Je suis extrêmement honoré d'être parmi vous pour présenter la DRSD. Cette direction est le service de renseignement du ministre des Armées chargé d'assurer la protection des installations, des personnes, des systèmes, des matériels et des informations du ministère. Le champ de compétences de la direction couvre la sphère de défense élargie, à savoir le ministère des armées et les personnels qui y servent, mais aussi les familles, les anciens militaires, les réservistes et la base industrielle et technologique de défense (BITD), composée d'environ 4 000 entreprises.
La mission du service est contenue dans sa devise, « Renseigner pour protéger ». Notre action comporte en effet deux volets : le premier, de renseignement, consiste à collecter et à analyser des informations et le second vise à améliorer la protection de la sphère de défense élargie. Le travail repose sur trois piliers : évaluation de la menace, identification des vulnérabilités – physiques, cyber, des personnels –, puis estimation, reposant sur le croisement des deux premières tâches, d'un niveau de risque, acceptable ou non. Si le niveau de risque nous semble inacceptable, nous réfléchissons au déploiement de mesures destinées à le diminuer ou à entraver toute ingérence.
Pour remplir ces missions, notre organisation est très centralisée, puisque tout remonte à la direction centrale, située au fort de Vanves à Malakoff ; nous possédons en outre une particularité que nous partageons avec nos camarades de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), à savoir une implantation locale : la direction compte ainsi huit directions zonales constituées de cinquante-six postes répartis dans l'Hexagone, outre-mer, à l'étranger où nous avons des forces prépositionnées et aux côtés des forces en opération.
La DRSD poursuit sa transformation engagée depuis plusieurs années et accélérée ces derniers temps. Nos effectifs ont crû et nous avons retrouvé, en 2021, le niveau d'avant la période 2008-2014, à savoir 1 550 personnels. Toujours dans le domaine des ressources humaines, de nouveaux métiers se sont implantés dans la direction : cyber ; développeurs informatiques ; jeunes agents civils, que l'on appelle les agents de contre-ingérence économique et qui agissent en complément des inspecteurs de la sécurité, qui sont, eux, plutôt des personnels militaires. Nous nous adaptons en permanence aux nouvelles technologies pour relever, avec nos camarades du premier cercle, les nombreux défis de ce domaine. Enfin, nous avons conduit une transformation capacitaire, la plus emblématique étant le développement d'une nouvelle base de données souveraine, qui doit se substituer à notre système vieillissant à partir de 2024.
Ces multiples évolutions se sont déployées dans le cadre de la LPM en cours. Entre 2019 et 2025, la direction a reçu 120 millions d'euros en crédits de paiement (CP) ; les révisions annuelles nous ont alloué 219 millions de CP pour conduire nos nouveaux projets : la nouvelle base de données souveraine ; l'acquisition de nouvelles capacités cyber ; l'adaptation à la nouvelle instruction générale interministérielle, IGI 1 300, sur la protection ; la conception puis la construction du nouveau bâtiment au fort de Vanves, qui sera livré à la fin de l'année 2024 et qui accueillera à partir de 2025 l'ensemble des personnels du cœur de métier de la direction ; l'amélioration du système d'enquêtes administratives de renseignement et de sécurité, en développant de nouveaux outils comme l'empreinte numérique finalisée,; l'amélioration, enfin, de notre système d'information dédié aux habilitations – synergie pour l'optimisation des procédures d'habilitation de l'industrie et des administrations (Sophia).
Les ressources qui nous ont été allouées ont eu un effet direct sur les missions du service, dans un contexte tendu sur le front des menaces. En plus des risques traditionnels liés au terrorisme, nous assistons à une résurgence, déjà soulignée dans la revue nationale stratégique (RNS) de 2017 et amplifiée par le conflit en Ukraine, des États-puissances, laquelle accroît le coût de la menace. Nous avons enregistré une augmentation spectaculaire des demandes liées à la protection, puisque nous en avons reçu 390 000 en une année, soit 1 500 à 1 800 par jour : ces demandes vont de contrôles simples de personnes devant entrer dans une base ou une zone réservée à des habilitations de personnes devant avoir accès à des documents très secrets. La hausse des sollicitations est constante depuis plusieurs années, avec des accélérations lors des périodes d'attentat ; nous tenons les délais qui nous sont fixés, mais y parvenir représente un défi quotidien ; nous souhaitons donc automatiser le plus possible ce processus, afin que les agents de la direction puissent effectuer des enquêtes de qualité, à charge et à décharge. En 2022, nous avons mené en outre 155 inspections en milieu militaire et industriel, destinées à vérifier le niveau de protection de ces installations et leur conformité avec la réglementation.
Nous avons effectué près d'un millier de sensibilisations du personnel du ministère des armées et de la BITD : ces actions sont la base de la réussite de notre mission car, quand les gens sont sensibilisés, ils font attention et ils évitent de commettre certaines erreurs. Si jamais un événement se produit, ils sont capables de nous en informer pour évaluer la situation et prendre les mesures nécessaires.
Notre production de notes de renseignement a, elle aussi, augmenté, de l'ordre de 19 % en quatre ans.
Dans le cadre de la préparation de la nouvelle LPM pour les années 2024 à 2030, nous avons conduit, à notre niveau, une sorte de revue stratégique, dans laquelle nous nous sommes penchés sur les évolutions des six à sept prochaines années. Nous avons identifié quatre axes d'effort. Le premier concerne l'adaptation, dans le domaine de la contre-ingérence, aux nouvelles conflictualités, principalement liées aux États intrusifs, au premier rang desquels figurent la Russie et la Chine. Le deuxième consiste à répondre à la forte progression des actions hostiles à la BITD ; le contexte économique et géopolitique actuel montre que cette tendance est appelée à durer. Le troisième vise à poursuivre notre montée en puissance cyber et à nous adapter aux bouleversements technologiques à venir. Le quatrième, enfin, tient à l'exigence de ne pas baisser notre garde face aux menaces des dernières années, principalement le terrorisme et la radicalisation.
Premier axe, l'invasion de l'Ukraine par la Russie a profondément marqué le cadre géopolitique actuel. Elle a tout d'abord confirmé la désinhibition de certains États à conduire des actions violentes ; ceux-ci sont prêts à employer de multiples moyens, et un conflit de haute intensité en Europe est possible. Avec cette agression, la Russie est entrée dans la catégorie des nations hostiles, au moins à court et à moyen terme et dans notre domaine d'action. Les conséquences sont multiples mais assez prévisibles : les tentatives d'ingérence russes vont se multiplier, notamment à l'encontre de nos institutions et des armées européennes ; l'Otan va revenir au premier plan, puisque la totalité de nos partenaires se tournent vers cette organisation ; enfin, les questions de sécurité et de défense vont connaître un regain d'intérêt dans l'ensemble des pays occidentaux, notamment européens. L'ingérence russe s'étend partout, notamment en Afrique : au-delà des actions traditionnelles qui se situent en dessous du seuil de conflictualité – espionnage, manœuvres de déstabilisation et d'intimidation –, nous subissons des contestations à visage découvert. Il n'y a qu'à écouter Evgueni Prigojine, chef de la société militaire privée (SMP) Wagner, qui assume d'agir contre les intérêts français, notamment en animant des réseaux dans le champ informationnel. Dans ce domaine, notre priorité est d'accompagner les forces déployées sur le terrain pour qu'elles puissent conduire correctement leurs opérations sans subir d'actions d'ingérence ; nous recueillons du renseignement pour participer à la protection de nos forces ; nous avons ainsi accompagné ces dernières lors de leur retrait du Mali et du Burkina Faso ; nous restons aux côtés des forces prépositionnées au Sénégal, au Tchad, au Gabon et à Djibouti et des forces en opération au Niger et au Tchad. Nos compétiteurs stratégiques, principalement la Chine et la Russie, disposent de moyens puissants, variés et sophistiqués qui nous obligent à conserver la capacité de traiter et d'exploiter les données – la « guerre de la donnée » n'est pas une vaine expression – et à posséder un temps d'avance. Pour la nouvelle LPM, nous avons mis en avant la nécessité de poursuivre le développement de notre nouvelle base de données souveraine pour y inclure certains outils qui nous permettent de traiter les données, de mettre en relation des signaux faibles, de déterminer des schémas d'attaque d'adversaires, de mieux orienter nos capteurs et de mieux conseiller la BITD et les forces pour renforcer leur protection. Nous réfléchissons également au développement d'un arsenal normatif à même de prévenir les ingérences étrangères ; dans cette optique, nous avons travaillé au renforcement du contrôle déontologique des militaires, anciens et actuels, afin d'éviter la fuite de savoir-faire, comme la presse s'en est fait l'écho ces dernières semaines au sujet des pilotes de chasse.
Le deuxième axe touche aux actions hostiles contre la BITD. Les tentatives de prédation et de déstabilisation de la base industrielle et technologique de défense se sont multipliées. Elles prennent la forme d'ingérences légales, au travers des normes et de la réglementation, ou extralégales, avec, par exemple, des attaques contre la réputation d'une entreprise concourant à un marché, des captations d'informations, l'affaiblissement d'un concurrent, etc. L'augmentation du budget de la défense et la mise en avant des matériels occidentaux aiguisent certains appétits. Dans ce domaine, la Chine représente la menace principale : elle agit dans de nombreux secteurs, pas uniquement celui de la défense, et se montre particulièrement intrusive dans la recherche. Nous devons nous montrer vigilants sur les normes et les réglementations, notamment anglo-saxonnes, car la Chine et d'autres pays souhaitent se doter de moyens importants en la matière ; la DRSD travaille très étroitement avec Tracfin et la DGSI, services avec lesquels nous avons des contacts hebdomadaires. Dans le cadre de l'économie de guerre, nous avons identifié avec la direction générale de l'armement (DGA), au-delà des entreprises connues possédant des savoir-faire particuliers, les petites et moyennes entreprises (PME) de la chaîne logistique qui peuvent constituer une cible pour nos adversaires. À cet égard, notre objectif est de se doter d'un outil utilisant la cartographie en 3D et la technologie des jumeaux virtuels pour disposer d'une meilleure vision de l'ensemble des installations et d'une connaissance en temps réel et à jour de nos niveaux de protection.
Le troisième axe a trait à la montée en puissance du cyber. La croissance de la virtualisation de la vie économique augmente naturellement le niveau de risque cyber, principalement pour les PME dont la capacité à se doter d'outils de défense est plus faible que celle des grosses sociétés. Nous travaillons beaucoup avec ces entreprises, en lien avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) et le commandement de la cyberdéfense (Comcyber), avec lequel nous avons développé une coopération renforcée. Dans notre direction, des équipes techniques de réponse aux attaques cyber sont centrées sur l'économie de défense, quand le Comcyber s'occupe du ministère des armées. Nous devons être à jour des capacités modernes – objets connectés, 5G, intelligence artificielle, etc. –, qui nécessitent des moyens toujours plus sophistiqués pour être à la pointe des avancées technologiques.
Le dernier axe concerne le terrorisme et la radicalisation. Notre feuille de route est claire : ne pas baisser la garde. Nous avons développé de nombreuses actions de coopération efficaces entre les services du premier cercle et avec le commandement des différentes armées. Le risque existe, mais il est connu et contenu. Nous devons rester vigilants sur les évolutions de la menace, y compris celles provenant d'autres fragmentations sociales et du séparatisme. Sur ce dernier point, tout ce qui nous permet de savoir ce qui se passe sur les réseaux sociaux est intéressant, puisque les personnes, notamment les jeunes, échangent énormément sur ces réseaux et très peu sur l'internet classique : nous devons nous adapter à ces nouveaux moyens de communication.
Pour atteindre nos objectifs dans ces quatre domaines, nous devons, comme les autres services de renseignement, relever le défi des ressources humaines, à savoir conquérir de nouveaux talents et les garder quelque temps pour tenir les délais. Nous souscrivons à tous les efforts que la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) a engagés pour coordonner notre action dans le domaine des ressources humaines et nous participons activement à tous les travaux en cours. Grâce à la sous-direction « stratégie et ressources » et à un effort quotidien, nous avons tenu nos engagements pour le recrutement de nos agents et nous sommes à environ 97 % de l'effectif autorisé. Il s'agit d'un combat quotidien, d'autant que la jeunesse de nos agents crée un flux permanent dans nos effectifs. Nous insistons sur la création de nouveaux métiers et sur la diversification de nos viviers, tout en étant conscients du fait que l'augmentation des effectifs de la direction est principalement due à l'arrivée de civils, parce que les armées peinent à maintenir le nombre de militaires au sein de la direction. Nous suivons des pistes pour trouver de nouveaux profils de militaires. Mon prédécesseur a engagé des actions dans le domaine de la formation et des parcours professionnels, lesquelles seront poursuivies avec la volonté de mettre en place un centre de formation, qui nous sera utile car 700 de nos agents reçoivent chaque année une formation ; nous voulons proposer des formations certifiantes, qui valorisent nos personnels. Dernier point, le nouveau bâtiment de la direction centrale offre au service l'opportunité de se réorganiser en mettant en adéquation l'espace géographique des bureaux et les processus internes de la direction. Un grand travail nous attend pour exploiter au maximum toutes les capacités du nouveau bâtiment du fort de Vanves et accomplir notre mission de mieux renseigner pour mieux protéger.