Je me suis posé la question lorsque l'accord a été publié. Le fait que la négociation ait été conduite dans un cadre fixé par l'État ne garantit pas, en soi, la conformité des principes posés au droit de la concurrence. Une certaine ambiguïté a parfois caractérisé, par le passé, ce genre de négociations paritaires car les entreprises négocient entre elles. Si on appliquait très strictement, et pour ainsi dire un peu bêtement, le droit de la concurrence, en particulier l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui interdit les ententes, ou l'article L. 420-1 du code de commerce, on pourrait qualifier ces accords d'ententes condamnables.
On doit distinguer, en l'occurrence, deux dimensions : la dimension horizontale, entre les plateformes ou les sociétés de taxis, et la dimension verticale, entre la plateforme et les travailleurs. Une négociation menée avec des travailleurs indépendants, qui sont aussi des entreprises individuelles, ne peut pas être appréciée de la même manière qu'une entente entre des acteurs commerciaux.
On s'est interrogé, en France comme à l'échelon communautaire, sur la qualification à donner, en droit de la concurrence, à des négociations impliquant, d'une part, plusieurs plateformes ou plusieurs entreprises employant des travailleurs indépendants, et, d'autre part, les travailleurs indépendants, qui sont aussi des entreprises individuelles. Au terme de discussions auxquelles a participé l'Autorité de la concurrence, un accord unanime, me semble-t-il, a été trouvé avec la Commission européenne pour considérer qu'on ne pouvait pas traiter ces accords comme des ententes classiques. En effet, les entrepreneurs individuels sont aussi des travailleurs, et il faut bien définir un cadre pour les relations sociales dans le secteur.
La Commission a adopté des « lignes directrices », à la rédaction desquelles l'Autorité de la concurrence a participé, « relatives à l'application du droit de la concurrence de l'Union européenne aux conventions collectives concernant les conditions de travail des travailleurs indépendants sans salariés ». Une proposition de directive du Parlement et du Conseil, qui établit une présomption de salariat des travailleurs des plateformes, est en cours d'examen. Il me paraît complètement justifié de sortir cette question du cadre du droit de la concurrence car il faut définir des règles régissant les relations sociales dans ce secteur. Une négociation, dans le cadre de l'Arpe, entre une ou plusieurs plateformes et les travailleurs indépendants, qui est assimilable à un accord collectif sectoriel, par exemple sur les conditions salariales, me paraît entrer pleinement dans le cadre des lignes directrices de la Commission. L'Autorité de la concurrence n'a pas eu à se prononcer sur le sujet, mais, à titre personnel, je considère que cela n'a rien de condamnable au regard du droit de la concurrence.
S'agissant des relations entre Uber et les sociétés de VTC, deux concepts pourraient éventuellement être convoqués. Le premier est l'abus de dépendance, qui implique toutefois une position dominante. Or, je ne sais pas si Uber est en position dominante ; il faudrait que l'on examine la question dans le détail. Sur le marché des transports de personnes sur réservation, Uber est concurrent de grandes entreprises de taxis, comme G7. Le deuxième concept est l'abus d'exploitation mais il n'a jamais été employé.
L'Autorité de la concurrence n'a jamais reçu de plainte dans le secteur des VTC. La seule décision contentieuse que j'ai identifiée concerne les taxis. L'Autorité a infligé en 2019 une amende de 75 000 euros à un groupement d'intérêt économique (GIE) de radiotaxis qui avait défini des motifs d'exclusion empêchant ses adhérents de développer, à titre personnel, une activité de « Loti » ou de VTC.