Créé à la suite de l'affaire Cahuzac, l'OCLCIFF est l'un des offices centraux de la direction centrale de la police judiciaire ; il a une compétence nationale.
Il compte quatre-vingt-un enquêteurs : principalement des policiers, mais aussi des agents des finances publiques. Il est à vocation interministérielle et appartient à la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière (SDLCF), aux côtés de l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), qui est plus ancien. L'OCLCIFF traite plutôt la délinquance en col blanc, la délinquance économique et son blanchiment ; l'OCRGDF, quant à lui, est chargé des affaires d'escroquerie, de fraude en bande organisée, de blanchiment du trafic de stupéfiants et du terrorisme. La SDLCF réunit environ deux cents personnes. Son siège est situé à Nanterre, avec les services centraux de la police judiciaire. L'OCLCIFF et l'OCRGDF sont les deux bras armés, au niveau central, de la lutte contre la criminalité financière.
Je dirige l'OCLCIFF depuis 2019 et je le connais intimement pour avoir, dans mes deux précédents postes, dirigé les deux brigades qui le composent.
Créée en 2010, la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) est dédiée à la lutte contre la grande fraude fiscale ; elle compte quarante-cinq enquêteurs. Elle a l'originalité d'être composée, à égalité, de policiers expérimentés en enquêtes financières et d'officiers fiscaux judiciaires (OFJ), c'est-à-dire d'agents de Bercy habilités à mener des enquêtes judiciaires. Elle est dirigée par un commissaire de police assisté d'un administrateur des finances publiques adjoint. Cette brigade est chargée de traiter principalement des plaintes de l'administration fiscale pour fraude fiscale ou pour des infractions connexes, notamment du blanchiment. Cette « police fiscale », comme on l'appelle souvent, lutte contre la grande fraude fiscale, celle qui utilise souvent des schémas complexes et passe par les paradis fiscaux. En 2019, la création, au sein du ministère des finances, du service d'enquêtes judiciaires des finances (SEJF), lui-même issu du service national de douane judiciaire (SNDJ), est venue compléter le paysage répressif français.
La brigade nationale de lutte contre la corruption et la criminalité financière (BNLCF) vous intéressera probablement davantage. Elle est composée uniquement de policiers et compte un peu moins d'une quarantaine d'enquêteurs – nous avons effectivement des difficultés de recrutement et de pérennisation de nos effectifs. Elle est chargée, premièrement, des affaires de corruption et des infractions cousines – toutes liées à la probité – que sont le trafic d'influence, le favoritisme ou la prise illégale d'intérêt ; elle gère les affaires de corruption internationale, qui consistent essentiellement en la corruption d'agents publics étrangers depuis la France. Elle traite, deuxièmement, de la criminalité financière, au sens du détournement ou de l'appropriation des richesses d'une entité par ses dirigeants, soit de droit, soit de fait. L'infraction que nous poursuivons le plus est l'abus de biens sociaux ou le détournement de fonds publics, selon qu'il s'agit d'une entreprise privée ou d'une administration publique. Nous gérons également des affaires liées au financement de la vie politique – campagnes électorales et partis politiques.
Au 31 décembre 2022, nous avions 235 enquêtes en cours, qui concernaient majoritairement des affaires de fraude fiscale aggravée et de blanchiment de cette fraude fiscale – 134 affaires –, à quoi s'ajoutaient 75 affaires de corruption et 26 affaires de détournement ou de criminalité financière.
L'activité de l'office nous amène à être très régulièrement projetés sur le territoire national, notamment dans les grandes métropoles, qui sont des centres économiques et de pouvoir, mais aussi outre-mer. En 2022, nous avons mené plus de 210 perquisitions, entendu 253 personnes sous un régime de mise en cause – dont 50 en garde à vue – et entendu près de 300 témoins. Nous avons comptabilisé 737 jours de déplacements pour une centaine de missions conduites et 23 missions à l'étranger et outre-mer. Les offices sont les services qui ont le plus de liens avec l'international, d'abord pour des raisons opérationnelles, à savoir la conduite de nos enquêtes, mais aussi pour répondre à des demandes provenant de nos homologues étrangers, et enfin pour participer, dans un cadre diplomatique, à des conférences dédiées à la lutte contre la corruption. Nous avons des liens étroits avec Europol et Interpol.
Nous avons quatre rôles principaux. Le premier est de mener des enquêtes judiciaires. La technicité et la sensibilité des affaires que nous avons à traiter conduisent souvent les magistrats à nous demander de travailler seuls : il est très rare que nous fassions l'objet d'une co-saisine, à la différence d'autres offices centraux. Sur les 235 affaires en cours, moins de 10 font l'objet d'une co-saisine. Nos trois autres rôles sont : l'international ; la formation, à la fois de nos propres troupes – celles qui travaillent dans les offices centraux comme celles qui ont à traiter de criminalité financière dans les services territoriaux – et, en externe, auprès de l'École nationale de la magistrature (ENM) et de l'Institut national du service public (INSP), voire à l'international ; le renseignement criminel enfin. Comme c'est sans doute le point qui vous intéressera le plus, je vais m'y arrêter.
Dans le cadre du plan national d'orientation du renseignement, nous sommes chargés par la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) d'échanger avec des services de renseignement situés en dehors de la police judiciaire. L'objectif est double. Il s'agit d'abord de mieux identifier les menaces et de les faire remonter pour que les autorités puissent décider d'une réponse. Il peut aussi y avoir une dimension plus opérationnelle : nous pouvons proposer à nos partenaires de l'autorité judiciaire de participer à une enquête. Dans ce cadre, l'OCLCIFF, avec les services de la SDLCF, réunit régulièrement les membres de la communauté du renseignement pour échanger sur divers sujets. Nous avons par exemple travaillé sur la corruption dite de basse intensité, qui concerne davantage les territoires et les agents publics locaux mais qui peut aussi concerner des personnes privées. Il s'agit, schématiquement, d'agents publics qui se font corrompre pour des petites sommes mais de manière très régulière, en échange de l'accès à des services, à de l'argent public, ou encore à des fichiers, par exemple de l'administration fiscale ou de la police. Cette corruption est parfois le fait de groupes criminels organisés qui l'utilisent pour se créer un circuit d'approvisionnement, notamment dans le trafic de stupéfiants, ou pour s'approprier des territoires.
Nous animons cette réflexion, mais l'office n'est pas dédié à la lutte contre la corruption de basse intensité. Sa compétence rejoint plutôt celle du parquet national financier (PNF), à savoir la corruption des élites.
Les enquêtes menées par l'OCLCIFF concernent, le plus souvent, des versements de pots-de-vin particulièrement sophistiqués. La remise d'argent liquide n'a pas totalement disparu, mais elle est très rare dans les affaires qui nous intéressent. Les pots-de-vin sont généralement versés de manière intermédiée ; des fausses factures permettent de faire sortir un flux de trésorerie d'une société vers un intermédiaire qui partage généralement l'argent avec un agent public. C'est ce que nous observons dans les cas de corruption sortante, exercée depuis la France, mais ces dispositifs peuvent aussi s'appliquer dans l'autre sens – et j'imagine que c'est ce qui vous intéresse – si des agents publics ou des décideurs publics français sont convaincus de corruption.
Je ne pourrai pas vous donner de détails sur les affaires en cours, puisqu'elles s'inscrivent toutes dans le cadre d'une enquête judiciaire et que je suis tenu au secret de l'enquête. Je pourrai, tout au plus, évoquer des types d'affaires.
Il nous est arrivé – mais c'est très marginal – de nous demander si des entités plus ou moins rattachées à des puissances étrangères avaient corrompu des parlementaires, nationaux ou européens. Notre rôle, dans ce type d'enquête, est de savoir si les prises de position et les actes de ces parlementaires – députés, sénateurs ou députés européens – ont pu être dictés par une influence financière, directe ou indirecte. Nous n'avons pas eu d'affaire équivalente à celle du Parlement européen. Les procédés sur lesquels nous enquêtons sont beaucoup plus discrets et subtils : il peut s'agir du financement de voyages, d'associations ou d'entités plus ou moins directement liées à la personne concernée – par exemple des membres de sa famille.
Dans le cadre de nos travaux sur l'analyse de la menace, la question s'est posée du financement, par des États étrangers, d'associations dans certains quartiers, avec une dimension communautaire. Mais, pour l'heure, l'OCLCIFF n'a pas eu à mener d'enquête de ce type et, d'après nos remontées d'information, il y a peu – voire pas – d'enquête en cours, même si c'est un sujet de veille pour la police judiciaire.
Nous prêtons aussi attention à l'influence que des États peuvent exercer au travers des législations transnationales. Dans le cadre de la lutte contre la corruption, nous sommes en interaction avec les États-Unis et le Royaume-Uni, dont les législations ont inspiré la loi Sapin 2 et permettent de traiter la corruption de manière internationale. Sans parler d'ingérence, ces législations ont une influence certaine sur la manière dont nous avons fait évoluer notre système législatif, mais aussi notre pratique de lutte contre la corruption. Nous avons désormais un volet préventif, assuré par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et l'Agence française anticorruption, et un volet répressif, dont le PNF a la charge et dont l'OCLCIFF est le bras armé. Dans ce cadre, nous pouvons mener des enquêtes sur la corruption d'agents publics étrangers, lesquelles peuvent conduire à des conventions judiciaires d'intérêt public, comme dans l'affaire qui a concerné Airbus.