Intervention de Leïla Chaibi

Réunion du jeudi 30 mars 2023 à 16h00
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Leïla Chaibi, députée européenne, vice-présidente de la commission de l'Emploi et des Affaires sociales au Parlement européen et rapporteure fictive sur le projet de directive relative à l'amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via des plateformes :

Lorsque je dis que le Président de la République se fait le relai des intérêts des plateformes, loin de moi l'idée qu'Emmanuel Macron serait payé par Uber ! En effet, la question idéologique est sans doute au cœur du sujet : certains ont, par idéologie, la conviction que le marché du travail est soumis à une trop forte rigidité à l'embauche, que le code du travail est trop contraignant et que la suppression des protections sociales accordées aux salariés favoriserait la dynamique du marché du travail. Dès lors, l'ubérisation peut constituer un cheval de Troie pour déconstruire tous les acquis du salariat. Quand un employeur peut sanctionner, contrôler et diriger un travail – ce sont les trois éléments qui fondent le lien de subordination –, il doit appliquer le droit du travail et payer la protection sociale. Certes, cette contrepartie est lourde. Pourtant, les stratégies de contournement existent, comme les contrats atypiques. Nous avons précisément affaire ici à une nouvelle stratégie de contournement, qui repose sur l'absence même de tout contrat. Je ne conteste pas les avantages qu'elle représente pour l'employeur mais, en retour, le travailleur ne bénéficie pas des avantages que lui confère le statut d'indépendant, étant donné qu'il ne peut ni travailler comme il le souhaite, ni choisir ses tarifs, et il subit en même temps toutes les contraintes du statut de salarié. Dara Khosrowshahi évoquait « un meilleur pacte » dans son livre blanc : en réalité, il n'est meilleur que pour l'employeur. La dimension idéologique est donc indéniable.

Par ailleurs, certains eurodéputés ont en effet servi les intérêts d'Uber. Le chargé de négociation pour le groupe PPE était Dennis Radtke. Ancien syndicaliste issu de la droite sociale, son profil est atypique au sein de son groupe. Dès le départ, il était convaincu que le compromis était acceptable. Il ne voulait pas se faire le relai des intérêts des plateformes, contrairement à certains eurodéputés PPE. Étant donné qu'il refusait d'accueillir des événements au sein du Parlement européen et de répéter leur argumentaire, les plateformes ont décidé de s'adresser à d'autres eurodéputés, comme la députée slovaque Miriam Lexmann, le député italien Aldo Patriciello ou le député bulgare Radan Kanev. Ces députés nous invitaient par mail à des événements pour réfléchir au contenu de la directive à venir, auxquels les travailleurs n'étaient pas conviés. Lors de ces réunions, deux principales études étaient citées : l'une produite par Accenture, financée par Uber, et l'autre par le Copenhagen Economics, financée par l'entité Deliveroo Platform Europe, qui réunit Uber, Deliveroo et Bolt. Ces relais étaient des personnes que nous n'avions jamais entendues s'exprimer sur ces sujets. Je vous invite par ailleurs à consulter les tweets de Sara Skyttedal, qui ont été largement relayés : elle est allée jusqu'à qualifier Brahim Ben Ali, représentant national des VTC, d'activiste ignorant, parce qu'il s'était rendu à un événement organisé par le Parlement à Strasbourg sur le contenu de la directive, une heure avant une réunion de négociation. Je ne prétends pas que ces députés sont payés par les plateformes, mais ces éléments montrent bien qu'ils s'en font les relais.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion