Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, en introduction de cette audition sur la loi de programmation militaire, j'ai une pensée pour nos soldats déployés en opération, et en particulier ceux actuellement en mission en Guyane. Ils ont été frappés ces dernières semaines par la mort du major Blanc, du GIGN, au cours de la reconnaissance d'un site d'orpaillage clandestin ; et par la mort au feu à Kourou du sapeur Caron, de la BSPP.
Le 20 janvier, à l'occasion du discours de ses vœux aux armées, le Président de la République a indiqué les orientations de la prochaine loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030, une LPM qui se veut en un mot de « transformation ». Le 4 avril, la loi a été présentée en conseil des ministres.
Le contexte stratégique et politique de la LPM donne à l'armée de Terre l'impératif et l'opportunité de s'adapter en profondeur aux défis de la nouvelle ère qui s'ouvre. L'armée de Terre a le devoir et les moyens de bâtir pour 2030, l'armée dont la France aura besoin pour la décennie 2030-2040. Cette modernisation s'effectuera tout en agissant en permanence de manière adaptée à la défense des intérêts de notre pays et étant prêt à tout moment à engager, si nécessaire, l'ensemble de nos capacités dans un conflit majeur redevenu malheureusement possible.
Le chemin du durcissement continuera à être suivi et sera orienté vers les finalités de l'engagement opérationnel qui consolide les forces morales et la polyvalence de notre armée d'emploi, tout en développant sa réactivité et sa puissance.
L'armée de Terre est adaptée à l'ambition et au caractère d'une « France puissance d'équilibres ». Par héritage, c'est une armée de forces médianes ; mais aussi par culture, par esprit manœuvrier, par impératif stratégique ; cela ne signifie pas renoncer à la puissance, mais que la mobilité, la polyvalence et la cohérence seront recherchées en priorité. Il est primordial de tenir cet équilibre : entre les combats de ce soir et ceux de demain ; entre capacités conventionnelles et capacités émergentes ; entre haute intensité, hybridité et influence ; entre territoire national, Europe et arc de crise.
Le virage stratégique est comparable à celui de 1989. Lors des années à venir, les ressources seront en croissance ; comment ne pas s'adapter ? Vaincre sur le champ de bataille ne se réduit pas à emporter des batailles ; vaincre c'est aussi transformer l'armée de Terre afin de disposer d'une armée prête à traverser les « périls du siècle », comme le demande le Président de la République.
L'armée de Terre a fait des choix ces vingt dernières années correspondant à la nature des missions confiées - opérations de maintien de la paix, de gestion de crise, de lutte contre les groupes armés terroristes -, de surcroît dans un contexte budgétaire contraint. Elle a préservé sa polyvalence, mais le virage stratégique du 24 février 2022 a rendu plus urgentes et importantes des retouches à apporter, identifiées depuis de nombreux mois, bien avant le début des travaux LPM.
Quoi qu'il arrive, l'armée de Terre devra être en mesure d'agir en permanence et simultanément sur trois espaces stratégiques :
protection, souveraineté, résilience, esprit de défense en métropole et outre-mer ;
prévention et influence dans l'arc de crise élargi en Afrique, au Moyen-Orient, dans l'océan Indien et jusque dans le Pacifique ;
solidarité stratégique principalement en Europe et au Moyen-Orient.
Pour ce faire, la transformation à venir se développera suivant quatre axes.
Premier principe, « être et durer » selon les mots du général Bigeard ; être une armée d'emploi et le demeurer ; être animé de l'esprit guerrier et le perpétuer. Le soldat est le pilier central qui structure l'édifice armée de Terre. C'est pourquoi les investissements à hauteur d'homme, des treillis avec le nouveau camouflage jusqu'aux 500 millions du plan hébergement, seront poursuivis. Nous sommes une des rares armées en Europe à recruter chaque année en quantité et qualité les jeunes dont elle a besoin, même si cela reste un défi permanent. Il est à noter que 20 % de nos sous-officiers sont titulaires d'un diplôme de niveau BAC+2 à BAC +5 et que plus de 50 % de nos militaires du rang ont au minimum le niveau baccalauréat. L'escalier social de l'armée de Terre demeurera un moteur puissant de la fidélisation et de la qualité de l'encadrement : 50 % des sous-officiers ont été militaires du rang, 50 % des officiers sont issus du corps des sous-officiers. Gagner la bataille des effectifs et de la fidélisation sera vital pour conserver une force opérationnelle terrestre de 77 000 soldats.
Ainsi, la direction des ressources humaines de l'armée de Terre, qui recrute et gère nos soldats, sera renforcée pour faire fructifier davantage notre richesse humaine. Les enjeux sont de taille et les objectifs nombreux :
premier objectif : conserver notre attractivité, dynamiser le recrutement et fidéliser en conduisant notamment des travaux ciblés sur les grilles indiciaires comme le ministre des Armées l'a évoqué la semaine dernière ;
deuxième objectif : faciliter la génération de compétences techniques indispensables à la transformation. Dès la rentrée 2023 l'effectif du BTS cyber de Saint-Cyr l'École sera doublé ; à l'horizon 2027, le nombre de jeunes admis à l'école militaire préparatoire technique de Bourges, formant les futurs sous-officiers techniciens de l'armée de Terre SCORPION, sera lui aussi doublé ; le panel des scolarités y sera élargi du baccalauréat professionnel en maintenance aéronautique au baccalauréat technologique « Sciences et technologies de l'industrie » ou encore « développement durable » ;
troisième objectif : moderniser la gestion du personnel d'active comme de réserve ;
quatrième objectif, enfin : consolider la communauté Terre pour accompagner ses membres, leurs familles, nos 1300 camarades blessés, les associations d'entraide. Nous comptons pour cela sur les volets vie en garnison et vie au quartier du plan famille de la LPM. Le plan blessés sera lui-même le moteur d'une nouvelle marche franchie en soutien des blessés physiques comme psychiques.
Être et durer, c'est aussi préserver les atouts et consolider le socle de l'armée de Terre en réussissant la formation de nos cadres qui est au cœur de la qualité du style de commandement de l'armée de Terre et qui participe au bon moral des soldats, ces derniers ayant alors confiance en leurs chefs. Ma priorité portera sur le commandement : en veillant à ce que chaque échelon soit à sa bonne place, en donnant de l'autonomie, en réintroduisant de la subsidiarité, c'est-à-dire en tendant vers le respect du triptyque « une mission, un chef, des moyens » pour mieux fonctionner. La maîtrise du risque, l'obligation de résultat et le succès de la mission sont la contrepartie à la subsidiarité. Il faut l'assumer. J'entends libérer les énergies des subordonnés, ce qui n'exclut pas les contrôles. Les écoles de formation d'officier et de sous-officier bénéficieront à ce titre de renforts en cadres et d'investissements en infrastructure, dès les premières années de la LPM, pour former les flux de stagiaires indispensables à la montée en compétence de l'armée de Terre comme des organismes interarmées et ministériels, dans la perspective d'un durcissement des affrontements et d'ouverture des champs de conflit.
Sur un autre plan, être et durer, c'est aussi accroître l'épaisseur logistique, assurer la régénération des matériels et densifier la préparation opérationnelle. La LPM consacre 2,6 milliards d'euros aux munitions de l'armée de Terre aussi bien pour l'entraînement que pour la constitution de stocks, ce qui représente notamment plus de 16 millions de munitions « petit calibre », 300 000 obus de mortiers, 3 000 missiles moyenne portée, 2 000 munitions télé-opérées. Les crédits en croissance, dédiés au maintien en condition des matériels, accompagneront le rééquilibrage de la charge d'entretien programmé des matériels entre industrie privée, industrie étatique et unités du matériel, préparées à surmonter les pics d'activité et la montée en charge qui accompagneraient le déploiement de grandes unités de combat. La SIMMT développera ainsi le dialogue et la coordination avec les industriels dans la logique de l'« économie de guerre » promue par le ministre des Armées.
Dans l'esprit de la formule du maréchal Leclerc « pour le service de la France ne me dites pas que c'est impossible », l'armée de Terre joue un rôle majeur dans la protection des Français en métropole comme outremer, dans la préservation de la souveraineté, la diffusion de l'esprit de défense, la contribution à la résilience.
L'armée de Terre, et en particulier son commandement du territoire national, accompagnera la consolidation d'une capacité de coordination et de planification interarmées. Elle sera en mesure d'appuyer le centre de conduite et de planification des opérations lors d'évènements majeurs planifiés tels que les Jeux Olympiques de Paris en 2024 ou dans la gestion de situations d'urgence en appui des forces de sécurité intérieure. Elle continuera à préparer la posture adaptable de protection terrestre qui représente jusqu'à deux brigades pour l'armée de Terre, comme cela est précisé dans le contrat opérationnel de la LPM.
Au sein de l'armée de Terre, il s'agira de :
rationaliser les chaînes organiques, opérationnelles et de soutien de l'armée de Terre ;
optimiser notre action en disposant d'organes de décision aux niveaux adéquats : local, zonal et national ;
accompagner la montée en puissance et commander les unités de réserve territoriale.
Au cours de ces dernières décennies, la réserve n'a pas suffisamment bénéficié des effets de la modernisation, il faut bien le reconnaître. Les effectifs de la réserve seront doublés et apporteront un complément de masse. La réserve connaitra une évolution profonde en appui de la force opérationnelle terrestre ou de la protection des territoires. L'armée de Terre comptera 24 000 réservistes supplémentaires répartis entre compléments individuels et unités de réserve représentant plus de 70 compagnies. Par ailleurs, nous continuons à travailler à une offre d'engagement de jeunes volontaires sous les armes pour 3 à 6 mois. Ce projet de volontaires du territoire national prévoit, à ce stade, de déployer au cours de la LPM deux bataillons et quatre compagnies outre-mer.
L'outre-mer est une priorité de cette LPM. L'armée de Terre contribuera, avec les autres armées, au renforcement du dispositif outre-mer qui sera adapté à chacune des collectivités, et qui se traduira notamment par une modernisation des équipements et un investissement dans les infrastructures.
Agir sur « tous les champs de bataille » pour reprendre la devise de nos anciens et frères d'armes pensionnaires de l'Institut National des Invalides. De la gestion de crise qui est la réalité de nos missions d'aujourd'hui, à l'engagement majeur possible demain, en passant par l'espace cyber, l'armée de Terre doit être prête. Tout peut arriver, à tout moment, j'en suis convaincu.
Le Président de la République l'a souligné lors de ses vœux aux Armées : la guerre ne se déclare plus ; elle est souvent menée de manière sournoise. Les menaces ne se succèdent plus, elles se cumulent. Il en découle un impératif de réactivité, de cohérence et de puissance pour rester en phase avec les évolutions de la guerre et son caractère imprévisible. La puissance est nécessaire pour s'engager dans un conflit brutal même si ce pourrait être sur une courte durée, face à un adversaire employant des capacités de rupture ou « nivelantes » comme les drones, les munitions télé-opérées. C'est une probabilité ; pas seulement sur le flanc Est.
La puissance sera aussi un gage de fiabilité de notre armée de Terre sur laquelle ses alliés pourront compter davantage. La réactivité de notre système d'alerte garantira notre capacité à remplir les missions confiées. L'an dernier, le bataillon fer de lance armé par la France dans le cadre des alertes de l'OTAN a été déployé avec succès. Toutefois, cela a nécessité la collecte de matériel sur 80 points de perception, pour un volume de force d'un bataillon. Il y a encore des marges de progrès pour être à la hauteur du contrat opérationnel fixé : l'engagement en 30 jours d'une division à compter de 2027. La cohérence est celle de nos fonctions opérationnelles. Nous sommes une des armées occidentales dont la proportion d'unités de mêlée est la plus élevée. C'est pourquoi nous allons procéder à un rééquilibrage au sein des brigades et entre brigades. L'Ukraine souligne l'importance du commandement, du soutien, de la logistique et des appuis. L'armée de Terre doit trouver le bon équilibre dans la structure de ses forces terrestres : PC de corps d'armée, division, éléments organiques, brigades interarmes.
Pour être à la hauteur de ces exigences, le commandement des forces terrestres sera réorganisé. Un gain de cohérence est recherché avec un poste de commandement de niveau corps - le CRR-FR - et deux PC de division, chaque division possédant en propre son bataillon de commandement et de quartier général, en mesure de préparer le combat et le diriger ; trois commandements pour apporter aux divisions les capacités nécessaires dans les domaines du renseignement, des opérations dans la profondeur, des actions spéciales, de l'hybridité, du cyber, des appuis et de la logistique. Le tout reposant donc sur des brigades interarmes et spécialisées, plus autonomes.
Les régiments d'infanterie auront une taille plus ramassée. Mais ils verront leurs capacités significativement renforcées au cours de la LPM dans tous les champs avec la création d'une section de mortiers de 120mm et d'une section d'attaque électronique ; avec la mise en place d'unités de munitions télé-opérées et de robots terrestres ainsi que la densification des capacités anti-char. Bien sûr, les GRIFFON et les SERVAL continueront à remplacer les véhicules d'ancienne génération. Demain, la transition de la « 205 » à la voiture connectée sera achevée. Cela fait plus de 40 ans que les VAB équipent nos régiments d'infanterie, les GRIFFON et SERVAL arrivent et sont dès à présent déployés en Roumanie et en Estonie.
Les régiments de cavalerie verront leur capacité d'agression - c'est-à-dire le couple canon/missile, leur dotation de munitions télé-opérées - ainsi que leur capacité de renseignement (drone, radar) renforcées. Concrètement, cela permettra de mieux équiper les escadrons de reconnaissance et de créer de nouvelles unités spécialisées de guerre électronique ou de renseignement technique. Une majeure partie de nos chars LECLERC sera rénovée autour d'une pérennisation de leur motorisation, d'une meilleure protection, d'une connectivité modernisée et de nouveaux viseurs.
Pour répondre au durcissement des conflits, la LPM permettra de renouveler les équipements de nos unités d'appui, de combler certaines fragilités. Ainsi, d'ici 2030, chaque régiment d'artillerie disposera de :
16 CAESAR de nouvelle génération ;
8 mortiers embarqués sur GRIFFON pour l'appui au contact (MEPAC) ;
des premières munitions télé-opérées moyenne portée, avec un début de livraison LARINAE à l'horizon 2028 ;
de nouveaux moyens d'acquisition et de renseignement avec une quinzaine de véhicules d'observation artillerie, des radars de surveillance terrestre, et des drones SDT-L complémentaires aux SMDR déjà livrés et au SDT du 61e régiment d'artillerie.
Dans les faits, cette LPM comblera donc les manques actuels du volet « feu » et densifiera la modernisation de ses moyens d'acquisition. Dans le domaine des feux dans la profondeur, l'armée de Terre comptera au moins 13 lanceurs de nouvelle génération en 2030, pour succéder aux LRU. La capacité de défense d'accompagnement entamera sa reconstitution avec la livraison de 24 SERVAL dotés d'une tourelle MISTRAL, soit 4 sections, de 48 postes de tir MISTRAL modernisés, de 12 SERVAL de lutte anti-drone en complément des 12 VAB ARLAD, de nouveaux radars de détection et postes de commandement permettant de maitriser l'espace et les menaces aériennes au-dessus des forces terrestres.
Réorganisé, le Génie bénéficiera d'un renforcement en effectifs qui lui permettra de recréer des unités disparues spécialisées dans le minage, le contre-minage et le franchissement ; et de densifier des capacités échantillonnaires aujourd'hui comme l'ouverture d'itinéraire, le franchissement fluvial. En plus des premiers engins du combat du génie et des 8 premières portières de franchissement SYFRALL, l'arrivée des GRIFFON et SERVAL Génie assurera la mise sous blindage des unités de combat du génie.
L'aérocombat réalisera sa mue depuis des parcs hétérogènes vers des parcs modernes et homogènes par segment (hélicoptères de manœuvre, hélicoptères de reconnaissance et d'attaque) avec notamment la finalisation du retrofit pour 13 TIGRE HAD, la livraison de 20 hélicoptères NH90 dont 18 au standard Forces Spéciales, ainsi que les 18 premiers HIL à horizon 2030 remplaçant progressivement le parc des GAZELLE.
La période 2024-2030 marquera également la transition entre deux générations de connectivité et soutiendra l'ambition de nation-cadre à travers un système de commandement complet, durci et modernisé. Le réseau de commandement de théâtre sera renouvelé par les programmes ASTRIDE et SYRACUSE. La connectivité SCORPION sera déployée avec CONTACT – 2 900 postes portatifs et 4 800 stations véhicules - et l'extension du système d'information du combat SCORPION, SICS. En ce qui concerne SICS, 19 000 licences supplémentaires couvriront la numérisation des porteurs « ancienne génération » et de nos unités outre-mer ; et par la livraison à l'ALAT, à partir de 2025, de 200 postes aéro ERS le plein rendement du combat collaboratif aéroterrestre sera atteint. Au-delà du renouvellement des équipements, c'est en effet la révolution du combat collaboratif que cette LPM va permettre de concrétiser.
Enfin, sans attendre, l'armée de Terre entamera sa transition vers les nouveaux champs. Dans la continuité de ce qui a déjà été initié, les régiments seront massivement équipés de drones allant des nano-drones aux drones opératifs qui seront armés, tout en étant progressivement dotés de munitions télé opérées dont nous voyons déjà le potentiel opérationnel dans les conflits en cours. Il en sera de même dans le domaine de la robotique. L'armée de Terre poursuivra la démarche VULCAIN. En 2026, une première unité pilote sera équipée de 6 à 8 plateformes armées dans le but d'expérimenter l'accompagnement de groupes de combat débarqués. La prochaine LPM portera le plus ambitieux programme robotique de l'armée de Terre. Ce dernier a pour objectif la livraison à l'horizon 2030 de plateformes polyvalentes terrestres de combat, de classe deux tonnes, probablement équipée d'un canon de moyen calibre, orientées agression. L'enjeu sera de concilier la haute technologie de ces futurs robots avec le pragmatisme et la rusticité de notre armée de Terre pour que la robotique permette de gagner effectivement en masse. Enfin, en plus de la modernisation des capacités de renseignement électromagnétique terrestre et embarquée sur le SDT qui sera armé, l'armée de Terre construira une capacité complète autour d'unités existantes et nouvelles pour opérer dans le milieu cyber tant pour se protéger, attaquer qu'influencer.
En somme, l'effort consenti par la loi de programmation militaire 2024-2030 nous permet de poursuivre ce qui a été initié, en particulier sur le plan capacitaire et augmentera les moyens d'action de l'armée de Terre. La modernisation SCORPION se poursuivra. Au cours des sept prochaines années, plus de 2 300 véhicules seront livrés, soit quatre fois plus que les 600 que nous comptons aujourd'hui dans nos parcs. Avec un flux annuel d'environ 350 véhicules, l'armée de Terre comptera en 2030 : 1 300 GRIFFON soit 20 compagnies, 745 SERVAL type infanterie soit 16 compagnies et 200 JAGUAR soit 12 escadrons. L'armée de Terre aura dans le même temps l'occasion d'acquérir des capacités qui lui font défaut afin de gagner en puissance, quitte à en rabattre sur certains objectifs. Il faut être réaliste, le lissage des cadences de production SCORPION a été la condition de l'acquisition de capacités alternatives que je juge indispensables et urgentes pour la cohérence de nos forces, avant que l'atteinte des cibles – qui restent prévues au niveau ante - nous permette d'atteindre la masse complète.
L'activité est primordiale à l'entraînement des forces et à la cohérence de nos capacités. Il est prévu en LPM que l'activité soit maintenue au niveau atteint ces dernières années avant de progresser vers les normes que nous nous sommes fixées à l'horizon 2030. J'espère dans ce domaine profiter également des effets de l'économie de guerre, dans un mix contractuel entre la SIMMT, les industriels et la DGA qui sera fonction des parcs – en fin de vie ou arrivant dans les forces.
Quatrième et dernier principe : innover pour une armée de Terre « en pointe toujours ».
La modernisation SCORPION est un succès qui permet à l'armée de Terre d'être en avance dans le domaine du combat collaboratif par rapport à ses partenaires européens. Mais, force est de constater que certains virages doivent être encore négociés : les drones, l'hybridité/cyber, la question du big data et son traitement, le cloud de combat…
La nature de la guerre ne cesse d'évoluer et l'histoire militaire révèle qu'il est fatal de ne pas y avoir réfléchi et anticipé les mues. Pour éclairer, comprendre les enjeux de la métamorphose de la guerre, et dynamiser la transformation capacitaire des unités, je souhaite créer un commandement du combat futur (CCF) sur la base de l'actuel centre de doctrine et d'enseignement du commandement (CDEC).
De quoi s'agit-il ? À partir du retour d'expérience, de l'observatoire des conflits actuels et des liens étroits entretenus avec les think tanks, ce commandement éclairera l'armée de Terre et les régiments sur leur emploi opérationnel à un horizon de quatre ans et aussi sur le plus long terme.
L'objectif est de favoriser la transformation de l'armée de Terre en assurant la continuité entre l'innovation réactive et la prospective. Il s'agira, par une démarche exploratoire alliant réflexion, simulation, wargaming et expérimentation, de transformer les innovations technologiques en innovations tactiques pertinentes pour conserver la supériorité sur le champ de bataille.
Comment ? En concentrant dans une même structure la doctrine, le retour d'expérience, l'appropriation de la modernisation par les forces (la force d'expertise du combat Scorpion (FECS) et la section d'expérimentation robotique), l'expérimentation et l'innovation participative (le Battle Lab Terre et la force expérimentale Terre). Le CCF entretiendra un lien étroit avec la Section Technique de l'armée de Terre pour la conduite des programmes majeurs.
L'enjeu est d'éclairer l'armée de Terre et de faire atterrir l'innovation dans les régiments.
La transformation de l'armée de Terre suivra des jalons qui guideront sa progression et feront converger les efforts, comme l'a été le déploiement d'un groupement tactique interarmes SCORPION en 2021, et s'appuiera sur les enseignements des exercices d'envergure : en 2023 l'expérimentation technico-opérationnelle d'une brigade interarmes ; en 2025, la capacité small joint operation avec 2 brigades SCORPION ainsi que la participation à l'exercice Warfighter 2025 organisé par nos alliés américains ; en 2026, l'exercice Orion 2026 donnera l'occasion d'exploiter les retours d'expérience de l'édition en cours ; en 2027, l'opérationnalisation d'une division SCORPION à 2 brigades avec ses capacités de commandements et ses éléments organiques déployable en un mois ; en 2030 une division relevable et post 2030 une ambition war fighting corps.
Être et durer, protéger, agir et innover : l'armée de Terre est à la veille d'une évolution d'ampleur pour demeurer en action avec réactivité et puissance ; une évolution qui nécessitera de transformer 10 500 postes soit 15 % de la force opérationnelle terrestre. Le plan « armée de Terre de combat » est donc ambitieux mais s'inscrira dans la durée et aucune dissolution n'est envisagée. Nos régiments demeureront dans leur territoire même si des adaptations d'effectif pourront avoir lieu. Leur ancrage territorial est un des moteurs les plus puissants de leurs forces morales : que pouvons-nous sans racines ? Nous avons la chance d'être à l'orée d'une période qui nous permettra de consolider l'enracinement de chacun de nos régiments dans sa garnison.