Il y a un an, rien ne laissait présager ma présence devant vous aujourd'hui. Je ne siégeais pas sur les bancs de l'Assemblée, mais j'avais face à moi une trentaine de jeunes élèves, assis sur les bancs de l'école. Souvent, on me demande par curiosité comment je vis ce changement. Comme vous l'imaginez, il n'est pas facile de passer d'un univers professionnel où il nous appartient de transmettre des savoirs et d'éveiller les curiosités, à un mandat d'élu où nous avons la merveilleuse responsabilité de porter la voix de ceux qui nous ont fait confiance.
En préparant la présente discussion générale, je me suis souvent demandé comment auraient réagi mes élèves aux trois articles de la proposition de loi. J'ai la profonde conviction qu'aucun ne se serait opposé à la mise en place d'une aide alimentaire pour les plus fragiles, ni à une solution permettant de mieux manger à la cantine tout en protégeant la planète, et qu'il leur aurait paru inacceptable de laisser leurs camarades s'empoisonner avec des additifs cancérigènes. Que se passe-t-il donc quand on devient adulte ? Comment expliquer que l'on s'oppose à ces propositions, qui relèvent pourtant du bon sens ? C'est tout simple : les enfants sont capables de comprendre simplement ce que nous, les adultes, voyons à travers de multiples filtres qui obscurcissent notre jugement. Ce matin, pourtant, de nombreux adultes vont jouer à un jeu d'enfant : Jacques a dit : « Votez contre la prime alimentation ! » Jacques a dit : « N'améliorez pas le contenu de l'assiette des enfants ! » Jacques a dit : « Fermez les yeux sur les additifs cancérigènes ! » Par cette proposition de loi, les écologistes vous mettent face à vos responsabilités d'adultes. Je vous demande d'aborder l'examen des trois articles de la proposition de loi avec votre regard de législateur, qui vous engage et vous oblige.
Il y a trente-huit ans, Michel Colucci, dit Coluche, a eu, comme il le disait, « une petite idée » : récupérer des invendus alimentaires pour distribuer 2 000 à 3 000 repas par jour à ceux qui ne peuvent plus manger à leur faim, pour aider ceux qu'il appelait « les nouveaux pauvres » ; dix-huit villes avaient répondu à l'appel. Aujourd'hui, c'est-à-dire trente-huit ans plus tard, les Restos du cœur distribuent près de 400 000 repas par jour ; aux « nouveaux pauvres » d'hier en ont succédé d'autres, comme si la misère ne cessait de dévoiler de nouveaux visages. Coluche disait : « On est dans le pays de la bouffe et de la gastronomie, ce n'est pas ici que les gens vont mourir de faim ! » Pourtant, c'est bien ici que des gens ont faim, autour de nous, dans nos circonscriptions, partout dans le territoire, et de plus en plus.
Je citerai quelques chiffres, même s'ils ne sauraient remplacer l'expérience douloureuse et angoissante de la précarité, que certains d'entre vous soupçonnent à peine, ou pire, feignent de ne pas voir : 8 millions de Français sont en situation de précarité alimentaire avérée, et un Français sur cinq saute au moins un repas par jour. En mars, le prix des produits alimentaires avait crû de 15,8 % par rapport à l'année précédente, hausse inédite depuis les années 1980. Il serait illusoire de croire qu'une baisse de l'inflation résoudrait tous les problèmes par magie, tant l'insécurité alimentaire est devenue un fait structurel.
Que faire ? Personne, ici, ne peut se satisfaire de formules grandiloquentes et d'effets d'annonce. Nous devons trouver une issue rapide à l'urgence alimentaire. Toutes les associations que j'ai auditionnées m'ont fait part de leur inquiétude face à l'inaction du Gouvernement. Concéder 2 euros par personne et par an pour répondre à l'urgence de l'insécurité alimentaire, comme l'a proposé la majorité, est tout simplement indécent ! Votre main n'a pas tremblé lorsqu'il s'est agi de protéger les Français face à la hausse du prix de l'énergie : vous êtes donc parfaitement capables de faire de même ici.
Les écologistes vous proposent une solution simple, efficace et faisant consensus parmi les acteurs de terrain : une prime de 50 euros par mois versée automatiquement aux ménages les plus précaires. Certains de nos collègues ont exprimé le souhait de flécher cette prime vers des produits durables. L'idée peut paraître louable, mais elle retarderait le déploiement du dispositif – le Gouvernement le sait pertinemment, puisque ces difficultés ont été recensées dans un rapport qu'il n'a jamais daigné remettre au Parlement. Nous ne pouvons plus décemment répondre aux Français qui ont faim : « Patience, un comité se réunira ! »
Une deuxième piste essentielle pour permettre aux Français de mieux manger réside dans la végétalisation accélérée de nos assiettes. Je tiens à dissiper d'emblée un malentendu qui s'est fait jour en commission : il n'est pas question d'imposer un quelconque régime alimentaire aux enfants – pour ne rien vous cacher, je ne suis d'ailleurs pas végétarienne. En revanche, nous souhaitons amplifier la part des protéines végétales, des fruits et des légumes dans l'alimentation, pour des raisons sanitaires et environnementales qui ne sont plus à démontrer. Sauf si nous versons dans l'idéologie et la mauvaise foi, il semble anachronique de s'opposer à des mesures permettant de réduire la consommation de viande : certains n'ont pourtant pas hésité à le faire en commission, faisant fi de la science par simple idéologie. La mesure que nous proposons est plébiscitée par les Français. Le baromètre du Réseau action climat paru mardi le confirme : 80 % des Français sont favorables à l'obligation d'instaurer un deuxième menu végétarien ou une option végétarienne quotidienne dans les cantines scolaires.
Mieux manger, enfin, c'est limiter les risques sanitaires qui pèsent sur l'alimentation. Malgré l'existence d'éléments scientifiques robustes relatifs aux risques de cancer, qui plaident pour l'interdiction des additifs nitrés dans la charcuterie, le Gouvernement semble avoir adopté une stratégie de fuite, remettant sans cesse à plus tard l'interdiction ferme. J'avoue ma surprise d'avoir constaté avant l'examen du texte en commission, lors d'une simple visite sur le site du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, que le Gouvernement venait de publier son plan en catimini – peut-être avait-il conscience de la faiblesse de ses mesures. Comment peut-on se contenter de demander aux entreprises de s'autoréguler concernant un enjeu de santé aussi fondamental ? Comment peut-on qualifier un plan d'ambitieux, quand il privilégie la protection de l'industrie plutôt que celle des consommateurs ? Comme l'a réaffirmé récemment la Ligue contre le cancer, il n'y a pas de dose acceptable, à plus forte raison lorsque 4 000 cancers par an peuvent être évités.