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Intervention de Dominique Le Guludec

Réunion du mardi 4 avril 2023 à 18h10
Commission des affaires sociales

Dominique Le Guludec, présidente de la Haute Autorité de santé :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je suis accompagnée par Mme Michèle Morin-Surroca, qui s'occupe du rapport d'analyse prospective au sein de la HAS, et par Mme Patricia Minaya Flores, cheffe du service vaccinations et santé publique.

Tout d'abord, je vous remercie de me donner l'occasion de présenter aujourd'hui deux productions de la Haute Autorité de santé.

Il est vrai que je termine mon mandat. En effet, comme vous savez, les mandats à la Haute Autorité de santé durent six ans. Ce sera donc, si vous le souhaitez, l'occasion pour moi de répondre à toutes vos questions relatives à ce mandat.

L'avis sur les obligations vaccinales des soignants était particulièrement attendu. Ces obligations ont en effet fait l'objet de discussions extrêmement vives non seulement dans les médias et plus largement dans la société, mais également chez les professionnels de santé. L'avis de la HAS ne concernait pas uniquement l'obligation de vaccination contre la covid-19. En effet, comme vous le savez, la HAS a été saisie au mois de novembre 2022, dans le cadre de sa mission d'élaboration des recommandations vaccinales, par la direction générale de la santé afin d'actualiser l'ensemble des obligations et recommandations vaccinales des professionnels des secteurs sanitaire et médico-social et de la petite enfance. La mission ne concernait donc pas uniquement la covid, mais également l'ensemble des vaccinations. Par ailleurs, nous avions également été saisis par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale – par vous-mêmes, donc – afin d'évaluer l'évolution de la situation épidémique ainsi que des connaissances médicales et scientifiques au regard de l'obligation vaccinale dont faisaient l'objet les sapeurs-pompiers professionnels et bénévoles.

Au regard de l'ampleur de ces travaux, de leur sensibilité et de la nécessité d'élaborer un processus complet d'évaluation, nous avons proposé de rédiger ces avis en deux temps. Nous avons publié jeudi dernier le premier volet de ces recommandations que nous consacrons aux vaccins qui font actuellement l'objet d'une obligation vaccinale pour ces professionnels, à savoir les vaccins contre la covid-19, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite et l'hépatite B. Le second volet concernera l'ensemble des vaccins qui sont actuellement recommandés. L'avis sera probablement rendu en juin ou juillet.

Ces recommandations, et permettez-moi d'insister sur ce point, sont rendues sur la base d'éléments strictement médicaux et scientifiques. En effet, je rappelle que le Conseil consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) a parallèlement été saisi pour se prononcer sur les questions éthiques, l'acceptabilité sociale et sur les conséquences de l'obligation vaccinale ou de sa levée. Nous n'avons donc pas étudié ces considérations qui seront traitées par le CCNE.

Comme je l'ai déjà dit devant vous dans d'autres circonstances, nous rendons ces recommandations à partir de considérations médicales et scientifiques. Nous avons pris en compte les données épidémiologiques, la couverture vaccinale, la disponibilité des vaccins et les dernières données d'efficacité et de sécurité.

En raison de l'importance du sujet, de son caractère sensible et controversé, il nous semblait indispensable de prendre le temps de consulter les principaux acteurs concernés. Le sujet le méritait amplement. Entre le 20 février et le 3 mars, nous avons donc organisé une large consultation publique qui a permis de recueillir les contributions des parties prenantes. Je crois que plus de deux cent quinze avis ont été exprimés pendant la consultation publique ; la moitié seront rendus publics puisque vous savez que nous demandons aux contributeurs s'ils acceptent ou non que nous rendions leur contribution publique.

À la lumière de ces éléments et considérant notamment que d'une part, les Français et les professionnels sont désormais largement vaccinés, puisque plus de 95 % des professionnels de santé ont reçu une primo-vaccination complète, que d'autre part la pression de l'épidémie n'est plus la même qu'au moment où nous avons décidé de recommander la mise en œuvre, puis le maintien, de cette obligation vaccinale et enfin qu'actuellement, la situation épidémiologique est marquée par la prédominance du variant recombinant BXX, qui présente des caractéristiques similaires à l'ensemble des autres sous-lignages d'Omicron et par des taux d'incidence qui restent à des niveaux relativement faibles, nous avons pris la décision de préconiser, non plus une obligation, mais une recommandation forte de la vaccination des professionnels (dont les sapeurs-pompiers professionnels et les bénévoles) contre la covid-19. Pour votre information, nous préconisons également une recommandation forte de la vaccination contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite pour les étudiants et les professionnels, sauf à Mayotte où elle devrait rester obligatoire en raison de la faible couverture vaccinale. Nous préconisons enfin le maintien de l'obligation vaccinale pour l'hépatite B et son extension aux professionnels libéraux qui ont des postes exposés aux accidents d'exposition du sang. Il nous semble en effet plus logique que cette obligation tienne compte de l'exposition possible, c'est-à-dire du poste occupé par le professionnel et non pas du statut de l'établissement où il travaille.

Je ne manquerai pas de répondre à vos questions à ce sujet au terme de mon propos introductif.

Cette audition avait à l'origine pour but de venir présenter le dernier rapport d'analyse prospectif de la HAS. Chaque année, vous nous avez confié la mission de rendre un rapport d'analyse prospective sur une thématique choisie et de faire des préconisations. Pendant mon mandat, nous avons rédigé des rapports d'analyse prospective relatifs aux innovations pour mieux soigner, au numérique en santé, à la thématique « sexe, genre et santé » et le dernier porte donc sur l'expertise publique en santé en situation de crise.

La pandémie de covid-19 a conduit les décideurs à solliciter très largement l'expertise sanitaire afin d'éclairer ses décisions urgentes et souvent inédites, dans un contexte d'incertitudes important et des connaissances qui, de zéro au départ, sont arrivées progressivement, mais massivement.

L'investissement, l'adaptabilité et la réactivité de tous pour répondre ont été des éléments déterminants pendant ces trois années qui ont vu se succéder des vagues épidémiques qui questionnaient à nouveau, à chaque fois, les connaissances nouvellement acquises et imposaient une actualisation des avis en conséquence. La HAS – et d'autres également – a travaillé pour rendre de très nombreux avis dans des délais extrêmement contraints, pendant toute la durée de la crise sanitaire. J'étais déjà venue vous en parler.

Il nous a semblé indispensable de tirer les enseignements de cette mobilisation et de capitaliser sur les acquis afin de mieux nous préparer collectivement à faire face aux prochaines crises qui ne manqueront pas de survenir. Nous avons souhaité contribuer à cette réflexion avec notre rapport d'analyse prospective. À ce titre, outre des recommandations générales, nous avons pris des engagements pour nous-mêmes.

Je tiens à préciser en premier lieu que le rapport n'a pas pour objet la gestion de la crise, mais bien l'expertise et sa mobilisation en situation de crise. Pour élaborer ce rapport, la HAS s'est fondée sur les données disponibles publiées et sur l'audition de plus de quatre-vingts acteurs particulièrement mobilisés pendant la pandémie. Un point important à souligner est l'accueil extrêmement positif qu'a reçu la démarche de la part de nos interlocuteurs et la spontanéité de leurs propos qui constituent toute la richesse de ces entretiens et qui sont d'ailleurs résumés dans le rapport.

Le rapport aborde de nombreux axes : la coordination de l'expertise, l'enjeu des données de santé, la recherche, le besoin d'une expertise transdisciplinaire et intégrant les savoirs expérientiels des organisations d'expertise réactives et agiles, l'importance d'une communication adaptée pour renforcer la confiance. Je ne peux les évoquer tous, mais je répondrai à toutes vos questions bien évidemment.

Je voudrais m'attarder sur quelques points particuliers.

En premier lieu, je tiens à souligner l'importance du respect des principes fondamentaux de l'expertise. Le rapport rappelle que, même en situation de crise – et peut-être même encore plus en situation d'urgence –, il est impératif de respecter les principes fondamentaux de l'expertise, à savoir l'indépendance de l'expertise, la transparence du processus et la pluridisciplinarité qui sont indispensables à la production d'une expertise de qualité, à sa crédibilité, à sa légitimité et in fine, au débat démocratique et au maintien de la confiance du public et des citoyens.

L'indépendance doit être considérée au sens large c'est-à-dire y compris à l'égard du politique. Dans ce cadre, la publication des avis et recommandations constitue un des éléments de la transparence puisque nous publions nos productions immédiatement après leur validation.

En deuxième lieu, le besoin de coordination de l'expertise est important en temps de crise. La multiplication d'instances et d'acteurs mobilisés a engendré une réelle complexification de l'écosystème qui a été possiblement une source de confusion, de doutes quant à la crédibilité des instances d'expertise existantes. La mise en place d'une coordination centralisée en situation de crise doit mobiliser les instances d'expertise de façon cohérente et complémentaire, de sorte à éviter les redondances constatées et à gagner en lisibilité auprès du public et des professionnels de santé. La proposition de la HAS ne consiste pas à créer une nouvelle métastructure et à complexifier davantage l'écosystème, mais à s'appuyer sur les organismes existants. Cette organisation doit être pensée hors situation de crise et ne doit pas être « parachutée » dans l'urgence pour être efficace. Une coordination hors crise constitue une condition préalable afin de construire ou de renforcer les partenariats entre acteurs dont on a pu constater l'intérêt en situation d'urgence. Connaître et appréhender correctement les missions de chacun, avoir l'habitude de travailler et de réfléchir ensemble, représentent des atouts et permettent l'adaptabilité du système en situation de crise.

Le troisième enseignement est apporté par la capacité d'adaptation et d'organisation des structures pour répondre dans l'urgence. Pour poursuivre sur l'écosystème d'expertise français, la crise a montré qu'il a su s'adapter et développer la réactivité nécessaire à la situation. Les organismes ont pu le faire grâce à la mobilisation de leurs compétences à travers l'investissement majeur de leurs équipes et de leurs réseaux d'experts. Ces structures ont su capitaliser sur la maturité de leurs organisations en simplifiant et contractant les étapes de leur processus de travail. Il ne s'agit toutefois pas d'un fonctionnement normal et nous ne pouvons pas nous attendre à ce qu'il soit pérennisé. Le rapport propose de capitaliser sur ces acquis en formalisant des organisations spécifiques et en poursuivant le développement de méthodes de productions rapides. La HAS a pris des engagements dans ce sens. Nous insistons également sur l'intérêt d'une approche collaborative entre institutions et sur le partage des connaissances et synthèses de données.

La quatrième leçon que nous tirons de cette crise réside dans la nécessité d'une expertise interdisciplinaire fondée sur des données en temps réel et intégrant les savoirs issus de l'expérience. La crise a montré l'enjeu de l'accès à des données en temps réel et aux connaissances produites notamment sur le territoire national. Ces données sont cruciales notamment pour la production d'une expertise actualisée. En début de crise, nous avons dû nous appuyer essentiellement sur des données étrangères dans les premières phases (américaines, israéliennes et anglaises). Il est donc nécessaire d'établir une cartographie des besoins prévisibles pour définir des systèmes d'information adaptables et activables en urgence et interconnectés. Le développement de systèmes d'information spécifiques aux établissements et services sociaux et médico-sociaux est indispensable. Pendant la crise, au bout d'un certain temps, sont remontées les données quotidiennes d'hospitalisations, de décès, de vaccinations, de tests positifs, etc. Cependant, il a fallu attendre ce laps de temps et toutes les données n'étaient pas disponibles.

Par ailleurs – et plusieurs rapports ont été publiés en ce sens –, la recherche doit être soutenue et coordonnée afin de répondre aux problématiques soulevées et une recherche appliquée en lien avec les besoins de l'expertise doit se développer. Cela signifie qu'une scission complète entre la recherche et l'expertise n'est pas souhaitable et qu'il est indispensable que ces deux domaines communiquent entre eux de sorte à identifier la recherche adaptée.

Il importe également de favoriser les remontées de terrain et les savoirs issus de l'expérience via des systèmes de remontée adaptés de sorte que l'expertise puisse en tenir compte.

J'ai souligné dans mon propos le respect des principes fondamentaux de l'expertise. La multidisciplinarité, en particulier l'intégration de l'expertise des sciences humaines et sociales, mais également la prise en compte des savoirs expérientiels issus des acteurs de terrain et des usagers sont indispensables pour éclairer la décision publique et appréhender les problématiques dans leur ensemble.

Chaque crise a des particularités, mais la HAS propose des principes qui visent à une meilleure anticipation et préparation.

Je vous remercie et je répondrai à toutes vos questions.

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