
Le Dialogue franco-russe est présidé par un coprésident russe et un coprésident français. Le premier président russe était M. Ara Abramian, un Russe d'origine arménienne, et le premier président français était M. Thierry Desmarest, qui était à l'époque président ou directeur général – je ne sais plus quel était son titre exact, mais il en était le numéro un – de Total. J'ai donc pris la suite de Thierry Desmarest en 2012, quand il a souhaité démissionner. À cette époque-là, il y a aussi eu un changement de présidence du côté russe : c'est M. Vladimir Iakounine qui est devenu président.
Pourquoi avais-je été pressenti pour présider cette association ? D'abord pour mes liens avec la Russie, évidemment, mais aussi parce que le coprésident russe, Vladimir Iakounine, était président de RŽD, la première entreprise ferroviaire russe, l'équivalent de la SNCF. En 2019, elle avait 711 000 employés – il suffit de voir la superficie de la Russie pour comprendre ce chiffre. J'ai été pressenti car j'étais ancien ministre des transports et qu'il existait un certain nombre d'intérêts communs à des entreprises françaises et russes dans ce secteur.
J'assure cette fonction depuis 2012. Je tiens à votre disposition tous les chiffres, enfin ceux qui me restent en main – nous avons eu une perquisition de la brigade financière le 23 mars 2022, il y a donc environ un an. Je n'en ai eu aucune nouvelle et, pour le moment, les documents saisis ne nous ont toujours pas été rendus. Je précise que cette perquisition ne me visait pas et ne visait pas non plus le Dialogue franco-russe. Elle visait un ancien directeur, soupçonné de certaines choses, qui a quitté le Dialogue franco-russe il y a trois ou quatre ans.
Aujourd'hui, qu'est-ce que le Dialogue franco-russe concrètement ? Le budget de l'année dernière était de 86 000 euros : on n'est pas du tout dans les millions qui débouleraient du Kremlin ! Les cotisants russes ne peuvent plus participer à notre financement en raison des sanctions bancaires. On arrive encore à recevoir quelques cotisations de particuliers, mais extrêmement réduites. Ce qui est nouveau, en revanche, c'est l'arrivée d'énormément de petits donateurs français, grâce aux vidéos que nous diffusons. L'année dernière, nous avons collecté 17 000 euros. Nous sommes à nouveau à 17 000 euros en 2023, mais seulement pour trois mois.
Ai-je été salarié de cette association ? La réponse est non, bien sûr. Est-ce que j'ai été défrayé ? J'ai demandé les éléments au commissaire aux comptes. Depuis 2012, j'ai touché 2 126 euros de remboursement de frais divers, ce qui, en douze ans, fait une moyenne de 163 euros par an.
Je reviens à ce que je disais, pour que vous compreniez bien. Au départ, il y avait un équilibre entre la participation des entreprises russes et celle des entreprises françaises. Jusqu'au coup d'arrêt de 2014, les entreprises françaises qui avaient principalement cotisé étaient Alstom, pour 50 000 euros, Bouygues, pour 8 000 euros, EADS, pour 8 000 euros, Geismar – du ferroviaire –, pour 4 000 euros, Gefco – du transport –, pour 8 000 euros, Safran, pour 8 000 euros, Sanofi, Société générale, SNCF, Thales, Total, etc. Jusqu'en 2014, c'était une association qui organisait des contacts.
Notre siège était au 120 avenue des Champs-Élysées. Nous partagions un plateau, c'est-à-dire un étage, avec RŽD, ce qui nous permettait d'organiser un certain nombre de rencontres, soit quand des entrepreneurs souhaitaient contacter des entreprises russes, soit – plus souvent – quand des élus locaux russes, par exemple des gouverneurs de région ou des maires, venaient en France et voulaient avoir des contacts avec des élus locaux français ou des responsables français d'autorités locales.
Le dernier grand colloque que nous avons organisé était en 2013, juste avant la première vague de sanctions. Il réunissait à Paris le MEDEF et son équivalent russe.
Voilà ce que je pouvais vous dire concernant cette association.
Vous avez signalé que j'étais sous le coup d'une enquête depuis avril 2021. C'était un mois avant les élections régionales que certains me voyaient gagner, mais je suis persuadé qu'il s'agit d'une pure coïncidence... Depuis mars 2021, je n'ai jamais vu un policier, jamais vu un magistrat et, telle sœur Anne, j'attends d'être enfin convoqué. Je le redis devant cette commission – je l'ai déjà dit à plusieurs reprises devant les caméras, puisque les médias me font la bonté de me rappeler cette affaire à chaque intervention –, si j'étais convoqué par un juge, j'accourrais dans son bureau, indépendamment de mon immunité parlementaire. Je n'ai rien à cacher concernant cette association. Je présume d'ailleurs que si la brigade financière, qui a emporté toute une série d'archives, ne s'est pas manifestée depuis un an, c'est parce qu'elle fait le même constat.
Je voulais surtout intervenir au sujet du Dialogue franco-russe, mais j'aimerais tout de même ajouter quelques mots. J'ai fait des études de droit international. Je m'intéresse donc à l'international. J'ai par ailleurs passé mon bac dans une école militaire ; à cette époque-là, on nous poussait à apprendre le russe pour préparer la guerre d'après. Contrairement à toutes les légendes romantiques que j'ai entendues, je ne me suis pas intéressé à la Russie parce que ma seconde épouse était russe – la première était savoyarde. Quand je suis arrivé dans cette assemblée il y a trente ans, nous n'étions pas beaucoup à parler russe. Parmi les députés que j'ai connus, certains le parlaient parfaitement, comme Hervé Mariton, d'autres moins parfaitement, surtout s'agissant des déclinaisons, comme moi. En décembre 1991, quand l'Union soviétique s'est effondrée, quinze nouveaux États ont cherché des contacts pour construire des relations diplomatiques avec la France. La France a également envoyé des délégations parlementaires. Forcément, je me suis intéressé à cette zone-là.
Si vous regardez mon parcours politique à l'Assemblée, j'ai fait cinq mandats, dont l'avant-dernier qui était incomplet, puisque j'ai été nommé ministre. Lors de mon premier mandat, la majorité RPR-UDF avait 450 députés. On en est bien loin aujourd'hui ! À l'époque, j'avais demandé la présidence d'un groupe d'amitié. On m'avait très gentiment répondu qu'on m'en donnerait une si je survivais au premier mandat. Pendant mon deuxième mandat, entre 1997 et 2002, c'était une majorité Jospin. J'avais demandé la présidence d'un groupe d'amitié d'Europe de l'Est. J'ai obtenu la Sierra Leone, qui, comme chacun le sait, est en Afrique ! Le pays était en pleine guerre civile. J'ai passé mon temps à accorder des réserves parlementaires à des ONG qui faisaient des prothèses – c'était une guerre horrible où on coupait les membres. Contrairement à ce que certains écrivent, je n'ai jamais présidé le groupe d'amitié France-Russie lors de mon troisième mandat, d'ailleurs à mon grand regret, mais le groupe d'amitié France-Ukraine, ce qui m'a permis de connaître un peu ce pays. Je ne me souviens plus dans quel ordre, mais, pendant mes quatrième et cinquième mandats, j'ai présidé les groupes d'amitié France-Azerbaïdjan et France- Kazakhstan.
Donc, effectivement, je connais un peu cette zone d'Asie centrale. Comme d'autres deviennent spécialistes de l'Afrique, je me suis spécialisé dans cette région parce que j'ai eu la chance de la connaître dès 1991 lorsque tout s'est effondré et que ces États se sont constitués. J'ai vu des personnalités politiques prendre de l'importance et j'ai gardé – je ne le renie pas – un certain nombre de relations dans ces pays. La semaine prochaine, je repars d'ailleurs en voyage en Ouzbékistan avec le Parlement européen.
Au Parlement européen, je fais partie de la commission des affaires étrangères, comme ce fut le cas ici lors de mon dernier mandat.
On me reproche certaines relations en Asie-Pacifique ou dans une partie de l'Europe de l'Est, mais – ce n'est pas Mme Genetet qui me contredira – elles sont assez logiques quand on a été député de la onzième circonscriptiondes Français de l'étranger, puisqu'elle couvre cette zone. À cette époque, j'y ai effectué un certain nombre de voyages.