Intervention de Alice Navarro

Réunion du jeudi 30 mars 2023 à 12h00
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Alice Navarro, directrice-adjointe de l'AFA, ancienne conseillère juridique du directeur général du Trésor et référente déontologue et alerte de la direction générale du Trésor du ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique :

J'ai servi dans une administration, la direction générale du Trésor qui, par les sujets qu'elle traite, a une forte interaction avec les entreprises – et c'est normal. Les agents font face à une injonction contradictoire : on les incite statutairement à exercer une mobilité qui peut se faire dans le privé à un moment de leur carrière, pour s'enrichir d'une expérience spécifique, ce qui est logique et extrêmement utile à l'administration à laquelle on reproche souvent de travailler hors sol, et il y a en même temps des règles extrêmement rigoureuses en matière de pantouflage et de prise illégale d'intérêts.

Pour répondre à votre question sur le lien d'intérêt et sa sanction pénale, il ne suffit pas, en droit pénal, d'avoir un intérêt dans une activité économique quand on est fonctionnaire, ou agent de l'État en général, pour qu'une infraction soit constituée. Ce qui est réprimé, c'est le fait de prendre une décision à l'égard d'une entité ou d'une opération dans laquelle on a un intérêt, ou d'accepter après avoir quitté son emploi public, d'être rémunéré pour un emploi ou une prestation de conseil, par une entité que l'on a contrôlée alors que l'on exerçait dans le public. Nous avons tous, plus ou moins, pour peu qu'on ait un parcours un peu varié, des intérêts mais ce n'est pas en soi l'existence ou la suspicion d'un intérêt qui suffit à constituer une infraction.

À titre personnel, je suis d'accord avec vous : on peut se dire, dans une démarche un peu philosophique, que les règles de transparence permettent d'avoir un dialogue, un débat contradictoire, parfois au risque de s'invectiver, sur les raisons pour lesquelles on peut donner l'impression d'être aligné sur la façon de penser d'une structure dans laquelle on a travaillé auparavant. Il faut des règles car la crédibilité de l'action de l'administration est en jeu. Dans les situations où des agents sont amenés à prendre des décisions individuelles, il ne faut pas que l'on puisse croire – en la matière, l'apparence d'indépendance est aussi importante que la réalité des faits – qu'une éventuelle absence d'intervention ou une décision a eu lieu et se trouve ensuite rémunérée par l'octroi d'un poste ou d'une prestation de conseil. En dehors de ces hypothèses, il ne me paraît pas nécessaire d'ajouter d'autres contraintes si ces agents sont correctement sensibilisés aux questions de déontologie et d'atteinte à la probité et bénéficient des conseils d'un référent déontologue qui a leur confiance.

Le recours à des agents venant du privé est tout aussi intéressant pour enrichir l'action de l'administration et est encouragé par les réformes récentes mais ces agents n'ont pas forcément de culture administrative. Les référents déontologues doivent pouvoir les former et toucher l'ensemble des nouveaux agents. Il faut leur dire de faire attention lorsqu'ils ont un pouvoir de décision. Même s'ils n'ont pas l'obligation de faire une déclaration d'intérêts, on doit les inciter à jouer franc jeu pour ne pas risquer de se trouver en difficulté : il faut regarder attentivement quels sont leurs intérêts, y compris familiaux, en raison du travail de leur frère ou de leur conjoint, par exemple. Il est essentiel de mener ce dialogue, qui n'a pas forcément vocation à être rendu public, pour que le climat soit serein. Afin de pouvoir gérer les risques, il faut en avoir connaissance. On peut ensuite recourir à de nombreuses méthodes, comme les règles en matière de déport. À la direction générale du Trésor, dans la mesure où beaucoup de personnes étaient amenées à travailler sur des sujets systémiques qui pouvaient avoir des effets sur le cours de bourse d'entités cotées, le code de déontologie définissait, sans que la loi l'impose, une catégorie d'agent qui, à raison des sujets traités, n'avaient pas le droit de détenir des instruments financiers dans des sociétés cotées, sous peine de sanction disciplinaire. Cela fait partie des mesures de bon sens que l'on peut utiliser, sans qu'il soit nécessaire de les inscrire dans la loi, pour adapter les règles déontologiques à des situations spécifiques.

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