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Intervention de le général d'armée Pierre Schill

Réunion du mercredi 12 avril 2023 à 15h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

le général d'armée Pierre Schill, chef d'état-major de l'armée de Terre :

Quand de jeunes femmes et de jeunes hommes choisissent la carrière militaire, notamment dans l'armée de Terre, c'est en partie par esprit d'aventure, parce qu'ils aiment le changement et ont envie de bouger. Toutefois, au fil des années, l'accès à la propriété, le travail du conjoint, la scolarité des enfants et l'accès aux soins deviennent des questions de plus en plus prégnantes. La mobilité est donc un enjeu central pour l'armée de Terre.

C'est d'autant plus vrai que notre modèle est fondé sur le mouvement, sur le flux, y compris pour ce qui est de gravir l'escalier social : tout jeune qui entre chez nous a pour perspective de gagner en responsabilités, et cette progression est forcément liée à une mobilité géographique. Plus une carrière est dynamique, plus la mobilité est forte. Le fait de déménager beaucoup est un poids pour certaines catégories, notamment les officiers. Dans les parcours les plus dynamiques, cette difficulté est compensée par l'intérêt des responsabilités exercées. Pour beaucoup de familles, néanmoins, déménager est une vraie aventure. L'enjeu, notamment pour fidéliser les soldats, est de compenser autant que faire se peut les difficultés découlant de la mobilité.

Le deuxième plan « famille », inclus dans la nouvelle LPM et conçu après une analyse des résultats du précédent, comporte des mesures qui devraient faciliter la mobilité. Le manque de crèches, notamment, a toujours été un enjeu important. Une cinquantaine de crèches ministérielles devraient être créées. D'autres mesures visent à accompagner les mutations et à prendre en compte leur impact sur la vie des familles, notamment en facilitant les contacts avec les autorités locales et les collectivités, afin de favoriser l'implantation. Au total, 750 millions d'euros sont inscrits dans la LPM, mais, plus que ces ressources, ce sont les mesures mises en œuvre qui sont importantes. Je compte beaucoup, à cet égard, sur les effets des contrats d'externalisation pour la gestion des logements du ministère des armées (CEGELOG), qui sont entrés en application le 1er janvier et devraient aider les familles à se loger. Parallèlement, la nouvelle politique de rémunération des militaires favorisera l'accession à la propriété.

Le nombre des réservistes de l'armée de Terre devrait passer de 24 000 à 50 000, mais, plus que de doubler les effectifs, l'enjeu est de changer de paradigme. Je compte, en particulier, renforcer la distinction entre deux catégories de réserves.

La première viendra en appui de la force opérationnelle terrestre. Elle sera composée de compléments individuels ou de véritables unités adossées à des régiments. Son objectif sera de faire le même métier que les unités de la force opérationnelle terrestre et, ce faisant, d'aider celle-ci à mieux remplir ses missions – franchissement, logistique –, ou d'apporter un complément, par exemple en assurant la protection des postes de commandement (PC).

La seconde sera conçue d'emblée comme territorialisée et assurera des missions de protection, d'appui aux populations, de soutien aux forces de sécurité intérieure, dans un périmètre local ou régional qui reste à définir. Elle pourrait être composée d'une partie des régiments existants, ou bien d'unités nouvellement créées, qui seraient implantées de préférence dans des « déserts militaires » où se trouvent des jeunes susceptibles de s'engager sous les drapeaux pour trois à six mois.

Notre parc compte neuf lance-roquettes unitaires (LRU). C'est une capacité qui a démontré son intérêt dans les combats modernes, en particulier lorsque l'espace aérien est si contesté que les avions ou les forces aéromobiles ne sont plus en mesure d'appuyer facilement une division dans la profondeur. Ce sont alors ces armes terrestres qui permettent soit d'attaquer l'ennemi jusqu'à 50 ou 60 kilomètres, soit de mener des actions plus stratégiques à une profondeur encore plus grande. Nous devons acquérir cette capacité. Le choix de la solution n'a pas encore été arrêté. Il y en a deux principales : soit nous achetons sur étagère – ce qui suppose d'opter pour le Himars –, soit nous trouvons une solution nationale, souveraine.

Mon objectif, en tant que chef d'état-major de l'armée de Terre, est de faire en sorte que la continuité de cette capacité soit assurée. L'une ou l'autre des solutions est possible, mais elles doivent être discutées. Si le choix se porte sur une solution souveraine, dans le cadre de l'économie de guerre, il conviendra de s'assurer, en particulier, que le délai de développement et de production soit compatible avec les besoins découlant de la disparition des LRU – même si leur prolongation doit être envisagée. Ils pourraient, par exemple, être montés sur d'autres châssis. Outre l'objectif consistant à éviter toute rupture de capacité, je souhaite que nous disposions des treize unités prévues, voire de vingt-six. La question de la portée se pose aussi : initialement, l'ordre de grandeur était le même que pour nos LRU : 70 kilomètres, mais nous pouvons espérer largement dépasser les 100 kilomètres.

En ce qui concerne les chars, se posent une question de court terme et une autre de moyen terme. À court terme, les 200 LECLERC de notre parc doivent continuer à combattre dans les forces terrestres durant les prochaines années. La question de savoir ce que nous devons faire pour cela n'est pas complètement détachée du système principal de combat terrestre (MGCS).

Nous travaillons, notamment avec notre partenaire allemand, à la question de moyen terme, à savoir le système de chars qui entrera en service à l'horizon de 2040. Indépendamment du développement industriel, le programme MGCS nous permet de travailler sur ce que seront les caractéristiques du système de chars futur et les briques technologiques nécessaires. Le système comportera nécessairement une partie robotisée. C'est une des raisons du retard pris par le programme : manifestement, la robotique terrestre atteindra la maturité un peu plus tardivement que la robotique aérienne. C'est plutôt à l'horizon de 2045-2050 qu'à l'horizon de 2040 que nous disposerons d'un engin robotisé sur Terre réellement opérationnel, contribuant au combat.

Mon objectif de court terme est donc de prolonger les LECLERC jusqu'en 2040 ou 2045. J'estime qu'il est possible de le faire en les modernisant, notamment en numérisant la tourelle, en modifiant le viseur et en pérennisant le moteur.

En ce qui concerne l'utilisation des robots dans les opérations extérieures, au-delà de la question de la maturité des techniques, nous menons des réflexions dans deux directions opposées. D'une part, nous étudions la manière dont nous pourrions intégrer tactiquement, employer en situation opérationnelle les dispositifs ayant d'ores et déjà été développés – par des entreprises ou des organismes comme l'Institut Saint-Louis, qui travaille sur des robots. C'est l'objectif de la démarche VULCAIN. D'autre part, nous travaillons à définir les besoins, de façon à obtenir une montée en gamme et une industrialisation dans cette direction. C'est tout le sens du MGCS.

En tout état de cause, nous ne devons pas rater l'étape de la robotisation. La période 2024-2030 sera primordiale à cet égard. Nous estimons que nous disposerons, à l'horizon de 2030, de robots pesant environ 2 tonnes. Ils porteront une partie de la charge des fantassins et leur serviront d'appui, notamment en leur fournissant une puissance de feu importante. À ce stade, je conçois le rôle des robots de la manière suivante : ils viendraient renforcer la masse d'une unité d'hommes plutôt qu'agir de manière distincte ou dans un autre compartiment de terrain que les hommes. Nous travaillons sur cette question également.

Nous nous sommes interrogés sur l'opportunité de faire évoluer le volume des forces spéciales de l'armée de Terre. Nous avons décidé de le maintenir, car un point d'équilibre a été atteint au regard des effectifs d'ensemble. Cette adéquation se mesure de deux façons.

D'une part, il faut s'assurer de trouver, parmi les 115 000 hommes et femmes servant dans l'armée de Terre, le nombre de membres des forces spéciales dont nous avons besoin, sans pour autant assécher complètement nos régiments : il est important que dans chacun d'entre eux, il reste des hommes et des femmes qui auraient toutes les qualités pour rejoindre les forces spéciales mais qui choisissent de rester dans les forces conventionnelles et d'en être en quelque sorte les moteurs.

D'autre part, si nous voulons que les forces spéciales à la française restent au sommet des références internationales, il faut s'assurer d'être en mesure de les entraîner comme il se doit, ce qui suppose des hélicoptères, des avions et divers équipements. Nous aurions pu envisager une solution alternative consistant, comme l'ont fait certains de nos alliés, à englober dans le terme « forces spéciales » non seulement les forces du haut du spectre, mais aussi les rangers. S'agissant des forces spéciales de l'armée de Terre, ce n'est pas le choix que nous avons fait.

Le GAOS, c'est-à-dire les capacités qui n'appartiennent pas aux forces spéciales mais qui sont identifiées, au sein des forces terrestres, comme étant capables de travailler avec elles dans le domaine cyber ou dans celui de la santé, par exemple, sera conforté.

Les transmissions, et de manière générale, le système de commandement comptent parmi les capacités les plus structurantes du système de combat à venir. Elles sont engagées dans une évolution profonde. Leur dénomination elle-même pose question : les appellera-t-on « forces cyber », « unités numériques », ou encore « unités de systèmes d'information et de commandement » ? Nous retiendrons probablement le terme « numérique », qui englobera les tuyaux et les données – lesquelles sont aussi une des dimensions de la révolution qui est engagée.

Il n'y aura pas de modification fondamentale de l'implantation de nos forces sur le territoire national. Les effectifs du 28e régiment de transmissions évolueront peut-être – de l'ordre de trente ou quarante personnes en plus ou en moins –, mais il ne changera pas fondamentalement de visage. Néanmoins, le métier lui-même pourra évoluer. Certains régiments de transmissions seront attachés à un commandement particulier. D'autres, qui deviendront des régiments numériques, auront un métier plus global et transversal consistant à mettre en place des systèmes numériques et de communication, à pratiquer la lutte informatique défensive, à assurer la sécurité des systèmes de transmission et, plus généralement, un appui au commandement.

Oui, une diminution temporaire de cibles pourrait intervenir dès que nous déciderons du retrait des PUMA Terre, principalement parce que nous allons passer entièrement aux hélicoptères de nouvelle génération. Nous reverserons donc à l'armée de l'air huit CARACAL, de façon à unifier les flottes : l'armée de l'air aura tous les CARACAL, quand nous aurons tous les COUGAR et les NH90.

Les TIGRE seront au standard 2 à la fin de la LPM. Le périmètre de l'évolution vers un standard ultérieur fait actuellement l'objet de travaux.

En ce qui concerne les drones et le programme d'hélicoptère interarmées léger (HIL), la question centrale sera de savoir quelle est la part des plateformes pilotées et celle des plateformes non pilotées. La brigade d'aérocombat, composée d'hélicoptères modernisés, qui peut être engagée de nuit très près du sol, est une des pépites des capacités de l'armée de Terre française. Je suis persuadé que ce que nous observons en Ukraine ne remet pas en cause la capacité des forces aéromobiles à agir dans les intervalles et contre les arrières de l'ennemi, en particulier de grandes unités en mouvement. Nous consoliderons cette force au cours des prochaines années, mais il n'est pas exclu que, du fait des évolutions rapides en matière de défense sol-air, de défense antidrones et de l'ensemble de cette dimension multicouches, la question se pose pour la génération suivante : nous ne savons pas quelle sera la situation à l'horizon de 2035-2040.

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