En effet, notre mission porte sur la gestion des cotisations sociales des salariés mais, aussi, des travailleurs indépendants et des micro-entrepreneurs, la lutte contre le travail dissimulé – dissimulation totale ou partielle d'activités salariées ou indépendantes – et la fausse sous-traitance – exercice sous statut de travailleur indépendant d'une activité relevant du salariat. Je précise que nos missions de contrôle ne couvrent pas toute la lutte contre le travail illégal, l'emploi d'étrangers sans titre, notamment, ne faisant pas partie des infractions que nous pouvons détecter et poursuivre, à la différence de l'Inspection du travail. Pour les plateformes numériques, il en est donc ainsi des livreurs ou des VTC qui seraient dans ce cas.
Nous exerçons cette activité de contrôle dans les Urssaf régionales avec des inspecteurs spécialisés dans la lutte contre le travail illégal et avec l'appui d'inspecteurs réalisant d'autres missions de contrôle comptable d'assiette ainsi que de contrôleurs qui réalisent des investigations sur pièces.
Les actions de lutte contre le travail illégal ont un volet civil – redressement à l'encontre de l'entreprise visant à lui demander les cotisations sociales dues et, éventuellement, des majorations en cas de travail dissimulé – et un volet pénal, qui donne lieu à un procès-verbal transmis au parquet. Elles ont une dimension très largement partenariale puisque nous travaillons avec les parquets, l'Inspection du travail et l'Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI).
Dans l'économie des plateformes, deux situations de fraude aux cotisations peuvent se présenter. Tout d'abord, la dissimulation partielle ou totale d'activités indépendantes où, par exemple, un micro-entrepreneur ne déclare pas, ou pas totalement, son chiffre d'affaires. Ensuite, la fausse sous-traitance, où des personnes exercent sous un statut d'autoentrepreneur ou de travailleur indépendant classique alors que leur situation relève in fine du salariat. Ce type de fraude existait bien avant le déploiement des plateformes et existe en dehors de celles-ci, mais les plateformes leur ont peut-être donné un caractère plus massif.
Depuis 2019, notre principale source réside dans la transmission des données des plateformes, celles-ci étant obligées de nous fournir les seules données d'activités qui dépassent 3 000 euros annuels de chiffre d'affaires et lorsqu'un utilisateur a réalisé au moins vingt transactions dans l'année. Nous avons opéré des rapprochements entre ce que les plateformes nous transmettent au titre du chiffre d'affaires d'un certain nombre de personnes et les données dont nous disposons s'agissant des chiffres d'affaires déclarés par les microentrepreneurs, mais ces évaluations sont minimales.
Tout d'abord, nous les réalisons à partir des chiffres d'affaires des personnes que les plateformes identifient comme ayant une activité économique, ce qui n'est pas le cas de toutes, certaines étant identifiées – d'ailleurs parfois à raison – comme des personnes physiques sans activité économique. Un comptoir de plateforme est en effet un support technique qui renvoie à des activités très différentes : livraisons et VTC, certes, mais aussi ventes et ventes d'occasions entre particuliers. Il est donc difficile de faire la part entre ce qui relève véritablement d'activités économiques et de transactions entre particuliers qui n'ont pas vraiment de caractère économique. Une part importante des utilisateurs des plateformes est identifiée comme personnes physiques sans que l'on puisse être parfaitement assuré de la précision d'une telle caractérisation.
Ensuite, les données transmises par certaines plateformes sont partielles ou lacunaires.
Enfin, la comparaison entre les données des plateformes et les chiffres d'affaires déclarés par des autoentrepreneurs ne permet pas de savoir si l'ensemble des revenus de ces derniers est issu de la plateforme ou s'ils ont d'autres sources de revenus. J'insiste donc sur le caractère minimal de ces évaluations.
En 2021, nous avons évalué le chiffre d'affaires réalisé par des personnes inscrites comme autoentrepreneurs sur des plateformes à un peu plus de 1,4 milliard d'euros ; 200 000 microentrepreneurs sont concernés, dont 70 % travaillent dans les secteurs de la livraison et des VTC. La comparaison avec les chiffres d'affaires qu'ils déclarent montre qu'un peu plus de 800 millions de chiffre d'affaires n'est pas déclaré, soit plus de 40 %, étant entendu que ces chiffres sont plus élevés dans les secteurs des livraisons et des VTC. Deux tiers de ces 200 000 microentrepreneurs ne déclarent pas tout leur chiffre d'affaires. La perte de cotisations est évaluée à 144 millions d'euros. À nouveau, j'insiste sur le caractère minimal de ces évaluations compte tenu des limites des données transmises.
Nous n'avons pas de chiffrages « macro » en matière de fausse sous-traitance. La requalification en salariat doit être en effet appréciée à partir d'une analyse très précise des conditions concrètes de fonctionnement de la plateforme et des relations entre celle-ci et les travailleurs, laquelle ne peut se faire que dans le cadre d'un contrôle sur pièces et sur place. Les magistrats de la Cour de cassation, que vous avez auditionnés, ont beaucoup insisté sur le fait que la requalification doit reposer sur des analyses au cas par cas, plateforme par plateforme, voire sur l'évolution des relations entre la plateforme et les travailleurs.
Depuis 2015, treize contrôles de plateformes numériques ont été réalisés ou sont en cours. Un certain nombre d'entre eux sont effectués en partenariat avec l'inspection du travail et/ou l'OCLTI. Dans la plupart des cas, il s'agit de contrôles longs et complexes car ils supposent de recueillir des éléments probants, ce qui implique notamment des auditions d'un certain nombre de travailleurs pour pouvoir apprécier les conditions concrètes des relations avec la plateforme. Une éventuelle requalification suppose de pouvoir établir le triptyque « directives, contrôles et sanctions », ce qui exige le recueil de témoignages, d'échanges et de documents produits par les plateformes elles-mêmes.
Le contrôle d'Uber, en 2015, a reposé sur des auditions de chauffeurs et sur un certain nombre de pièces récupérées auprès de la société. Ces éléments ont amené l'Urssaf à requalifier la relation entre celle-ci et les chauffeurs en salariat pour la période allant du 1er janvier 2012 au 30 juin 2013. Cela s'est traduit par une lettre d'observation adressée à la société en septembre 2015 et une mise en demeure en février 2016, pour un montant de près de 5 millions d'euros. L'entreprise a fait un recours devant le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS), qui a rendu une décision défavorable pour l'Urssaf fin 2016 pour des motifs formels. Nous avons fait appel de cette décision et, en avril 2021, la Cour d'appel de Paris a annulé la mise en demeure, donc le contrôle, là encore pour un motif formel, la mise en demeure ne comportant pas de manière expresse la mention du délai imparti de trente jours donné à l'entreprise pour régulariser sa situation et se contentant de faire référence à l'article du code de la sécurité sociale fixant ce délai. Cette décision n'est pas isolée et traduit une exigence croissante des juges quant au formalisme des opérations de contrôle, notamment des mises en demeure. La Cour de cassation a confirmé ce motif formel, ce qui a entraîné la clôture de cette opération de contrôle et du contentieux.
Nous organisons les contrôles en fonction des risques de fraude appréciés à partir d'outils de data mining, de croisements de données et de l'identification de secteurs à risques – dont les plateformes –, qui font l'objet de partage entre la caisse nationale de l'Urssaf et son réseau. En raison de la complexité juridique de ces contrôles et des contentieux potentiels auxquels ils peuvent donner lieu, ils font l'objet d'un suivi particulier. Comme pour la fraude au détachement, nous avons souhaité un suivi national renforcé des opérations de contrôle en cours afin de disposer de visibilité, de pouvoir partager les réflexions, les bonnes pratiques, l'approche, la doctrine entre les différentes équipes de contrôle en région. Nous soutenons ainsi nos équipes régionales pour la sécurisation de leurs opérations de contrôle tant il est parfois difficile d'appréhender le droit, des éléments de preuve pouvant être de surcroît remis en cause devant les juridictions. Nous faisons en sorte que les contrôles soient le moins possible susceptibles d'être remis en cause par le juge.