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Intervention de Francesca Pasquini

Réunion du mardi 28 mars 2023 à 17h20
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrancesca Pasquini, rapporteure :

C'est une véritable fierté de vous présenter ce texte, fruit de plusieurs mois de travail sur l'alimentation. Ces réflexions ont pris racine dans mon expérience personnelle. Lorsque j'étais enseignante je mangeais chaque jour à la cantine, comme les enfants. Juste après mon élection, les habitants de ma circonscription m'ont alertée sur le combat qu'ils mènent, à l'échelle des écoles d'Asnières, pour une alimentation saine et durable. Moins de plats transformés, plus de repas cuisinés avec des produits bruts, travail sur la formation pour améliorer le goût et la saveur des menus, lutte contre le gaspillage : je ne pouvais que partager leurs idées, d'autant que j'avais moi-même, à plusieurs reprises, été plutôt sceptique sur le contenu de mon assiette.

Je me suis donc lancée dès juillet dans une série de rencontres, qui m'ont permis de m'enrichir au contact des acteurs de terrain. Pour ancrer ces échanges dans le réel, je me suis rendue dans plusieurs cuisines de réfectoire du territoire national. De Saint-Denis à Mouans-Sartoux, de Bordeaux à Autun, j'ai vu des modèles différents mais animés par une conviction commune : la nécessité de bien nourrir tous les enfants, par-delà les différences politiques.

Nous l'avons peut-être oublié avec le temps, mais les collectivités ne sont pas tenues de proposer une offre de cantine dans les écoles. Si presque toutes le font, c'est parce que la tradition du repas quotidien fait partie de notre patrimoine. Pour de nombreux enfants, c'est le seul repas de la journée. La cantine représente donc un levier unique pour agir tout à la fois sur la cohésion sociale, sur la santé des enfants, sur l'économie locale et sur l'environnement.

Ces objectifs inséparables les uns des autres, la présente proposition de loi les aborde globalement. Nous en sommes convaincus : il ne sera pas possible de transformer notre système économique en profondeur sans changer le contenu de nos assiettes. Aucun levier n'est plus puissant que l'alimentation pour optimiser la santé humaine et la durabilité de notre environnement. C'est pourquoi nous avons articulé notre travail en suivant une idée fixe : permettre à tous les Français de mieux manger.

Mieux manger, c'est d'abord avoir les moyens financiers d'accéder à des produits de qualité et ne pas reporter sa consommation vers des produits trop caloriques, trop gras, trop sucrés ou trop salés. De ce point de vue, la situation que nous traversons est absolument inédite depuis les années quatre-vingt. L'inflation sur les produits alimentaires a atteint 15 % de février 2022 à février 2023. Pour certaines catégories d'aliments, tels que les fruits et les légumes, indispensables sources de fibres, de vitamines et de minéraux, la hausse est spectaculaire, à plus de 22 % en glissement annuel. Comment rester inactif face au risque d'une véritable fracture alimentaire ?

Coup sur coup, les Français les plus précaires ont été éprouvés par la covid-19, qui a accentué les inégalités de consommation, et par l'inflation, qui entraîne des choix insupportables. Des familles arbitrent entre les composantes ; des employés et des ouvriers sont contraints, à midi, de manger un sandwich sur le pouce plutôt qu'un repas complet. Il va sans dire que parents et enfants doivent se priver des petits plaisirs qui rendent la vie moins amère. Pour de nombreuses familles, le quotidien est devenu une suite de micro-décisions douloureuses et de sacrifices… et ce n'est probablement que le début : dimanche 26 mars 2023, le journal Le Monde titrait : « En Europe, l'inflation provoque une flambée des vols de nourriture dans les magasins. »

Toutes les associations que j'ai auditionnées m'ont fait part de leur inquiétude profonde. J'aimerais vous donner quelques ordres de grandeur, même s'ils ne peuvent remplacer l'expérience angoissante de la précarité. La Croix-Rouge et les Restos du cœur signalent une augmentation de 22 % du nombre de personnes accueillies lors de la dernière campagne d'hiver par rapport à la précédente. Quant aux banques alimentaires, elles révèlent que le nombre de personnes bénéficiant de l'aide alimentaire a triplé en dix ans et qu'il est en hausse de 10 % en 2022.

Que faire ? Nul ne peut se satisfaire de formules grandiloquentes et d'effets d'annonce. Nous devons trouver une issue rapide à cette crise sociale.

Plusieurs solutions s'offraient à nous, toutes imparfaites tant le sujet est complexe. Nous avons retenu la seule piste qui nous semblait correspondre à l'urgence : une prime d'alimentation ciblée sur les ménages précaires. Réclamée par la plupart des associations de terrain auditionnées, l'instauration d'une prime alimentaire automatique répond à deux exigences, qui nous semblent fondamentales à court terme : l'accessibilité et l'efficacité.

Bien entendu, nous aimerions flécher cette prime vers des produits sains et durables, mais cette solution s'est avérée impraticable dans un délai raisonnable. Tandis que chaque semaine charrie son lot de souffrances et de drames, nous n'avons pas le loisir de nous lancer dans des concertations byzantines sur la définition de la durabilité, laquelle doit au demeurant faire l'objet d'un rapport du Gouvernement qui n'a jamais été remis. Nous ne faisons que suggérer une solution prise en considération telle quelle par le Président de la République lui-même il y a deux ans. Tel est, en quelques mots, l'objectif de l'article 1er, qui ne peut épuiser à lui seul l'ensemble des dispositifs de lutte contre la précarité mais qui aurait le mérite, s'il était appliqué, de soulager sans délai des millions de familles en difficulté.

La deuxième direction qu'il nous semble essentiel de suivre pour permettre aux Français de mieux manger est d'accélérer la végétalisation de nos assiettes. Je tiens à dissiper d'emblée un malentendu : il n'est pas question d'imposer aux enfants, par le biais de la présente proposition de loi, un quelconque régime alimentaire moi-même, je ne suis pas végétarienne. Nous souhaitons néanmoins amplifier la part de protéines végétales dans leur alimentation – et ce, pour deux raisons.

La première, c'est la santé. On ne compte plus les études qui démontrent, les unes après les autres, qu'enfants comme adultes mangent trop de protéines, environ deux fois plus que nécessaire, ce qui ne va pas sans poser des problèmes. Les habitudes prises pendant l'enfance entraînent une faible diversification des habitudes alimentaires, qui amènent les jeunes adultes à penser, à tort, qu'il ne peut exister de bon repas sans viande. Les risques d'une telle alimentation sont connus : maladies cardiovasculaires, diabète, surcharge pondérale, voire cancer. Il faut donc diversifier les sources d'apport protéique et réhabituer les enfants à manger des légumineuses.

La seconde raison est environnementale. Je ne le répéterai jamais assez : il n'y a pas un seul scénario dans lequel nous atteignons nos objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES) d'ici à 2030 sans réduire massivement notre consommation de produits carnés. Il n'est plus l'heure de temporiser. Notre modèle est simple : nous souhaitons que les enfants mangent moins de viande, mais de meilleure qualité. Qui peut se satisfaire d'avoir 50 % de viande importée dans les assiettes de nos enfants ?

J'espère que nous aurons un débat apaisé à ce sujet, loin des caricatures que l'on entend trop souvent. Notre devoir, en tant que parlementaires, est d'anticiper les évolutions pour permettre les transitions les plus paisibles possible. Tel est l'état d'esprit dans lequel nous avons élaboré l'article 2, qui préserve la liberté des collectivités territoriales tout en fixant un cap à la restauration scolaire dans son ensemble. Nous en appelons à votre esprit de responsabilité pour voter une mesure approuvée par les associations environnementales et les experts du sujet.

Enfin, mieux manger, c'est limiter les risques sanitaires qui pèsent sur notre alimentation. En dépit de l'existence d'éléments scientifiques robustes sur le risque de cancer, qui plaident en faveur d'une interdiction des additifs nitrés dans la charcuterie, le Gouvernement semble avoir adopté une stratégie dilatoire, remettant sans cesse à plus tard la décision d'une interdiction ferme. Je dois avouer ma surprise d'avoir constaté hier soir, par une simple visite sur le site internet du ministère, qu'un plan venait d'être publié. Ni annonce médiatique ni volonté de le diffuser largement : le Gouvernement a agi en catimini, comme s'il s'agissait d'un sujet anodin. Que propose ce plan ? Une simple réduction en pourcentage des additifs nitrés, sans fixer d'objectif d'interdiction à moyen ni à long terme.

Que l'on ne se méprenne pas sur notre propos : nous ne souhaitons en aucun cas interdire la charcuterie, comme j'ai pu l'entendre dire au cours de nos auditions. Nous faisons suffisamment confiance à l'innovation, au sérieux des fabricants et à la capacité du Gouvernement à accompagner les filières pour faire émerger des alternatives crédibles et savoureuses. Par ailleurs, nous avons prévu d'interdire l'importation de produits nitrés pour éviter la concurrence déloyale. J'en appelle à votre responsabilité sur un sujet essentiel pour la santé des Français et qui nécessite une action ferme.

En élaborant notre proposition de loi, nous avons cherché à couvrir tous les aspects de l'alimentation : accessibilité, durabilité, qualité. Je n'apprendrai à personne que les contraintes d'une niche parlementaire empêchent d'entrer dans la nuance. Il y aurait en effet tant à faire sur la formation des chefs, sur la publicité, sur l'étiquetage et sur la chaîne de valeur, ainsi que sur un projet qui tient à cœur aux écologistes – la sécurité sociale de l'alimentation ! Nous avons choisi les mesures qui nous semblaient les plus efficaces et les mieux étayées par un consensus scientifique et citoyen. Il ne tient qu'à vous de leur donner vie.

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