La stratégie qui consiste à donner de la voix aux opposants, ou du moins aux journalistes indépendants, que l'on ne doit pas confondre avec les opposants, a du sens. Nous y réfléchissons d'ailleurs en ce moment pour ce qui concerne la Russie. Je vous ai expliqué que nous avions obtenu du Conseil d'État qu'il demande à l'ARCOM le retrait de chaînes de propagande. Il est important, en effet, que la neutralité de certains acteurs ne soit pas instrumentalisée par des régimes despotiques.
Nous travaillons à la phase deux, qui tend à envoyer vers la Russie du journalisme russe indépendant en exil. Si nous voulons contourner les systèmes de censure, il faut trouver des moyens de donner au public russe un accès à de l'information indépendante.
Nous avons beaucoup travaillé sur un autre projet consistant à débloquer, partout dans le monde, la censure technologique dont certains sites font l'objet. Nous en avons débloqué quatre-vingts, dont vingt en Russie. Cette opération est technologiquement assez simple, juste un peu maligne. Il s'agit de créer des sites miroirs de médias indépendants et de les placer sur des serveurs dont les régimes despotiques ne peuvent pas se passer. Nous l'avons fait pour des chaînes européennes telles que France24, RFI et Deutsche Welle, mais aussi pour le site Meduza, exilé dans les pays baltes. Celui-ci s'est beaucoup développé depuis le début de la guerre en Ukraine. Son audience est si forte en Russie qu'il a reçu l'année dernière plus d'un milliard de requêtes uniques.
Nous développons ces stratégies car nous considérons que les démocraties ne doivent pas jouer uniquement en défense. En revanche, il ne me semble pas souhaitable d'établir une liste d'États dont les médias seraient par nature interdits, et ce pour deux raisons. D'abord, parce qu'un certain nombre de démocraties ont elles-mêmes eu recours à la propagande au cours de l'histoire. Je ne renvoie pas dos à dos les dictatures et les démocraties, mais les choses ne sont pas si simples. Ensuite, parce que les régimes despotiques peuvent tout à fait utiliser des médias à leur solde sans les déclarer comme tels. Dès lors, comment distinguer les uns et les autres ?
Nous avons donc besoin d'un système juridique qui dote les démocraties de capacités – éventuellement sous la forme d'une autorité administrative indépendante – permettant, d'une part, d'évaluer le contrôle de l'information, les violations de la liberté de la presse et l'ampleur des attaques de déstabilisation, et, d'autre part, d'ouvrir une discussion avec les pays concernés selon une logique d'ouverture réciproque. En gros, le discours doit être le suivant : « Si vous lancez des attaques informationnelles et restez fermés à nos médias, alors il est logique que nous appliquions une forme de réciprocité sur la base des principes universels. » La logique est celle de l'ouverture mais sans naïveté confondante.
Ce système, qui s'inspire notamment des mécanismes d'ajustement carbone aux frontières, doterait les démocraties d'outils juridiques permettant de prendre des mesures potentiellement significatives, mais dans le sens de l'ouverture mutuelle et de la fiabilité de l'information.