Intervention de Joffrey Célestin-Urbain

Réunion du mardi 14 mars 2023 à 18h00
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Joffrey Célestin-Urbain, chef du service de l'information stratégique et de la sécurité économiques :

Ce sont en premier lieu les acteurs privés, les fonds publics n'ayant vocation à intervenir qu'en dernier ressort. Nous sollicitons donc les industriels français – lorsqu'il y en a, ce qui n'est pas le cas dans tous les secteurs. On voit bien que la désindustrialisation n'a pas favorisé la politique de sécurité économique, et qu'inversement la politique de réindustrialisation du Gouvernement renforcera notre bouclier de protection. Ce dernier ne peut se limiter à bloquer toutes les opérations : cela n'aboutirait qu'à détruire de la valeur et freiner le développement des entreprises françaises.

Nous sollicitons également les fonds d'investissement français, même si cela n'est pas toujours couronné de succès, notamment parce que nos délais sont souvent très contraints. Mais au moins cela nous permet-il de faire le tour de toutes les alternatives.

Quant à BPIFrance, elle nous intéresse surtout dans la mesure où elle constitue un véhicule d'investissement pour l'État. Peu après la crise du covid, en 2020, nous avons créé le fonds « French Tech souveraineté » (FTS), doté de 650 millions d'euros, qui nous permet de prendre des participations dans des entreprises technologiques françaises vulnérables ayant des besoins de financement. Il n'est certes pas toujours avantageux que l'État entre au capital : il a des revendications et l'équilibre est délicat entre la liberté entrepreneuriale et la souveraineté. En revanche, la présence de BPIFrance, qui est le gestionnaire du FTS, tend à rassurer les fonds privés et à les inciter à investir.

Les transferts de technologie liés aux grands contrats sont effectivement une source de préoccupation, car le risque de fuite – en matière technologique ou de savoir-faire – est important. Mais notre rôle n'est pas complètement institutionnalisé : nous n'avons pas de cadre juridique pour intervenir lorsqu'une des technologies critiques de notre liste est concernée par un transfert. L'État, lui, intervient, dans deux secteurs principaux : celui de la défense, avec tout ce qui touche au contrôle des exportations militaires, via la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre, et celui des exportations de biens à double usage, par le biais d'un service dédié qui est rattaché à la DGE. Les biens à double usage peuvent avoir des utilisations à la fois dans les domaines civil et militaire. Ils intéressent notamment beaucoup certains pays asiatiques qui mènent une stratégie de fusion : pour eux, le militaire a des retombées sur le civil, et les programmes civils bénéficient au rattrapage technologique de l'armée.

Nous sommes récemment intervenus en amont, à la demande d'un acteur stratégique français qui envisageait un projet « greenfield », autrement dit un investissement industriel nouveau en France, avec un partenaire d'un pays extrême-oriental : nous l'avons aidé à se doter d'un plan de sécurité suffisamment solide pour pouvoir se lancer dans le projet. Notre objectif est de prévenir les transferts de technologie et d'être sûrs que le partenariat est vraiment équilibré. Le mythe totalement illusoire du « gagnant-gagnant » a longtemps prévalu, mais il a maintenant été remplacé par le « donnant-donnant », qui ne fonctionne que s'il y a réciprocité. Nous avons donc cessé d'être naïfs. Bref, lorsque nous ne recevons pas l'information par nos autres canaux, nous dépendons du bon vouloir des entreprises qui viennent nous solliciter, mais nous sommes très efficaces lorsqu'elles le font.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion