Je vais tenter de dresser, en quelques minutes, un tableau général de ce que j'appelle les ultradroites ou l'extrême droite dangereuse, qui ne correspond pas à l'extrême droite politique. Depuis quelques années, les ultradroites connaissent un regain d'activité et un regain d'intérêt de la part des services de sécurité et de quelques chercheurs, dont je fais partie.
Premièrement, je voudrais rappeler, de façon liminaire, que l'extrême droite représente un danger terroriste depuis la fin de la seconde guerre mondiale – même avant. Historiquement, l'ultradroite a une capacité à organiser des attentats ; on peut parler de terrorisme, puisque l'objectif était de terroriser une partie de la population. On se souvient des attentats terroristes perpétrés par le réseau Gladio en Italie, plus tard en France par l'OAS – Organisation armée secrète – et ces dernières années aux États-Unis, en Allemagne et un peu partout dans le monde. Depuis les années 1960, en France, le nombre de victimes est estimé à plus de cinquante. Pratiquement aucune autre force politique n'a connu ce même phénomène de terrorisme interne.
L'ultradroite présente une spécificité : l'action violente fait partie de son mode de fonctionnement et s'appuie sur des groupes spécifiquement créés à cette fin. On peut penser aux skinheads dans les années 1960 en Angleterre, ainsi qu'aux hooligans qui, aujourd'hui encore, en France, en Europe et dans le monde, s'entraînent à l'action violente dans plusieurs villes. Il y a une renaissance, notamment sur internet, des entraînements aux combats de rue et à d'autres types de combats. Les jeux vidéo sont également de plus en plus utilisés par l'ultradroite pour recruter et former des jeunes, comme l'avait fait l'armée des États-Unis dans les années 1970 et 1980. Le militarisme ambiant, ainsi qu'une forme de survivalisme – une relative nouveauté –, alimentent ce phénomène.
Deuxièmement, la galaxie de l'extrême droite est constituée de plusieurs entités : des ultras, des identitaires, des groupuscules et des mouvements. Pendant une période, le Front national de Jean-Marie Le Pen avait rassemblé cette galaxie – dont plusieurs groupuscules – et comptait environ une douzaine de tendances. Ce rassemblement avait pour conséquence que ces entités se tenaient à carreau. En 1999, une commission d'enquête parlementaire s'est penchée sur les agissements du service d'ordre du Front national, qui faisait la police en interne dans cette galaxie. Ce n'est plus le cas depuis la scission de 1999 et le départ, après l'arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti, d'identitaires et de catholiques traditionalistes, désormais plus autonomes et donc potentiellement plus dangereux.
Plus récemment, le mouvement Reconquête a eu un effet médiatique non négligeable, étudié par les scientifiques. Le projet de M. Le Gallou, que nous qualifierons de mégrétiste, consiste à rassembler les droites et les droites radicales ; il vise à réunir les catholiques traditionalistes et les identitaires, qui s'étaient retrouvés au moment de La Manif pour tous en 2013 – M. Zemmour étant la façade médiatique d'un phénomène plus large existant dans les rues.
Les groupes identitaires – Bloc identitaire et Génération identitaire notamment –, dont certains ont été dissous, les groupes historiques – Action française, Civitas et le parti nationaliste français et européen (PNFE), entre autres – et des groupuscules – le groupe union défense (GUD), les Zouaves Paris, Bastion social, etc. – sont présents dans plusieurs villes de France et incarnent une forme d'action. En 2013, La Manif pour tous a été le point de ralliement de plusieurs courants, qui pouvaient être considérés comme radicaux. Il convient donc d'opérer des distinctions entre des mouvements – tels que le Front national, le Rassemblement national et Reconquête –, des groupes identitaires, des groupes historiques et des groupuscules, dont certains connaissent une renaissance – sans jeu de mots.
Bien entendu, il existe des groupes dangereux ; selon les estimations des services de sécurité, ils sont constitués d'environ 1 000 personnes potentiellement dangereuses et 2 000 personnes en soutien. De nombreuses cellules ont existé ; certaines existent encore, parfois réduites à un individu. Ainsi, la presse a fait état des projets de l'Organisation des armées sociales (OAS), de l'Action des forces opérationnelles, des Barjols, etc. La situation n'a cependant rien à voir avec celle de l'Allemagne, qui compte environ 13 000 personnes considérées comme dangereuses. En France, 9 000 personnes sont fichées S pour radicalisation en lien avec l'islam.
Les liens internationaux entre ces entités ne sont pas négligeables et se sont développés depuis quelques années. Grâce notamment à l'intérêt suscité par ces entités sur internet, il existe désormais une internationale des nationalistes les plus actifs, les frontières étant aisément franchies. De nombreux groupes d'envergure internationale montrent un intérêt pour des groupuscules français ; on le voit très nettement dans le cadre de la recherche. Ainsi, l'alt-right trumpiste américaine a financé des groupuscules en Europe, notamment en France. Il existe aussi des liens avec des États à l'est de l'Europe : la Hongrie, mais également la Russie. Selon l'ONU, une internationale de l'autoritarisme, reliant plusieurs États, se dessine.