Comment la protection économique et capitalistique dont votre service est chargé s'articule-t-elle avec le concept même d'Union européenne ? Vous avez parlé de la Chine et des États-Unis, deux États souverains d'organisation classique. L'Union européenne, quant à elle, est un ensemble de pays dont la nature institutionnelle est très originale, au sens strict du terme : elle mêle des institutions communautaires, qui ont des interprétations diverses des traités, et des États souverains, qui ont aussi leur propre interprétation des traités et leurs propres intérêts.
Les traités encadrent la liberté des capitaux et déterminent ce qui est autorisé ou non dans le cadre de la libre concurrence : ils limitent donc, d'une certaine manière, la capacité des États à se protéger. Les règles que vous avez évoquées, notamment le seuil de 25 % du capital qui caractérise une attaque menée par un pays étranger, résultent-elles d'une interprétation des traités, d'un compromis entre ce que nous voudrions faire et les règles européennes ? Il pourrait très bien n'y avoir aucun critère, comme aux États-Unis, où les actions à mener pour garantir la sécurité économique sont à la libre appréciation du président et de son administration. Ainsi, un jour, les services de la présidence ont fait savoir, sans donner aucune justification, qu'ils refuseraient tout investissement étranger dans les ports américains. Pourquoi ne pourrions-nous pas déterminer souverainement ce qui relève ou non de notre intérêt économique ?
Par ailleurs, nous pouvons certes estimer que tous les États membres de l'Union européenne sont des amis – c'est ce que nous souhaitons – mais nous devons aussi prendre en considération l'existence de tensions et d'intérêts économiques divergents entre eux. Comment les opérations intra-européennes, entre États membres, sont-elles appréhendées ? J'ai cru comprendre qu'elles faisaient l'objet d'un traitement différent. Il me semble que dans les années 2000, notamment au moment de l'affaire Parmalat, les Italiens réagissaient assez vivement aux opérations menées par les Français contre leurs intérêts nationaux. De même, lors de la décennie précédente, Siemens a failli prendre le contrôle de la branche énergie d'Alstom, puis d'Alstom Transport : nous aurions alors pu considérer cette opération comme une prise de participation hostile, en tout cas non favorable aux intérêts français.