Une loi de programmation militaire est toujours l'aboutissement d'un exercice délicat d'arbitrage, que les budgets soient en hausse – ce qui est le cas pour la future LPM 2024-2030 – ou qu'ils soient très fortement contraints, ce qui a davantage été le cas par le passé. Elle traduit toujours une tension entre des éléments extrêmement importants mais peu visibles – maintien en condition opérationnelle, exercices, munitions, etc. – et l'affirmation d'une nouvelle ambition. Il est arrivé, par le passé, que des lois de programmation militaire affichent des objectifs d'équipement sans que le maintien en condition opérationnelle et les munitions ne soient à la hauteur des ambitions fixées. Le projet de LPM est une future loi de consolidation après la loi de programmation actuelle, qui faisait suite à une dizaine d'années d'affaissement de notre effort de défense. On parlait alors des « dividendes de la paix ». Cet affaissement était moins marqué que dans d'autres pays européens mais il était réel. Cette logique de consolidation a du sens car il faut rebâtir des disponibilités opérationnelles et des capacités qui, dans de nombreux domaines, ont été un peu entamées.
À la différence d'autres pays, la France n'affirme pas un changement de modèle d'armées. Elle n'annonce pas la création de brigades blindées supplémentaires, ni l'augmentation significative de nos forces aériennes de combat ou de notre marine de surface. De telles plates-formes coûtent cher et le choix a manifestement été fait de consolider l'existant, en définissant quelques priorités assez bien identifiées : dissuasion, renseignement, cyber, etc.
Dans un monde affranchi de toute contrainte budgétaire, j'aurais aimé que cet effort consacré aux moyens conventionnels soit plus fortement accru. Nous avons vu que « les chiffres comptaient », d'une certaine façon, et que nous ne pouvions, dans le contexte actuel, compter seulement sur le professionnalisme de nos forces armées et sur notre capacité à déployer quelques milliers d'hommes à quelques milliers de kilomètres pour faire face à des conflits complexes tels que celui du Mali. Nous sommes confrontés, de ce point de vue, à un niveau d'exigence supplémentaire et je n'en vois pas le reflet dans les chiffres de la programmation, en termes de volume d'équipements ou de forces.
Sommes-nous en train de préparer cette évolution pour l'avenir en investissant dans le SCAF et dans le char de nouvelle génération, auquel cas la prochaine loi de programmation militaire serait celle qui concrétiserait cette transformation ? Il me semble en tout cas important de rappeler que nous devons toujours préparer la guerre de demain et non celle d'hier. Je ne suis pas du tout en train de recommander que l'armée française devienne l'armée ukrainienne et dispose de 2 000 canons d'artillerie, au lieu des 107 canons Caesar qui sont prévus, ni qu'elle devienne une armée de blindés, comme entend le devenir l'armée polonaise. Nous avons des responsabilités plus vastes et des territoires d'outremer dont il faut tenir compte. Il faut donc trouver le bon point d'équilibre et un effort supplémentaire pourrait être fait, à mon avis, de ce point de vue. Comme l'a souligné Federico, la dimension européenne d'un certain nombre de programmes n'est pas manifeste, en dehors de programmes déjà connus.
La transformation de l'Allemagne s'avère encore plus difficile que la nôtre. Le ministre allemand de la défense a annoncé que la Bundeswehr retrouverait un niveau de disponibilité acceptable en 2035. C'est dire à quel point elle avait perdu une partie de ses capacités. Nous n'avons pas ce problème mais nous devrons accomplir une transformation bien plus ample que celle qui a été réalisée jusqu'à présent. Je ne suis guère inquiet à l'idée d'une Allemagne qui dépense plus que nous pour son effort de défense demain. Ce serait le cas si tous les États européens y consacraient 2 % de leur PIB, compte tenu des écarts de produit intérieur brut. J'espère que ces budgets seront alloués à des programmes structurants qui apporteront de la sécurité à l'Europe.