Intervention de Joffrey Célestin-Urbain

Réunion du mardi 14 mars 2023 à 18h00
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Joffrey Célestin-Urbain, chef du service de l'information stratégique et de la sécurité économiques :

Tout à fait. Nous ne sommes pas encore complètement sortis de l'après-covid. Il est vrai que cette mesure a ses avantages – nous nous demandons d'ailleurs, en toute transparence, si elle ne devrait pas être pérennisée.

Le système américain est assez différent du nôtre. Les critères permettant au Comité pour l'investissement étranger aux États-Unis, le CFIUS, de contrôler une opération sont plus larges : nos homologues américains disposent d'une marge d'interprétation plus importante et ont une pratique plus discrète du contrôle. Le président Trump a d'ailleurs largement renforcé ce dispositif en 2018 dans le cadre du Foreign Investment Risk Review Modernization Act, ou loi FIRRMA. Notre pratique est différente puisque nous sommes contraints par le traité, même si nous nous inspirons autant que possible de la logique américaine. Elle est plus institutionnalisée, et la procédure encadrée par un certain nombre de délais. Nous sommes relativement transparents et négocions de bonne foi avec les investisseurs.

S'agissant des opérations intra-européennes, les critères de déclenchement du contrôle sont différents. Pour chaque opération, il nous faut déterminer si l'entreprise cible française entre dans les catégories du contrôle, si elle est stratégique pour notre sécurité économique – je vous rappelle que nous avons nos propres référentiels – et si le profil intrinsèque de l'investisseur étranger pose un problème. La nationalité constitue l'un des critères, mais ce n'est pas le seul. Il est assez naturel de considérer moins défavorablement un investisseur européen qu'un investisseur originaire d'un pays tiers, mais nous ne pouvons pas nous contenter de ce prisme d'analyse. La nationalité affecte bien sûr le profil de risque d'un investisseur : certaines nationalités emportent assez naturellement un profil de risque plus élevé. Nous examinons les choses au cas par cas, faute de quoi nous manquerions à notre mission.

Un critère a été ajouté dans le décret IEF parmi les motifs de refus d'une opération : l'existence d'un lien avéré entre l'investisseur et un État tiers. Il nous permet de rattraper des investisseurs qui, en réalité, ne sont pas privés mais servent les intérêts de puissances étrangères de telle sorte qu'on ne peut les assimiler à des entreprises ou à des investisseurs avisés dans une économie de marché. On retrouve également ce critère très puissant d'ingérence étrangère dans la loi visant à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l'exploitation des réseaux de télécommunications mobiles, dite « loi 5G ». Il faut cependant savoir prouver ces accointances.

La difficulté, dans notre politique de sécurité économique, c'est que nous nous trouvons perpétuellement dans une zone grise. La guerre économique transcende totalement la distinction entre le légal et l'illégal, car « ingérence » n'est pas synonyme d'« illégalité » : des pratiques légales peuvent être de la pure ingérence. L'un de nos critères pour caractériser l'ingérence ou la prédation économique est l'existence d'un lien avec un État étranger. Il y a là aussi une différence entre les Européens et les non-Européens.

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