Notre organisation a pour objet la lutte contre la corruption et revêt une dimension internationale : nous sommes présents dans 110 pays, pour un total de 113 sections. La section française a été fondée en 1995 pour répondre aux enjeux de la transparence de la vie publique, de la lutte contre la corruption, de l'accompagnement des entreprises et des collectivités territoriales. Nous disposons d'un agrément, renouvelé tous les trois ans, auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et auprès du ministère de la justice pour exercer les droits de partie civile sur les infractions prévues à l'article 2-23 du code de procédure pénale.
L'objet de la commission d'enquête est vaste – il concerne tous les types d'ingérences – et inédit. Parmi les autres démocraties occidentales qui se sont intéressées à ce sujet, le Canada a adopté une méthode particulièrement intéressante : l'influence étrangère y est définie comme les activités influencées par l'étranger qui touchent le pays, sont préjudiciables à ses intérêts et de nature clandestine, trompeuse ou comportant des menaces envers quiconque. Toutes les pratiques d'ingérence étrangère ont été recensées : influencer, intimider, manipuler, interférer, corrompre, discréditer des personnes, des organismes ou des gouvernements, pour favoriser les intérêts d'un État étranger. L'accent a également été mis sur la dimension pédagogique – garantir la sincérité des scrutins – en direction de la population.
Parmi les différentes techniques – « e-citations », cultiver une relation, coercition, corruption, financement illégal, cyberattaques, désinformation, espionnage –, notre domaine de compétence est celui de la lutte contre la corruption. Nous combattons en effet toutes les formes d'influence indue, qui favorisent la corruption, nationale ou étrangère. Cette dernière peut provenir d'États amis ou hostiles – rarement des démocraties. Le scandale du Qatargate met en exergue l'existence de pratiques sortant de tout cadre : elles ne sont pas réductibles à un lobbying non contrôlé, mais à des pratiques corruptives réalisées à l'aide de liasses de billets.
Nous considérons que la lutte contre la corruption n'a pas pour finalité la seule moralisation de la vie publique ou la confiance dans la vie politique : elle répond à des enjeux de démocratie, de souveraineté et de sécurité nationale. La stratégie anticorruption de l'administration Biden, sortie en 2021, en témoigne parfaitement. La France a du retard sur ces questions : la transparence de la vie publique n'est passée au premier plan qu'en 2013, à la suite d'un scandale. Les lois pour la confiance dans la vie politique ont été promulguées en 2017. Vous avez entendu, à cet égard, les protagonistes de trois institutions majeures – l'Agence française anticorruption (AFA), la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), le parquet national financier (PNF) –, dont le rôle d'encadrement, de détection et de prévention de la corruption est essentiel. Je n'y reviens pas, mais je signale toutefois l'existence de limites budgétaires – l'AFA comme la magistrature manquent de moyens pour mener des enquêtes complexes – et politiques – l'État manque d'ambition en la matière, la mission confiée à l'AFA n'étant pas à la hauteur de l'enjeu, dans un contexte où les deux ministères de tutelle se parlent peu. Par ailleurs, le Quai d'Orsay dispose de sa propre stratégie au plan international.
Nous proposons notamment que la politique de lutte contre la corruption soit pilotée par le Premier ministre, avec un secrétariat confié à l'AFA, de façon à faire fonctionner l'ensemble des administrations qui concourent à la lutte contre la corruption. Il existe en effet un continuum entre la lutte contre la corruption, le blanchiment et la fraude fiscale : si beaucoup d'efforts ont été faits, il faut décloisonner l'actuel fonctionnement en silo. L'enjeu est de détecter les pratiques corruptrices des États étrangers : les montages sont souvent assez sophistiqués et nécessitent beaucoup d'échange d'informations, y compris au plan européen et international.
Le deuxième volet est celui de la fragilité du financement de la vie politique : certaines affaires emblématiques ont, par le passé, entaché le bon déroulement des campagnes présidentielles. Depuis 1988, la législation française a beaucoup progressé, en interdisant le financement par les personnes morales et en encadrant celui émanant des personnes physiques – plafonnement, conditions de nationalité ou de résidence. Encore faut-il que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) dispose des moyens juridiques, techniques, humains et de pouvoirs d'investigation suffisants. Toutes les conséquences de l'affaire Bygmalion n'ayant pas été tirées, un consensus s'est dégagé en faveur de l'indispensable réforme du système de contrôle du financement des campagnes présidentielles, afin de lutter contre la fraude.
À cet égard, nous formulons des propositions qui supposent une modification de l'article 4 de la Constitution. Peut-être trouveront-elles leur place dans la future réforme institutionnelle annoncée par le Président de la République. Elles visent notamment à avoir un droit de regard sur les dépenses, tout en établissant un lien entre les comptes de campagne des candidats et ceux des partis qui les soutiennent. Le sujet devra être traité, de façon à éviter qu'un candidat ne gagne l'élection présidentielle à l'issue d'un scrutin entaché, comme cela aurait pu être le cas pour Nicolas Sarkozy en 2012.
Nous proposons de donner à la CNCCFP la mission et les moyens de pratiquer un contrôle des dépenses et des recettes des candidats en continu et d'avoir accès aux comptes des mouvements et des partis politiques qui les soutiennent. Il serait également souhaitable d'organiser un débat sur le statut du chef de l'État : il est le seul dont l'élection, promulguée par le Conseil constitutionnel, ne soit pas susceptible d'être annulée. Enfin, nous préconisons de permettre aux associations de lutte contre la corruption de se porter partie civile dans les procédures ouvertes pour financement illégal de campagne électorale.
Le troisième volet concerne la poursuite des travaux en matière de déontologie et de transparence de la vie politique. À ce titre, le Parlement a instauré de nombreux dispositifs au cours du dernier quinquennat, que nous retraçons dans un rapport transmis aux groupes parlementaires au mois de juillet. L'encadrement des groupes d'amitié et les conditions dans lesquelles les voyages à l'étranger sont connus restent une zone d'ombre, et ces derniers, s'ils concernent un pays appelant une vigilance particulière, devraient recueillir l'avis préalable du déontologue de l'Assemblée nationale ou du comité de déontologie du Sénat.
Concernant l'exécutif, qui peut nettement progresser, cette responsabilité échoit à la Première ministre qui doit s'assurer du sérieux avec lequel sont remplies les obligations déclaratives par les membres du Gouvernement auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Nous proposons qu'un déontologue du Gouvernement puisse leur porter conseil. Ce rôle ne peut être assuré ni par le secrétariat général du Gouvernement ni par la HATVP, puisque celle-ci agit déjà en tant qu'organe de contrôle et s'exposerait alors à un risque de mélange des genres.
Les décrets de déport doivent être pris avant l'annonce de la constitution du Gouvernement, sur le fondement des réserves faites par la HATVP, actualisés en tant que de besoin et respectés. Les rendez-vous des ministres et de leur cabinet avec des représentants d'intérêts doivent être rendus publics et il nous faut rétablir la pratique de la démission d'un ministre en cas de mise en examen. Le volet russe de l'affaire Benalla ne doit pas être oublié, l'intéressé ayant déclaré au Sénat avoir pris part à la négociation de contrats de sécurité privée avec de fortunés ressortissants russes. Bien qu'il ne fasse plus partie de la sphère publique, cela illustre le besoin de contrôler le respect de la déontologie par les conseillers de l'exécutif.
Le Groupe d'États contre la corruption (GRECO) a par ailleurs rappelé ces éléments dans sa dernière évaluation de la France.
Le dernier volet concerne la mobilité entre les secteurs public et privé, dont l'encadrement s'est amélioré depuis la réforme de la fonction publique de 2019. La HATVP est compétente pour examiner celles concernant les anciens responsables exécutifs – à savoir les ministres et les exécutifs locaux –, les membres des autorités administratives indépendantes (AAI) à l'exclusion de leurs directeurs. Cela pose parfois un problème, comme le rappelle l'exemple d'un ancien directeur juridique de l'Autorité des marchés financiers (AMF) parti dans un cabinet d'avocats américain[EF1]. Elle examine également les mobilités des plus hauts emplois de la fonction publique et des élus locaux. La législation encadre les risques pénal et déontologique, mais le contrôle n'est pas renforcé lorsqu'une entreprise étrangère recrute un ancien décideur public – c'est pourtant une précaution qui mérite d'être prise.
Nous défendons une approche de droit commun pour ces sujets, puisque le législateur pourrait s'emparer de la question à travers celle des États sanctionnés ou de la nature des entreprises – nationales, ou entretenant un lien étroit ou avéré avec un régime étranger. Le fait que les parlementaires ne relèvent d'aucun mécanisme de contrôle constitue par ailleurs un angle mort du dispositif tant pour le droit commun des conflits d'intérêts que pour une prise en compte des influences étrangères. Les nombreux exemples, notamment celui d'un ancien député, ancien président de conseil départemental et ancien ministre, qui était salarié d'une société publique russe, indiquent le besoin d'une garantie encadrant les conditions dans lesquelles un parlementaire trouve des débouchés. Le système des commissaires européens est à ce titre satisfaisant, puisqu'il permet, en assurant à l'ancien commissaire de bénéficier de sa rémunération pendant trois ans, d'éviter l'utilisation de son carnet d'adresses à des fins de lobbying. Par conséquent, l'idée d'un « sas de décompression » nous semble souhaitable.
Les problèmes d'ingérence étrangère peuvent être résolus par la transparence de la vie publique et par l'encadrement du lobbying – nous avons d'ailleurs soutenu le travail de la commission d'enquête du Sénat relative à l'influence des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques. Le contrôle du lobbying des États étrangers, par l'intermédiaire de leurs faux-nez, répond à un enjeu de sécurité nationale, en dépit de l'efficacité de nos services de renseignement – puisque le soupçon arrive en effet assez vite. L'encadrement de ces activités, en instaurant plus de transparence lorsque des intérêts sont en jeu – en utilisant l' open data et les données apparaissant notamment dans le répertoire de la HATVP –, protège les parlementaires concernés et l'exécutif.