Les deux pays traditionnellement les plus sérieux en Europe, dans le domaine de la défense, c'est-à-dire la France et le Royaume-Uni, ont fait des choix assez voisins à cet égard : ils conservent un modèle généraliste, relativement expéditionnaire – c'est-à-dire avec la capacité d'intervenir hors du territoire européen –, sans rechercher une augmentation significative de l'effort mobilisé pour répondre aux scénarios européens.
L'explication technique de ce choix est double. D'une part, nous avons la dissuasion ; d'autre part, nous nous situons déjà à un niveau relativement élevé par rapport à nombre de nos partenaires. Dans le cas de la France, la réactivité sera prépondérante, sa capacité à se déployer rapidement de même que le professionnalisme de ses forces : autant d'atouts qui lui sont reconnus.
Ces considérations m'amènent à estimer que nous sommes dans un projet de loi de consolidation, de transition et non de transformation. Peut-être est-il trop tôt pour tirer toutes les leçons du conflit en Ukraine ? Naturellement, la manière dont les Ukrainiens font la guerre ne ressemble pas à la façon dont l'OTAN ou la France feraient la guerre, dans une hypothèse de conflit en Europe. Il faut y prendre garde pour ne pas tirer de conclusions trop hâtives. Cette future LPM représente un effort de défense qui demeure élevé mais assez largement soutenable. Je rappelle que le niveau de 2 % du PIB est très inférieur à l'effort moyen de défense de la France durant la guerre froide, alors que nous n'avions pas particulièrement l'impression de vivre dans un pays militarisé.
Cette nouvelle loi de programmation militaire doit permettre d'articuler les trois piliers de notre pratique de l'indépendance nationale : notre autonomie de décision et le maintien de la voix singulière de la France dans les grands débats stratégiques ; notre ambition européenne ; notre place au sein de l'Alliance atlantique.
Ces trois dimensions ne sont pas antagonistes, bien au contraire. Le maintien de cette cohérence est important car si nous ne tenons pas notre place au sein de l'Alliance atlantique, nous aurons davantage de difficultés à porter notre ambition européenne. Si nous ne sommes pas cette puissance indépendante et autonome, notre voix portera moins et la conservation de capacités rares – voire uniques – en Europe, par exemple dans les domaines du renseignement et de la dissuasion, est extrêmement importante.
C'est au prisme de ces trois dimensions que le projet de LPM doit être évalué au plan stratégique. Je considère qu'il répond de manière plutôt satisfaisante à ces exigences, même s'il demeure un certain nombre d'interrogations quant à l'évolution de notre environnement et aussi quant à la dynamique intra-européenne qui pourrait modifier l'équilibre des forces en présence, à l'échelle du continent comme au plan transatlantique.