Votre présentation suscite de ma part de nombreuses réflexions.
On est toujours dans un système que je caractériserai comme néolibéral – d'aucuns diraient de politique de l'offre ou encore de réduction des dépenses publiques – qui, à chaque crise, doit être mis entre parenthèses parce qu'il n'est pas capable d'y faire face, alors même qu'il en est pour partie responsable. C'est ce qui s'est passé durant la crise des subprimes et celle du covid. Après, on essaie de le remettre sur les rails, comme si ces parenthèses ne devaient pas servir de leçon, c'est-à-dire qu'elles ne démontraient pas que le système n'était ni adapté ni nécessaire pour réussir la construction européenne.
Une autre chose m'inquiète : on part de l'idée que les crises sont derrière nous. Or je ne le crois pas. Je ne sais pas si la prochaine crise sera financière et bancaire, mais les nouvelles récentes venant de la situation de la Deutsche Bank en Allemagne me font craindre une épidémie.
Vous dites qu'il faut des règles – d'accord. Vous dites que les règles actuelles ne sont pas adaptées – d'accord également. Là où le bât blesse, c'est que vous nous décrivez un retour à une politique que je qualifierai d'austérité – vous récuserez le terme, je le sais –, liée au pacte de stabilité et de croissance. De plus, j'ai l'impression que votre description est light par rapport à ce qui va nous arriver : sur le papier, le mécanisme est beaucoup moins souple et laisse une place plus réduite aux souverainetés nationales pour adapter cette politique.
J'ai retenu de votre présentation que les pays européens disposeraient, à partir de 2023, de quatre années pour ramener le déficit public à 3 % et la part de la dette rapportée au PIB à 60 %, et de trois années supplémentaires si des facteurs conjoncturels intervenaient. Quoi qu'il en soit, les États continueront à devoir atteindre ces objectifs. De plus, en contrepartie de ces « libéralités », les sanctions seront beaucoup plus strictes et systématiques. J'aimerais que vous nous en disiez davantage à ce propos. Vous avez reconnu vous-même avec honnêteté que la plupart des pays européens étaient à des années-lumière des 60 %. De fait, près du tiers des pays de la zone euro affichent un ratio supérieur à 100 %, et la moyenne se situe autour de 95 %.
Pouvez-vous donc nous préciser la portée exacte de ces mécanismes de sanction rénovés et les conséquences concrètes qu'ils pourraient avoir pour la France à brève échéance ? Que nous demande-t-on en échange de cette souplesse ? En dix ans, la Commission a demandé huit fois à la France de réformer son système de retraites. Voilà qui permet de comprendre un peu mieux les raisons de la situation où nous sommes : la réforme en cours n'a pas grand-chose à voir avec l'équilibre du système, mais beaucoup avec les exigences de la Commission. Celle-ci a demandé 63 fois aux États européens de réduire les dépenses de santé et 139 fois de réformer leur système de retraite. Outre les sanctions, il y a donc les exigences. Comme vous le disiez – mais je ne le dis pas dans le même esprit –, la question n'est pas tant d'atteindre les 60 % que la tendance, c'est-à-dire les efforts que l'on demande, et qui sont toujours les mêmes, à savoir la réduction des dépenses publiques et de la dette.
À ce propos, je continue à m'interroger sur la politique qui a été menée s'agissant de la dette créée par le covid. Cette dette est spécifique ; elle a été rachetée par les banques centrales, ce qui veut dire qu'elle n'appartient pas au marché – elle est à nous. Je persiste donc à penser que, dès lors que nous ne faisions pas défaut sur les marchés, il aurait mieux valu annuler cette dette, comme ce fut le cas à certains moments exceptionnels de l'histoire, au lieu de se retrouver à traîner un fardeau imposant des politiques de baisse des dépenses publiques. Le fait que la Banque centrale européenne soit en train de revendre sur les marchés une part de ces dettes souveraines m'inquiète pour l'avenir, car cela nous place de nouveau entre leurs mains.
S'agissant de la souveraineté fiscale, elle me semble impliquer la lutte contre le moins-disant fiscal, qui appauvrit les États et se traduit par une augmentation des déficits. Tant qu'on ne caractérisera pas certains pays européens – je pense à l'Irlande, aux Pays-Bas, au Luxembourg et à Malte – comme des paradis fiscaux, j'ai du mal à comprendre comment nous allons régler le problème.
L'économiste Gabriel Zucman, que nous avons auditionné en commission des finances la semaine dernière, a souligné le risque que représente, pour la mise en œuvre du pilier 2, la clause de substance économique : elle pourrait conduire à ce que des entreprises délocalisent leur activité dans des pays qui conserveraient de faibles taux d'imposition pour échapper à l'imposition minimale. Ne faudrait-il pas limiter les effets de cette clause ?
Je suis heureux de vous entendre parler de relocalisation – ce n'est d'ailleurs pas la première fois que vous employez le mot –, mais je ne vois pas comment on pourra mener utilement une politique en ce sens dans un cadre européen caractérisé par le libre-échange généralisé et l'inégalité fiscale entre États, et quand, de surcroît, on continue à signer des accords de libre-échange avec tous les pays du monde. Sans protection, comment pourrons-nous redévelopper une industrie digne de ce nom ?