Créé en vue de défendre le droit à l'instruction de tous les enfants du Val-de-Marne, le collectif Parents du 94 est lui-même constitué de collectifs de membres de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE) ou de parents indépendants, entre autres le collectif de familles d'enfants et d'adolescents handicapés que je préside. Ensemble, nous effaçons la frontière qui sépare habituellement la défense de ces derniers de celle des autres élèves. Souhaitant une école qui ne laisse pas de côté les enfants fragilisés, que leurs difficultés soient scolaires, sociales, économiques ou liées à un handicap, nous collaborons avec le collectif Une école inclusive pour tous – reçu mercredi dernier à l'Assemblée nationale – et nous partageons avec celui-ci l'espoir de faire de l'école inclusive la grande cause nationale de l'année 2024.
Un enfant handicapé peut se trouver dans trois cas de figure : être accueilli à l'école, au sein d'une classe ordinaire ou d'une unité localisée pour l'inclusion scolaire (Ulis), le plus souvent à temps partiel et dans des conditions très dégradées, faute d'accompagnement adapté ; être orienté vers le secteur médico-social, où les places manquent, d'où de longues listes d'attente ; à défaut, rester à la maison, déscolarisé, désocialisé, avec le drame humain et financier que cette situation représente pour les familles, en particulier pour les mères. Je vous propose donc, en vue d'une école inclusive, de suivre trois boussoles.
La première consisterait à ce que l'école ne laisse personne en dehors de l'instruction. Selon la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), notre département compte 13 704 enfants et adolescents porteurs d'un handicap : 56 % sont scolarisés, 12 % pris en charge au sein d'un établissement sanitaire ou médico-social, 32 % – presque un tiers – ne sont accueillis nulle part. En l'état actuel des choses, en cas de notification d'orientation en institut médico-éducatif (IME) ou en institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (Itep), une fois sur deux vous ne trouvez aucune place – sauf si vous partez en Belgique. Ce ne sont pas là des faits marginaux, mais des réalités vécues massivement ! Nous ne sommes pas des faits divers. Les MDPH le savent bien, qui, dans le cadre du dispositif Une réponse accompagnée pour tous, et pour se conformer à l'impératif « zéro sans solution » énoncé par le rapport Piveteau, ont été forcées de créer des commissions de priorisation afin qu'un éducateur vienne assister durant une heure les enfants laissés chez eux. Pendant ce temps, les agences régionales de santé (ARS) ont inventé de convertir en offre de séjour « de répit » les places pérennes en IME, dont le manque atteignait déjà des proportions dramatiques !
La deuxième boussole tendrait à ce que l'école donne accès à une instruction effective. Au sein des établissements scolaires comme des IME, le temps partiel est imposé d'emblée. L'académie compte ainsi qu'il faut 2 500 AESH pour 8 000 élèves, soit un AESH pour trois élèves, soit par élève, en moyenne, un tiers du temps de l'AESH : huit heures de cours, qui deviennent six heures lorsque seulement 1 895 AESH se présentent. Enfer des Pial, mutualisation à outrance, enseignant coordinateur d'Ulis ou d'UEMA – unités d'enseignement en maternelle – manquant ou muté, enfant exclu de la cantine, du domaine périscolaire, lorsque plusieurs administrations se renvoient la balle : tout cela débouche sur des maltraitances ou un retour à la maison, ce qui est insupportable, non seulement pour ces élèves et leur famille, mais aussi pour les AESH et les enseignants.
Chez ces derniers, le manque de moyens consacrés à l'inclusion scolaire est du reste l'une des principales causes de mal-être, d'épuisement professionnel ou de démission : encadrer une classe de trente enfants dont un ou deux requerraient un accompagnement individuel est tout bonnement impossible ! Sous l'impulsion de notre collectif, Mme Taillé-Polian, notre députée, organise à l'Assemblée, le 12 avril, une projection du documentaire de Julie Chauvin L'École est finie, au cours duquel le sujet de l'inclusion sera bien sûr abordé : j'espère que vous y serez.
Par ailleurs, les services d'éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad), les centres médico-psychologiques (CMP) ou médico-psycho-pédagogiques (CMPP) croulent sous les demandes, alors même que les listes d'attente sont arbitrairement closes lorsqu'elles atteignent le double de la file active. Le paradoxe est là : la mise en place de plateformes de dépistage précoce du handicap ou d'unités maternelles pour déboucher sur des listes d'attente !
La troisième et dernière boussole serait celle d'une école accessible, c'est-à-dire qui sache se remettre en question afin d'ouvrir l'accès au savoir et à l'envie d'apprendre. Dans ses conclusions, remises en avril dernier, la mission de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR), chargée de préparer l'acte II de l'école inclusive, admet la nécessité de « retrouver un équilibre entre compensation et accessibilité ». Or l'éducation nationale prétend définir seule la nature de l'accompagnement pour garantir l'égal accès, alors que l'accessibilité ne garantit pas l'égal accès et ne s'obtient pas uniquement par un accompagnement ! Il s'agit pour elle de se remettre en question pour adapter l'accès à chacun et composer avec les écarts au lieu de vouloir la norme pour tous. L'accessibilité de l'école dépendra de la formation des enseignants et des accompagnants, de la réduction draconienne du nombre d'élèves par classe, de l'ouverture à la singularité de l'enfant – ce qui nécessitera une véritable transformation et un continuum avec le domaine médico-social –, enfin d'une remise à plat des rôles et responsabilités des diverses administrations concernées à chacun de leurs niveaux.