La livraison d'Artemis commencera le mois prochain. Ensuite, le système montera en puissance jusqu'en 2030. C'est une opération d'armement à part entière, codéveloppée avec des industriels depuis plusieurs années. Les premiers appareils ont été livrés la semaine dernière à Creil. Initialement porté par la DRM, le projet l'est désormais par la DGA, ce qui est une très bonne chose, car le système est d'une complexité qui nous dépasse. C'est un outil de capitalisation de données dont le premier cas d'usage est le renseignement, et qui sera utilisé à d'autres fins, par d'autres entités du ministère, telles que le service de santé des armées ou la maintenance aéronautique, dans d'autres configurations mais sur le même principe : créer des lacs de données, c'est-à-dire les centraliser pour les confronter les unes aux autres, avec des outils d'intelligence artificielle, puis en décentraliser l'utilisation à travers des outils de déport.
À l'horizon de 2030, nous bénéficierons de l'ensemble des fonctionnalités d'Artemis, aussi bien sur le porte-avions en Méditerranée orientale qu'au PC des forces françaises au Sahel, à N'Djamena.
Le principe est de collecter l'ensemble des données existantes – qu'il s'agisse de celles qui sont hébergées ou collectées par la DGSE, boulevard Mortier, au profit de tous les services du premier cercle, de celles qui sont collectées par les satellites, dont je suis le principal client, de celles qui sont collectées en sources ouvertes sur internet et de celles qui sont collectées par des sources humaines dans le monde entier, etc… – et de les faire interagir dans le temps et selon leur nature. Faire en sorte que ces données très hétérogènes puissent interagir nécessite, en amont, un travail normatif considérable, ainsi qu'une gestion du besoin d'en connaître, de façon à ce que les secrets les plus stratégiques relatifs à la dissuasion ne soient pas forcément accessibles aux spécialistes de la traque de terroristes.
Il s'agit d'un outil stratégique pour la DRM. Au début de la précédente LPM, un retard industriel a obligé mes prédécesseurs à basculer vers Artemis. Nous avons quelques semaines de retard par rapport au calendrier idéal, mais cela reste dans l'épaisseur du trait. La balle est dans le camp des industriels : du côté de la DRM, des armées et de la programmation, tout est bien structuré.
Je suis profondément attaché à la transparence. Mais la notion de secret est également essentielle. Elle n'a pas pour objet de faire chic : il s'agit de protéger nos accès, car c'est ce qu'il y a de plus précieux pour un service de renseignement. C'est non seulement ce qui nous a permis d'avoir du renseignement aujourd'hui, mais aussi ce qui nous permettra d'en avoir demain. Le secret a aussi pour but de protéger les forces engagées en opération, et plus globalement les intérêts de la nation.
Il peut être décidé de manière conjoncturelle, au niveau politique, de déclassifier des documents à des fins d'influence, dans le cadre de la stratégie nationale. Les Anglo-Saxons ont fait un grand usage de cette méthode depuis le début de la guerre en Ukraine – avec succès, parfois, mais la pratique a également montré certaines limites. C'était l'objet de mon message subliminal : faire un usage immodéré de la déclassification de documents peut avoir des effets pervers. Du reste, le recours régulier à cette pratique en amont du 24 février 2022 n'a pas empêché Vladimir Poutine d'envahir l'Ukraine. Par ailleurs, quand on habitue l'opinion publique, les partenaires ou les adversaires à déclassifier systématiquement, le jour où on ne le fait pas, on inverse en quelque sorte la charge de la preuve. Déclassifier crée des fragilités. Il est possible de le faire de temps en temps, mais cela doit rester une décision politique exceptionnelle.