Un nouveau chapitre de la stratégie énergétique de l'Union Européenne s'est ouvert ces derniers mois sous la pression des crises internationales. L'ampleur des risques est énorme mais recèle d'opportunités formidables pour constituer à long terme une véritable souveraineté énergétique. Dans celle-ci, nous devons bâtir une véritable industrie nucléaire européenne.
La proposition de résolution européenne que je présente part du constat posé dans mon précédent rapport portant observations sur le projet de loi dit « Nucléaire » : l'atome est un atout indispensable pour répondre aux différents défis posés à notre continent.
Le nucléaire est, tout d'abord, l'une des réponses au défi climatique et doit nous permettre de remplir les engagements du continent : la neutralité carbone à l'horizon 2050. Le nucléaire est, ensuite, une garantie de la souveraineté pour notre continent, avec des moyens de production d'énergie maîtrisés et localisés sur notre continent. Le nucléaire offre aussi un avantage compétitif à nos entreprises européennes, avec la fourniture d'électricité à bas coût et, demain, avec de nouveaux débouchés autour de l'hydrogène.
Pour nous permettre de répondre efficacement à ces défis, il est de notre devoir de redonner à l'écosystème des entreprises énergétiques du continent - dont notre champion français EDF est l'une des pièces maîtresses - la visibilité dont ils ont besoin en matière d'investissements pour engager massivement des financements dans l'industrie nucléaire. Nous devons arrêter notre politique de stop and go empêchant toute visibilité de long terme.
Nous sommes à un moment inédit pour la stratégie énergétique européenne. Le nucléaire est au fondement de la construction européenne, avec le traité Euratom signé en 1957. Or, depuis une dizaine d'années, le nucléaire était systématiquement exclu de l'ensemble des textes négociés par le Parlement européen et le Conseil. En 2010, l'Union européenne, au nom de l'impératif de concurrence, a imposé la création du dispositif de l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique (ARENH), qui a lourdement dégradé les finances de l'opérateur historique EDF. En 2019, la Commission ne mentionnait pas une seule fois le nucléaire dans son Pacte Vert pour l'Europe. Pourtant, les années 2022 et 2023 marquent l'amorce d'une évolution, avec l'inclusion du nucléaire dans la taxonomie verte et la reconnaissance de l'hydrogène bas carbone.
Nos partenaires européens, jadis opposés, cheminent progressivement dans la bonne direction. Mais tout reste encore à faire. Je m'inscris en faux contre toute démarche consistant à opposer l'énergie nucléaire aux énergies renouvelables : nous avons besoin d'une politique énergétique qui marche sur deux jambes « décarbonées ». Nous ne pourrons atteindre l'ensemble de nos objectifs en nous appuyant uniquement sur l'intermittence des énergies renouvelables. N'oublions pas que l'augmentation nécessaire de la part des énergies renouvelables va de pair avec l'augmentation d'une énergie pilotable et décarbonée. C'est pourquoi le nucléaire est incontournable dans notre stratégie énergétique européenne.
Ne restons pas au milieu du gué : il convient de faire évoluer la législation européenne. La proposition de résolution européenne a pour objectif de brosser à grands traits quelques pistes et une méthode pour construire une véritable filière nucléaire européenne à court, moyen et long terme.
Le premier pas, dans les semaines à venir, est de poursuivre l'intense travail de négociations mené au sein du Conseil, débuté il y a quelques mois, pour garantir le même traitement au nucléaire dans tous les textes européens. L'idée que je défends est celle de la cohérence du droit de l'Union. Or, si la Commission européenne intègre pleinement le nucléaire dans sa proposition de refonte du marché européen de l'électricité, elle l'exclut de la réponse européenne à l' Inflation Reduction Act (IRA). Il en va de même pour l'hydrogène bas-carbone : la Commission l'a reconnu, mais aucun débouché industriel n'est prévu à ce stade, par exemple dans le paquet gazier. La proposition de résolution plaide donc pour une inclusion pleine et entière du nucléaire dans l'ensemble des dispositifs de politique énergétique du continent, au même titre que les énergies renouvelables.
La deuxième avancée, à moyen terme, est de pouvoir faire la démonstration qu'une filière nucléaire à l'échelle du continent fonctionnerait techniquement, serait rentable économiquement et utile socialement. Lançons dans les prochains mois un projet important d'intérêt européen commun - les fameux PIIEC – pour assembler des briques technologiques issues de plusieurs États membres et construire de petits réacteurs dits « small modular reactor » (SMR) et « advanced modular reactor » (AMR). Nous pouvons également jeter les fondements d'une filière européenne de traitement des déchets par la constitution d'un PIIEC sur le sujet. Servons-nous de ces succès technologiques pour lever les doutes de nos partenaires de l'Union les plus rétifs au nucléaire.
À long terme, nous pourrons parachever cette évolution par la généralisation d'une réelle filière nucléaire européenne, appuyée sur un traité Euratom revigoré. Le financement de cette filière et de ses progrès technologiques, qui doit naturellement faire l'objet de débats entre les États membres, peut être soutenu par un dispositif commun d'export de matériel nucléaire civil dans les pays tiers.
Mes chers collègues, vous l'avez compris, nous sommes à un moment de vérité dans la politique énergétique du continent, qui a été tristement amené par la crise climatique et la guerre en Ukraine. Dans ce contexte, je plaide résolument pour une « méthode des petits pas à grandes enjambées » : démontrons l'intérêt d'une filière commune au niveau européen. Ne tardons pas à établir rapidement les fondements d'une Union du nucléaire, qui nous sera si précieuse face aux défis de notre siècle : c'est là tout l'objectif du texte qui vous est soumis.