Intervention de Alice Navarro

Réunion du jeudi 30 mars 2023 à 12h00
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Alice Navarro, directrice-adjointe de l'AFA, ancienne conseillère juridique du directeur général du Trésor et référente déontologue et alerte de la direction générale du Trésor du ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique :

Je vous présenterai tout d'abord les missions de l'AFA, qui a été créée par la « loi Sapin 2 » de 2017. C'est un service à compétence nationale placé sous la double tutelle du ministre de la Justice et du ministre chargé du Budget. Elle a pour mission principale d'aider les autorités compétentes et les personnes qui y sont confrontées à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d'influence, de concussion, de prise illégale d'intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme – soit les délits d'atteinte à la probité, même si j'évoquerai souvent, par facilité de langage, la notion de corruption.

Afin d'assurer cette prévention, la loi impose aux acteurs économiques de mettre en place un dispositif de prévention de la corruption, qui repose sur des mesures et des procédures définies dans la loi. Elles sont au nombre de huit et ne concernent que les entités de plus de 500 salariés et dont le chiffre d'affaires est supérieur à 100 millions d'euros. Ces acteurs économiques doivent mettre en place un code de conduite, un dispositif d'alerte interne, une cartographie des risques, des procédures d'évaluation de la situation de leurs clients et fournisseurs – que l'on appelle les procédures d'évaluation d'intégrité des tiers –, des procédures de contrôle comptable, de contrôle interne et de contrôle externe, un dispositif de formation destiné aux cadres et aux personnels les plus exposés, un régime disciplinaire et un dispositif de contrôle et d'évaluation interne de la mise en œuvre de l'ensemble de ces mesures.

En application de la loi, les acteurs publics ont également l'obligation de mettre en place un dispositif : sont concernés les administrations de l'État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, les sociétés d'économie mixtes et les associations et fondations reconnues d'utilité publique. Pour autant, le législateur n'a pas fixé un cadre méthodologique, soit une liste de mesures et de procédures à mettre en œuvre. Si l'AFA dispose du pouvoir de contrôler ces acteurs publics, lorsqu'elle le fait, elle s'assure en réalité que l'ensemble des dispositifs qui s'appliquent déjà aux acteurs publics – par exemple, l'ensemble des règles de déontologie, le dispositif sur l'engagement budgétaire ou encore le dispositif pénal – sont correctement mis en œuvre, avec un prisme spécifique visant à prévenir les actions de corruption.

Je ne vous le cache pas, cela crée une sorte d'asymétrie, puisque, dans les contrôles d'acteurs publics que nous avons réalisés, nous avons constaté que l'appropriation de leurs règles à des fins de prévention de la corruption n'était pas toujours correctement comprise. L'AFA a établi des lignes directrices – c'est-à-dire des recommandations – pour leur fournir cette méthodologie et pour les inciter à utiliser l'ensemble de ces règles et à les orchestrer aux fins de prévention des atteintes à la probité. Néanmoins, nous remarquons que cette approche méthodologique globale – faire une cartographie des risques pour comprendre où se situe la plus forte exposition aux risques, puis prendre les mesures nécessaires de prévention, de contrôle interne et de contrôle a posteriori pour atténuer ces risques – n'est, malheureusement, pas toujours correctement assimilée par ces acteurs.

Outre ces fonctions principales de contrôle, nous avons une mission générale d'appui à ces acteurs. À ce titre nous répondons à leurs questions de diverses manières :

- par la publication de recommandations qui sont la déclinaison pratique des mesures et procédures à mettre en œuvre pour disposer d'un système efficace de prévention et de détection de la corruption (« mode d'emploi »). Ces recommandations sont régulièrement mises à jour pour tenir compte des meilleures pratiques et ainsi mieux orienter les acteurs assujettis aux obligations de la loi « Sapin 2 » en matière de dispositif de prévention de la corruption ;

- par la publication de guides pratiques sectoriels ou thématiques comme par exemple sur le cycle de l'achat public, le guide sur la gestion des cadeaux et invitations tant au sein des entreprises que pour les acteurs publics et les guides sectoriels pour le BTP ou les fédérations sportives ;

- par des actions de sensibilisation et de formation au dispositif anticorruption à travers des interventions de sensibilisation ou de formation directes, telles que des webinaires, soit auprès d'acteurs publics (ministères, collectivités), soit dans un cadre de type associatif (associations d'élus, fédérations professionnelles), soit encore auprès des universitaires et think tanks (l'Observatoire de l'éthique publique par exemple), des organismes de formation comme l'Institut de français de l'audit et du contrôle internes (IFACI), des associations professionnelles telle la Conférence des inspecteurs et auditeurs territoriaux (CIAT), etc. Les actions de formation sont également parfois réalisées en partenariat avec les instituts de formation et écoles du Réseau des écoles du service public (ESP) comme l'Institut des hautes études de défense nationale, l'Ecole nationale de la magistrature ou l'Institut national de service public, les universités et écoles de commerce ou encore l'Ecole française du barreau ;

- par la mise à disposition de ressources de sensibilisation et de formation à distance dont notamment un jeu sérieux de sensibilisation à la prévention de la corruption disponible sur le site de l'AFA et intitulé « En quête d'intégrité », le Quiz de l'AFA, des cours en lignede l'AFA et du Centre national de formation de la fonction publique territoriale « Corruption, favoritisme, détournement… comment les prévenir dans la gestion locale ? » et « Contenu d'un programme anticorruption pour un acteur public » ainsi que des émissions radiophoniques.

Cette documentation, que nous enrichissons régulièrement, est destinée à répondre à l'essentiel des questions que soulève l'application de notre dispositif de prévention de la corruption et se nourrit des nombreux échanges que l'AFA entretient avec les professionnels, dans ce cadre ou à l'occasion des contrôles.

L'AFA répond par ailleurs à l'ensemble des questions écrites que lui adressent les requérants par courriel ou courrier. Ces saisines portent le plus souvent sur des questions juridiques portant sur des thématiques diverses, notamment le périmètre de l'article 17 de la « loi Sapin II », l'évaluation des tiers au regard du risque de corruption, les contrôles comptables anticorruption, les dispositifs d'alerte interne ou le dispositif de formation anticorruption. Trente-huit des saisines concernaient des sollicitations à intervenir dans des événements ou des ateliers pratiques dans le cadre des missions de sensibilisation et de formation de l'AFA ou des demandes spécifiques d'appui dans la mise en œuvre d'un dispositif de conformité anticorruption.

Nous jouons également un rôle de coordination interministérielle – l'AFA est un service à compétence nationale et non pas une autorité indépendante, même si son directeur est protégé par la loi, qui précise qu'il ne peut recevoir ni solliciter d'instructions dans le cadre de ses contrôles. Nous menons aussi une forte action à l'international –à travers la conclusion de nombreuses conventions avec des autorités similaires à l'étranger et la participation aux prises de position de la France au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et dans les instances internationales.

Par ailleurs, nous sommes chargés d'une importante activité, qui ne relève pas strictement du contrôle d'initiative des acteurs, à savoir le contrôle des programmes de conformité consentis dans le cadre des conventions judiciaires d'intérêt public (CJIP). Il s'agit d'un dispositif permettant au procureur, et particulièrement au parquet national financier, de ne pas aller jusqu'à une audience, s'agissant d'affaires dans lesquelles sont en cause des infractions à la probité ; une transaction judiciaire est négociée avec les entreprises, qui, sans déclaration de culpabilité, peuvent continuer à participer à des appels d'offre. En contrepartie, des entreprises s'engagent à mettre en place un programme de conformité – que l'AFA contrôle – pour prévenir la réitération de ces infractions. Actuellement, nous terminons la CJIP d'Airbus, particulièrement intéressante. Les autorités étrangères américaines et britanniques ayant participé à la poursuite des infractions commises par Airbus ont accepté que l'AFA soit la seule agence chargée du contrôle du programme subséquent de mise en conformité.

S'agissant de mes précédentes fonctions, je considère avoir pu les exercer dans une configuration optimale. Je dois préciser que cela tient au fait, au-delà de la confiance dont j'ai toujours pu bénéficier, que j'étais tout à la fois référente déontologue et conseillère juridique placée auprès du directeur général du Trésor. Cela me permettait de disposer d'une autorité, d'une indépendance et d'une légitimité très fortes auprès de l'ensemble des agents, quel que soit leur niveau dans la hiérarchie. En outre, ma qualité de magistrat judiciaire ayant exercé des fonctions pénales a contribué grandement à cette crédibilité et à la confiance dont ont fait preuve à mon égard les agents, qui étaient assurés de la plus complète confidentialité de nos échanges. Le cumul de ces deux fonctions m'a permis, en outre, d'avoir la possibilité de proposer au directeur général du Trésor ou au secrétariat général des évolutions des procédures en matière de déontologie (cumul d'emploi, déport, départ vers le privé, etc.) à la rédaction desquelles je participais pour les adapter aux situations internes qui étaient portées à ma connaissance et pour lesquelles cette adaptation me paraissait utile. Par ailleurs, mes travaux en tant que conseillère juridique m'ont permis de bien connaître les attributions des différents bureaux et ainsi de mieux conseiller les agents et apprécier les risques réels de prise illégale d'intérêt. Enfin, de nombreuses réunions réunissant l'ensemble des référents déontologues du ministère étaient organisées par le référent déontologue ministériel pour traiter de questions communes.

La charte de déontologie constitue, après la loi, le principal instrument sur lequel s'appuie le référent déontologue. Comme l'AFA le vérifie dans le cadre de ses contrôles, cette charte doit être accessible à tous et communiquée lors des prises de fonctions. De plus, l'application des principes qu'elle énonce doit faire l'objet d'un suivi et de sanctions disciplinaires le cas échéant. L'identité du référent déontologue doit être également portée à la connaissance de tous les agents, ainsi que ses missions et les conditions de sa saisine. Les agents doivent aussi être informés que les échanges avec le référent déontologue sont confidentiels. Enfin, et c'est là le plus important, le référent déontologue doit procéder à des actions de sensibilisation à la déontologie et aux atteintes à la probité fréquentes pour permettre à chaque agent d'en être parfaitement informé, même dans des administrations de grande taille où les mobilités sont fréquentes et les agents contractuels nombreux.

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