Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie à mon tour de votre invitation, tant la scolarisation de tous les enfants constitue un enjeu majeur de société et un sujet de préoccupation que je sais que nous partageons. Comme vous le savez, le Défenseur des droits, autorité administrative indépendante à valeur constitutionnelle, veille au respect de nos droits et libertés par les institutions. Depuis trois ans que j'occupe auprès de Claire Hédon le poste de Défenseur des enfants, 30 % des 10 000 saisines relevant de mes compétences ont concerné des atteintes au droit constitutionnel à l'éducation, et la grande majorité de celles-ci avaient trait aux difficultés suscitées par le virage inclusif. Force est de constater que l'inclusion se traduit parfois par l'exclusion.
Mmes Sarrasin et Battut ont très justement fait écho à la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances et à celle du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance : je rappellerai pour ma part que nous fêterons en 2024 les cent ans de la Déclaration de Genève sur les droits de l'enfant, texte fondateur qui inspira la Convention internationale des droits de l'enfant (Cide) de 1989. L'article 23 commence comme suit : « Les États parties reconnaissent que les enfants mentalement ou physiquement handicapés doivent mener une vie pleine et décente, dans des conditions qui garantissent leur dignité, favorisent leur autonomie et facilitent leur participation active à la vie de la collectivité. »
S'agissant d'atteintes au droit à l'éducation des enfants handicapés, les saisines que nous recevons ont des motifs variés : des MDPH dont les décisions ne sont pas appliquées faute de moyens, d'autres qui s'adaptent à la pénurie en décidant d'un temps de scolarité ou de modalités d'accompagnement insuffisants qui, d'emblée, ne correspondent ni aux besoins ni à la sécurité de l'enfant ; des ruptures de parcours non seulement entre maternelle et primaire, primaire et secondaire, mais aussi entre le temps scolaire et le temps périscolaire – notamment celui de la cantine –, qui en est pourtant le corollaire obligé ; des AESH manquants, non associés aux équipes de coordination, ou affectés en vertu d'une logique purement gestionnaire. Les conséquences sur les enfants sont multiples : nous ne savons même pas combien ne sont pas scolarisés. Pour eux, pour leur famille, qui se retrouvent sans solution, les termes de Pial, de GOS – groupe opérationnel de synthèse –, de PAG – plan d'accompagnement global –, d'Emas – équipe mobile d'appui médico-social à la scolarisation –, de PPS – projet personnalisé de scolarisation – ou de PPA – projet personnalisé d'accompagnement –, sonnent creux.
Scolarité à temps partiel, absence de réponse à leurs besoins, défaut d'accompagnement individualisé par méconnaissance ou défaut d'identification de leurs besoins : ces manques suscitent chez ces enfants une forte insécurité et une grande souffrance, dont les adultes interprètent les manifestations comme autant d'agressions à leur encontre. Si, ces dernières années, le nombre d'enfants handicapés scolarisés n'a fait que croître – ils sont désormais 430 000 –, les conditions de cette scolarisation révèlent que l'école inclusive leur demeure souvent inaccessible et que la société ne leur accorde toujours pas le statut d'élève, en dépit des 4 000 AESH – ce qui porte leurs effectifs à 130 000 – et des 300 Ulis supplémentaires.
Ainsi, bien que de nouveaux recrutements d'AESH aient lieu chaque année, les difficultés perdurent. Il existe aujourd'hui, dans la façon dont l'école est pensée, de nombreux freins à l'inclusion scolaire – j'y reviendrai. La question doit donc être appréhendée de manière plus large et interroger le mode d'inclusion.
Je conclurai en rappelant trois grands principes. D'abord, la construction d'un environnement inclusif constitue le préalable à la scolarité de tous les enfants, dont ceux en situation de handicap : c'est à l'école de s'adapter et non l'inverse. Deuxième principe : il faut garantir le droit à l'éducation sur la base de l'égalité des chances et de la non-discrimination. Enfin, l'accompagnement humain doit être repensé au service de l'enfant : l'inclusion ne doit pas être appréhendée uniquement sous l'angle de l'accompagnement humain mais, lorsqu'il est nécessaire, cet accompagnement doit être adapté aux besoins de l'enfant.
De 2020 à 2022, le nombre de saisines du Défenseur des droits est passé de 100 000 à 126 000 par an, soit une augmentation de 26 000 en deux ans. Nous pourrions penser que cette augmentation est due au fait que le Défenseur des droits est davantage connu depuis l'arrivée de Claire Hédon, mais ce sont clairement les difficultés de nos concitoyens dans leurs relations avec les services publics qui en sont à l'origine.