Il me semble difficile de qualifier de néolibéral le projet politique européen, alors que l'Union a investi 750 milliards d'euros pour nous protéger face aux conséquences du covid et éviter une vague de faillites et de licenciements. Un projet qui se traduit par l'émission d'une dette commune – grâce, soit dit en passant, à l'impulsion de la France et du Président de la République – n'est pas un projet néolibéral. Si on avait suivi une logique néolibérale, on aurait laissé chaque État se débrouiller seul.
L'Europe a enfin accompli sa révolution copernicienne, même si cela arrive peut-être un peu tard et sous une forme un peu complexe – nous essayons de simplifier les choses. Elle a compris que les pouvoirs publics avaient un rôle à jouer dans l'économie, et que, à côté des règles de marché et de financement, l'économie devait servir un projet politique. Si l'on croit – ce qui est mon cas – que la décarbonation est la priorité absolue de l'économie européenne, il faut s'en donner les moyens et permettre l'octroi de subventions et d'aides d'État, ainsi que l'application d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, afin de protéger – je n'hésite pas à employer le mot – le développement des filières industrielles vertes sur le sol européen. C'est là un projet, non pas néolibéral, mais d'économie politique au sens le plus noble du terme. Je souhaite que, sur tous ces sujets, nous allions encore plus loin, et c'est l'objet du projet de loi « industrie verte » que j'espère vous présenter dans quelques semaines.
On ne peut pas davantage parler de politique d'austérité au sujet des règles adaptées du PSC dans un pays où les dépenses publiques représentent 58 % de la richesse nationale – ou alors, c'est une austérité coûteuse. À la vérité, c'est moins du libéralisme que de la libéralité. Si encore nos compatriotes en avaient pour leur argent et trouvaient que nos services publics fonctionnent remarquablement bien… Ce n'est pas le cas, et c'est pourquoi nous devons tous faire mieux avec une dépense publique plus raisonnable et plus efficace, qu'il me paraît souhaitable de ramener à un étiage de l'ordre de 54 % du PIB.
S'agissant des objectifs budgétaires, le critère qui sera maintenu comme mordant est celui des 3 %. Les 60 % restent inscrits dans le traité mais ne sont qu'un objectif et plus un critère mordant. La règle du vingtième, qui était totalement inadaptée, sera supprimée. Selon cette règle, les États membres de la zone euro devaient réduire chaque année d'un vingtième l'écart entre l'objectif cible de 60 % et leur niveau d'endettement public. Ainsi, la France, dont l'écart est de l'ordre de 55 points, aurait dû réduire de près de 3 % sa dette publique chaque année, ce qui représente des dizaines de milliards d'économies annuelles. Pour le coup, cela aurait été une politique d'austérité et une stratégie totalement inappropriée, car elle aurait cassé la croissance. Des principes trop stricts, éloignés de la réalité budgétaire des États membres de la zone euro sont inefficaces. Nous avons besoin de règles pragmatiques, incitatives, contrôlées, qui permettent à chaque État membre de réduire de manière raisonnable ses déficits et sa dette.
Pour ce qui est des sanctions financières, nous en avons réduit le montant, là aussi par pragmatisme. Pouvoir étendre de 4 à 7 ans la période d'ajustement en fonction de son niveau d'investissement est une bonne chose pour les États membres.
Personne en Europe, ni la Commission ni les autres États membres de la zone euro, ne nous a imposé une réforme des retraites. C'est un choix souverain. Nous sommes arrivés à un moment de vérité : si nous voulons rétablir nos comptes publics, il faut nous assurer que les grands équilibres de nos comptes sociaux sont préservés. Notre réforme des retraites permet de garantir l'équilibre financier en 2030. Elle doit nous permettre aussi, car c'est notre objectif politique à long terme, d'avoir une France plus productive, c'est-à-dire une France où il y a plus de travail collectif, moins de chômage grâce aux mesures structurelles que nous avons prises pour inciter au retour à l'emploi, et une productivité accrue – cette dernière n'est plus l'atout compétitif qu'elle a pu être par rapport aux autres États européens il y a quelques décennies. Si nous voulons accroître notre productivité, il nous faut développer l'innovation et élever le niveau de qualification et de formation. Pour moi, l'éducation et la formation sont les sujets économiques majeurs.
J'en viens à la clause de substance prévue dans le pilier 2. Cette fameuse disposition de carve out donne la possibilité de déduire du bénéfice imposable retenu pour le calcul de l'impôt minimum un pourcentage de la masse salariale et des actifs corporels de l'entreprise – terrains, usines, propriétés, ressources naturelles. Clairement, nous aurions voulu éviter cette clause mais elle constituait la garantie du soutien de certains grands États comme la Chine, qui dispose d'une base industrielle importante. Elle présente toutefois une certaine cohérence avec l'objectif de la réforme puisqu'elle favorisera les États où l'activité économique est réelle, avec des travailleurs, des bâtiments, des machines, des usines… Ce sera une incitation à la relocalisation industrielle et le moyen de distinguer les États qui, telle la France, veulent relocaliser la production industrielle dans leur territoire, des États où les entreprises transfèrent leurs bénéfices sans substance, à l'image des paradis fiscaux que vous avez mentionnés.
Par ailleurs, avant de conclure un nouvel accord de libre-échange, nous veillons à ce que nos intérêts, en particulier agricoles, ne soient pas menacés.
Monsieur le rapporteur général, nous nous réjouissons que, dans le cadre de la réforme du PSC, notre proposition d'agréger les dépenses primaires nettes ait été retenue. Cela permettra de piloter la trajectoire budgétaire à l'aide d'un agrégat nouveau représentant la croissance des dépenses nettes des mesures nouvelles en recettes et excluant les intérêts et les dépenses cycliques d'assurance chômage. Cela participera à la simplification du cadre budgétaire. Nous n'aurons plus besoin de recourir à des variables non observables et souvent révisées, comme la croissance potentielle, sur laquelle personne n'arrive à se mettre d'accord.
Je suis évidemment favorable au renforcement du budget vert de l'Union. La clause d'investissement prévue dans le nouveau PSC doit nous permettre d'accroître et d'accélérer le verdissement du budget de l'Union.
Le critère des 60 % demeurera dans le traité, car sa modification serait un processus trop lourd. Nous avons besoin d'un nouveau PSC avant la fin 2023, qui puisse s'appliquer en 2025 – il y aura une période de transition –, mais seule la règle des 3 % restera mordante, car c'est elle qui permettra d'amorcer la baisse de la part de la dette dans le PIB.