Premièrement, il se trouve que les services secrets français ont sous-estimé le risque dans les années 2000. À partir de la scission du Front national, nous, chercheurs, avons été régulièrement sollicités pour savoir ce qui se passait dans les groupes d'extrême droite. Cela signifie grosso modo qu'un certain nombre de moyens ont alors été réorientés vers d'autres formes de terrorisme, notamment le terrorisme djihadiste, dont il a été question. Peut-être a-t-on déshabillé Paul pour habiller Pierre.
Dans les années 1970 et 1980, ces groupuscules étaient régulièrement infiltrés par des agents des services secrets ; cela n'était plus forcément le cas dans les années 2000 et 2010. Il y a donc eu un retard dans la prise de conscience du risque, notamment en raison du peu de moyens consacrés à ce phénomène.
Deuxièmement, ce type de terrorisme est consubstantiel aux sociétés occidentales. Je rappelle en effet que la plupart des pays d'Europe se sont constitués, dans l'après-guerre, sur la base de réseaux d'extrême droite censés se réveiller en cas d'invasion soviétique. Je pense, par exemple, au réseau Gladio en Italie et à d'autres, en Belgique notamment : à l'étranger, où j'ai fait mes études, nous en parlions beaucoup plus qu'en France. La mentalité de la guerre froide est encore, dans une certaine mesure, présente, et elle n'est pas forcément vue par l'ensemble des dirigeants français comme un moment de l'histoire dont il faut sortir pour identifier les nouvelles menaces.
Ces nouvelles menaces, c'est le problème des services de sécurité et des chercheurs. Je vous ferai remarquer qu'en France, quasiment aucun chercheur n'est payé pour travailler sur l'ultradroite. Il y a clairement un manque de moyens.