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Intervention de Jean-François Carenco

Séance en hémicycle du lundi 3 avril 2023 à 16h00
Lutte contre le terrorisme d'extrême droite

Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer :

Cela n'est pas seulement vrai en France : c'est un phénomène mondial. Tout le monde a en tête les images de l'occupation des parlements américain et brésilien. Des romans d'anticipation imaginent d'ailleurs une prise de pouvoir de cette nature en France. Il nous faut donc lutter et répondre aux interrogations.

Bien évidemment, je ne me prononcerai pas sur les péripéties relatives à la proposition de loi pour dresser un état des lieux exhaustif de la menace terroriste d'extrême droite : l'Assemblée nationale est libre et je réponds humblement aux convocations.

Je répondrai à vos questions en donnant à la représentation nationale des éléments sur l'action de la République contre le terrorisme d'extrême droite – et le terrorisme tout court. J'ai été préfet pendant des décennies et je connais bien les risques auxquels répond notre stratégie de maintien de l'ordre. Aujourd'hui comme hier, il s'agit de combattre le terrorisme d'où qu'il vienne. Pour la République, la lutte contre le terrorisme, qu'il vienne de l'extrême gauche, de l'extrême droite, ou du djihad, est une même lutte contre la violence. Mais en l'espèce, nous abordons la question du terrorisme d'extrême droite.

Voici quelques premiers éléments. Dans le monde, la recrudescence d'un terrorisme d'extrême droite a marqué l'année 2022 aux États-Unis, en Argentine, en Slovaquie, au Royaume-Uni, en Espagne, en Australie, ainsi qu'en France. Je rappelle à cet égard que, le 23 décembre, un homme qui avait déjà attaqué un camp de migrants avec un sabre a été à l'origine d'une fusillade de masse contre la communauté kurde pour des motifs racistes. La violence du terrorisme d'extrême droite est peut-être moins destructrice de biens que d'autres types de terrorisme, mais elle poursuit souvent un but meurtrier.

Certains refusent de caractériser ces terroristes et préfèrent dire qu'il s'agit de fous, de dérangés psychiatriquement atteints. Ce n'est sans doute pas faux, mais il faut prendre au sérieux les mobiles qui ont poussé ces personnes à agir. Qu'il s'agisse de la théorie du grand remplacement, d'une conception ethnique de la nation, ou de la haine d'une partie de la population en raison de sa couleur de peau, de sa religion ou de ses origines, ces motifs relèvent bien d'une idéologie d'extrême droite – celles-là mêmes que nous espérions désormais impossibles. Ces idéologies ne sont pas mortes : elles sont même particulièrement vivantes sur notre territoire.

Cinq ans après le meurtre antisémite de Mireille Knoll à Paris, l'antisémitisme demeure à un niveau préoccupant. En 2022, 436 actes antisémites ont été recensés, dont plus de la moitié contre des personnes. Et d'après le rapport d'Europol sur le terrorisme, en 2021, la France a totalisé 45 % des interpellations relatives au terrorisme d'extrême droite en Europe.

Si le terrorisme djihadiste reste la principale menace, si le terrorisme d'extrême gauche existe aussi, il faut prendre conscience du danger que représentent ces guerriers autoproclamés de la race blanche. En France, sept personnes avaient été arrêtées en 2019 pour incitation à la haine raciale ou projet d'attentats ; deux ans plus tard, les forces de l'ordre en arrêtaient vingt-neuf grâce au travail du renseignement français mais aussi grâce à la coopération européenne sur ces sujets qui ne connaissent, malheureusement, pas de frontières.

Le rapport d'Europol considère aussi que l'accélérationnisme, défini par un potentiel important d'incitation à la violence – c'est ce qui nous menace le plus – et promettant l'action dans le but de préparer et de précipiter la guerre civile raciale, constitue une des idéologies les plus en vue en 2021, y compris dans les jeux vidéo. C'est l'illustration de la banalisation d'idées extrêmes sur le terreau favorable du terrorisme.

Je vais également répondre précisément aux questions qui nous ont été posées. Le ministère de l'intérieur a pris onze décrets de dissolution d'associations en conseil des ministres, tous validés par le Conseil d'État. Ils concernent notamment des groupes ou des groupuscules d'extrême droite comme Génération identitaire, l'Alvarium, Zouaves Paris et, très récemment, Bordeaux nationaliste.

L'ultradroite est un concept qui englobe l'ensemble des structures situées en dehors du champ républicain et démocratique, et caractérisées par une idéologie communautariste radicale. Ces structures gravitent autour de trois grands courants : identitaire, royaliste, nationaliste. À cela s'ajoutent des individus et structures imprégnés de thèses néopatriotes, suprémacistes, accélérationnistes, complotistes ou survivalistes. Au-delà de la grande diversité de ces courants idéologiques, la mouvance se rejoint sur le choix de ses cibles, et le degré de priorité varie selon l'idéologie : l'immigration extra-européenne, la communauté juive, la franc-maçonnerie, les militants de gauche, la communauté LGBT. Bien entendu, la République ne considère pas ces idéologies comme des opinions, mais comme des abominations susceptibles de poursuites pénales. Pour être plus précis, la mouvance d'ultradroite se compose d'environ 3 000 militants dont plus de 1 300 sont inscrits au fichier S.

On distingue deux types de risques : un projet d'action violente, fomenté par un groupe constitué, tel que la cellule Action des forces opérationnelles, qui voulait empoisonner de la nourriture halal en 2018 ; le basculement dans la violence d'un acteur isolé, radicalisé à partir d'une propagande violente consommée sur les réseaux sociaux, comme l'illustre le cas de ce militant d'ultradroite condamné à neuf ans de prison en janvier 2022 pour avoir voulu s'en prendre à la communauté juive en acquérant des armes. C'est ainsi que, depuis 2017, nous avons déjoué neuf attentats et que onze dossiers ont été judiciarisés pour terrorisme, conduisant à l'interpellation de soixante individus.

En outre, deux sujets retiennent particulièrement l'attention du ministère de l'intérieur, compte tenu de leur potentiel d'élévation de la menace. Premièrement, la présence d'un nombre significatif d'individus connus pour leur proximité avec l'ultradroite parmi les professions sensibles. Les forces armées et de sécurité disposent en effet de compétences liées aux armements, recherchées par la mouvance qui s'efforce de recruter activement parmi ces métiers, ou de les intégrer. L'exercice de ces professions soulève des enjeux majeurs en matière d'éthique et de sécurité, notamment du fait de l'infiltration d'institutions sensibles entraînant des vulnérabilités susceptibles de mettre en péril des opérations, ou d'attenter directement à la sûreté de l'État.

Deuxième sujet : les armes à feu, véritable obsession pour ces militants qui se préparent à la guerre civile et raciale, et indispensables à la panoplie du guerrier blanc. S'inspirant de la culture américaine, les militants s'attachent principalement à acquérir des armes de manière légale – permis de chasse, licences de tir sportif. Ainsi, en juillet 2022, on recensait près de 900 détenteurs d'armes à feu liés à la mouvance, dont près d'un tiers étaient fichés S. En outre, il convient de souligner l'intérêt de certains d'entre eux pour les armes artisanales et les explosifs.

En complément de l'entrave judiciaire, nous disposons d'un arsenal de mesures de police administrative pour contenir la menace : visites domiciliaires, inscription au fichier S des personnes interdites d'acquisition et de détention d'armes. Le recensement des individus d'ultradroite détenteurs d'armes, afin de procéder à des dessaisissements fondés sur leur dangerosité, est une priorité des services de l'État.

Mais pourquoi assiste-t-on à une telle montée en puissance de ce type de violence ? En France, le Centre d'analyse du terrorisme considère que ce regain s'explique à la fois par les nouveaux conflits extérieurs, par la montée en puissance de l'islamisme radical et par la persistance des violences envers les Juifs. Évidemment, la crise sanitaire a amplifié l'épidémie brune, notamment à cause des propos extrémistes de droite. Mais certains, reconnaissons-le, venaient aussi d'extrême gauche.

Au reste, les complotistes viennent d'un peu partout, et ils en ont profité pour diffuser de nouveaux sujets de propagande – théories du complot sur l'origine de la pandémie, désinformation sur le déploiement de la vaccination, allégations de surveillance de masse par les autorités. L'environnement en ligne joue un rôle clé, facilitant la radicalisation et la diffusion de propagandes terroristes et fédérant des groupes conséquents très rapidement autour d'infâmes projets – à l'instar de l'invasion du Capitole.

Pour combattre l'incitation à la haine des groupes d'extrême droite, le ministère de l'intérieur a renforcé sa présence en ligne grâce à des cyberpatrouilleurs et à l'action quotidienne de la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos), pour qui la lutte contre les contenus haineux a toujours constitué une priorité d'action.

Dès 2010, le rapport sur la lutte contre le racisme sur internet, remis au Premier ministre par le Forum des droits sur l'internet, estimait que Pharos est le pivot du dispositif, aussi bien pour la collecte de l'information et le déclenchement de la réponse publique que pour la mesure du phénomène raciste sur internet.

Depuis 2015, Pharos a mis en place une cellule spécialisée pour traiter les signalements et les procédures relatives aux contenus discriminatoires. Provocation à la haine, à la discrimination et à la violence, apologie de crimes de guerre ou apologie de crimes contre l'humanité, contestation de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité : en 2022, Pharos a traité plus de 15 000 signalements de contenus haineux. Après recoupements et une analyse juridique et opérationnelle, 2 387 contenus ont été transmis aux services de sécurité intérieure.

Si les attentats mortels d'extrême droite sont en légère baisse en Europe, ce n'est pas le cas aux États-Unis, même si l'on dénombre presque le même nombre d'attaques depuis 1990 – 227 aux États-Unis et 224 en Europe occidentale. Le bilan en termes de morts est bien plus lourd aux États-Unis, en partie du fait d'un accès plus facile aux armes à feu. Mais nous comptons le plus grand nombre de complots fomentés non par des individus isolés mais à plusieurs – qui représentaient 60 % des projets déjoués en 2021. Un tel phénomène traduit des intentions sérieuses et son effet d'entraînement peut contribuer à durcir l'idéologie. C'est pour cela que la République prend au sérieux les dérives sectaires et inclut dans sa lutte contre le terrorisme la lutte contre le séparatisme islamiste, mais aussi contre les phénomènes d'extrême droite.

Je l'ai déjà dit, la mouvance d'extrême droite est diverse. Nous surveillons des individus suivant une préparation à l'affrontement physique, par exemple contre les projets d'accueil de migrants ou les manifestants de gauche. Malgré les fermetures administratives, malgré l'action de l'État, malgré leur affaiblissement, de petits groupes se réunissent encore pour prôner la violence, sans compromis démocratique. Nos services de renseignement savent où, dans quel local, à quelle fréquence ; la République les surveille. Nous savons qu'ils entendent agresser des élus, des militants associatifs et des manifestants ; nous ne les laisserons pas faire. Nous essayons de les arrêter avant qu'ils agissent.

Dans le pays des droits de l'homme, l'État, le ministère de l'intérieur et les préfectures sont particulièrement vigilants à ce que chacun puisse vivre librement, quelles que soient son origine, sa religion, ses opinions publiques. Nous sommes mobilisés. Tout ce qui menace la République et la vie des citoyens, tous les terrorismes, doivent être traités de la même manière ; c'est le cas.

Pour conclure, en tant que ministre des outre-mer, vous me permettrez de citer un grand écrivain martiniquais, Patrick Chamoiseau : « La violence est un écosystème. Un équilibre à moitié clos, incertain, qui a besoin d'un oxygène particulier, et d'une spirale de conditions particulières. » Sans doute faut-il réfléchir davantage et comprendre pourquoi ce terrorisme se développe dans le monde. Il nous faut tous, intellectuels, sociologues, philosophes, parlementaires, associations, militants de tous les partis, essayer de répondre à cette question. Il nous faut donc travailler ensemble dans la sérénité, dans la complémentarité, dans la solidarité, comprendre, distinguer, reconnaître, frapper et, donc, surveiller, interpeller, dissoudre les organisations d'extrême droite qui prônent le terrorisme. Croyez-le – les réponses plus précises à vos questions le démontreront – c'est ce que l'État fait, sans faiblir.

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